De telles gauloiseries appartiennent à une tradition populaire remontant au moins à Noël du Fail chez qui baise mon cul est le surnom d’une épée : « Voilà, disoit-il, la levée du bouclier de l’épée seule, et de l’épée baise mon cul à deux mains » ( Propos rustiques , 1547). Rabelais donne le même sobriquet à l’épée de Gymnaste : « Si sacque son espée Baise mon cul (ainsi la nommoit-il) à deux mains, et tranchât le Cervelat en deux pièces » ( Quart Livre , ch. XLI, 1548-52). L’expression « miroir » entre aussi, chez Victor Hugo, dans la composition d’un surnom : « Cette affreuse face de Gribouille-mon-cul-te-baise […] » ( Quatre-vingt-treize , deuxième partie, livre troisième, ch. VII, 1874). Il n’y a pas à dire, mon père avait des lettres !
C’est l’hôpital qui se moque de la charité
Avant d’être l’établissement public médical où l’on opère et soigne, l’hôpital fut un hospice (même étymologie), souvent baptisé hôtel-Dieu, où l’on soignait les indigents. Telle est bien la définition que propose Furetière (1690) : « Lieu pieux et charitable où on reçoit les pauvres pour les soulager en leurs nécessités. » La notion d’hôpital fut donc originellement liée à celle de charité. D’ailleurs, de nombreux établissements hospitaliers prirent le nom d’hôpital de la charité un peu partout dans le monde : Berlin, Séville ( Hospital de la Santa Caridad ), Paris, Dijon, Saint-Étienne et… Lyon. C’est à Lyon, en 1894, que serait née notre expression. Elle dénonce celui qui critique, chez autrui, un défaut qu’il pourrait se reprocher à lui-même.
Esnault (1965) date de 1883 la première attestation de kif-kif bourricot . L’expression, littéralement : « pareil à l’âne », serait passée d’Algérie en France « comme superlatif de toute ressemblance », véhiculée par les soldats d’Afrique du Nord. C’est une extension comique de kif-kif (Delvau, 1866), « autant comme autant », elle-même redoublement de kif , arabe maghrébin signifiant « comme » ( kayfa , « comment », en arabe classique). Kif-kif apparaît en 1839 dans un compte-rendu relatif à l’Église de Constantine : « Ils [les Arabes] finissent toujours leurs éloges à Marie par ces mots : Kif-kif soa soa cutsa, hahana, achouq lélé Mariem . Tous ensemble, vous et nous, nous aimons beaucoup madame Marie » (Abbé Suchet, Nouvelles lettres sur Constantine in L’Ami de la religion et du roi , tome 102). En 1914 apparaît l’expression C’est du kif , « c’est la même chose », expression devenue aujourd’hui équivoque puisque kif désigne aussi le cannabis : ce kif-là vient de l’arabe kef , « état de béatitude » et a donné le verbe kif(f)er , si… prisé de la jeune génération.
Expression tautologique : pareil et même sont en effet synonymes . La comparaison est donc savoureuse puisque les deux termes sont identiques et que chacun d’eux signifie justement « identique ». Pour filer la métaphore et clore le chapitre en le synthétisant, on pourrait dire que, dans l’expression, pareil et même sont « kif-kif bourricot » ou « bise mon cul mon cul te bise ».
Parmi les expressions de grand-mère, celle-ci tient une place de choix. Elle nous la servait presque chaque soir quand nous l’embrassions avant d’aller rejoindre Morphée. Elle m’est longtemps apparue énigmatique car, de toute évidence, la rime ne pouvait seule la justifier. Qui était donc ce Gaborit dont nous endossions souvent l’identité en même temps que notre veste de pyjama ? Gaborit , il est vrai, était un nom de famille très répandu dans ma Saintonge natale ? Et si l’étymologie de ce patronyme était éclairante ? Comme Gabet, Gabot, Gabin, Gabard, Gabereau, Gaboriau, etc., Gaborit vient de gaber , vieux mot français pour « moquer, railler » ; gaber est encore mentionné chez Littré qui nous dit aussi qu’un gabeur est « celui qui gabe , se moque ». Le vénéré lexicographe fait ce commentaire : « Vieux mot qu’il n’est pas mauvais de remettre en usage. » En saintongeais, un gaban est un « vagabond », un « croquant », un « chenapan » (Pierre Jônain, Dictionnaire du Patois saintongeais , 1869) et André Éveillé nous confirme que Gaboriau et Gabory sont des « noms d’hommes dérivés du vieux français : gabeor, gabeour , railleur, farceur » ( Glossaire saintongeais , 1887). Voilà. Je peux aller me coucher moins ignorant.
Au lit, marin, la puce à faim !
Variante tourangelle d’ au lit, gaborit ! Grand-mère qui était native de Châtellerault avait donc dû l’entendre dans sa jeunesse. Marin y est employé au sens de moussaillon , synonyme familier de « petit mousse », désignant dans la marine un apprenti de moins de seize ans. L’expression, qui promet au futur dormeur d’être « mangé » par les puces de lit, nous parle d’un temps où l’hygiène était bien trop rudimentaire pour éradiquer ces importuns visiteurs nocturnes : « Dès le matin Cataut se plaignit à sa mère / Des puces de la nuit, du grand chaud qu’il faisait : / On ne peut point dormir [14][…] » (La Fontaine, Le Rossignol in Contes , tome II).
Un plumard , nous dit Virmaître (1894) est, dans l’argot du peuple, un « lit de plumes », précisons, un matelas de plumes. Esnault en fait remonter le premier emploi à 1881, date où, chez les « voyous » (Esnault dixit ) apparaît aussi le verbe se plumarder , « aller se coucher ». Aller au plume , c’est donc « aller au lit », plume étant un raccourci de plumard . Proche du plumard , un plumon désigne, surtout dans le Nord-Ouest, une couette garnie de duvet ou de plumes (de canard ou d’oie) ; c’est donc l’exact équivalent de l’ édredon , mot issu du danois ederdun , « duvet d’eider », l’eider étant un gros canard marin des océans subarctiques.
Un lit rembourré avec des noyaux de pêches
On dit aussi cela d’un fauteuil ou d’un coussin. C’est évidemment l’image de l’inconfort par excellence, d’autant qu’un noyau de pêche, en plus d’être dur, est aussi rugueux. Dans la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1835), l’expression est plus concise : « Un matelas, un coussin rembourré de noyaux de pêches , un matelas, un coussin fort dur. » La comparaison, toutefois, est déjà employée au début du XVII esiècle : « […] je me fis donner un méchant matelas aussi dur que s’il avoit été rembourré avec des noyaux de pêche [ sic ] » ( Mémoires de Madame du Noyer écrits par elle-même , tome V, 1710).
Ronfler comme une machine à battre
La comparaison est paysanne et régionale ( ronfier coume ine machine à battre , dit-on en Saintonge) et la machine à battre est une « batteuse » (ancêtre de la moissonneuse-batteuse). Elle égrenait le blé lors de la traditionnelle opération des battages, prélude à une fête à l’issue de laquelle quelques buveurs cuvant leur vin devaient bien ronfler de la sorte, c’est-à-dire d’une manière excessivement bruyante. Ramuz, dans Adam et Ève (1932) nous offre une belle description de l’engin : « L’air est comme une machine à battre en plein fonctionnement, avec ses roues, ses palettes, ses trémies, son tuyautage, tout un système d’engrenages ; elle bourdonne, elle gémit, elle craque, elle crie, elle ronfle, elle crache, elle tousse « […] » Bonne nuit, les petits !
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