Pour sûr, cet importun ne vous abandonne pas, hélas, si facilement et vous voudriez bien pourtant qu’il vous lâchât les basques, ou, forme actuelle dérivée, les baskets. En ce sens, quel pot de colle ! équivaut à quelle plaie ! (voir ci-dessus). Grand-mère pourtant employait l’interjection dans une tout autre circonstance : quand, en mal de tendresse, je l’embrassais comme du bon pain et qu’elle tentait de desserrer ma trop étouffante étreinte : « T’es un vrai pot de colle ! » J’étais coutumier de ces débordements d’affection, au point que mon frère aîné m’avait gentiment surnommé « La Glu ».
Pot de colle est souvent employé comme adjectif (« Ta copine, elle est un peu pot de colle ! »), emploi « vedettisé » en 1977 par le film de Philippe de Broca : Julie pot de colle.
Ton père n’est (n’était) pas vitrier
On connaît l’anecdote d’Alexandre le Grand qui, de passage à Corinthe, voulut rendre visite à Diogène de Sinope dont la réputation était parvenue jusqu’à lui. Arrivé devant le tonneau où le philosophe prétendait vivre comme un chien, Alexandre, qui aimait la philosophie pour avoir été l’élève d’Aristote, se fit grand seigneur : « Demande-moi ce que tu veux, dit-il au vieil homme, et tu l’auras. » Diogène répondit simplement : « Ôte-toi de mon soleil ! » On peut se demander qui, des deux personnages, faisait vraiment de l’ombre à l’autre. Si Diogène avait vécu de nos jours, la repartie aurait pu être : « Bouge de là ! Tu n’es pas transparent » ou encore : « Eh ! Ton père n’est pas vitrier ! », plaisanterie bienvenue pour faire comprendre à un enquiquineur qu’il est dans notre champ visuel, l’espèce de ces fâcheux qui se croient seuls au monde n’étant malheureusement pas en voie d’extinction.
Merci au beau-frère qui m’a fait connaître cette formule qui vaut tant par sa brièveté que par son allitération : bè-bè. Compte tenu du premier verbe, elle appartient plus logiquement à un langage grand-paternel que grand-maternel. De bébé, il en est effectivement question, celui que la fille (ou belle-fille) a mis au monde et qu’elle voudrait bien faire garder par les parents (ou beaux-parents) le temps, par exemple, d’un week-end en amoureux. Pourtant, si « lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris », comme l’écrit Victor Hugo dans Les Feuilles d’automne , la liesse familiale ne va pas toujours jusqu’à vouloir jouer les nounous pendant que les parents se payent du bon temps. Qui baise berce n’admet donc pas de réplique : « Vous avez fait un enfant, vous devez vous en occuper ! »
Qui tient de père et mère n’est point bâtard
Lorsque l’enfant paraît… parents et amis se penchent sur le berceau, émerveillés ou faisant mine de l’être, et chacun y va de sa comparaison : « Il a le nez et les oreilles de son père », « les yeux et la bouche de sa mère », à moins qu’il ne soit le portrait craché de l’un et/ou de l’autre, etc., au point que l’on se demande si le pauvre rejeton a vraiment un trait qui lui soit personnel. Manière pour le père de sentir son honneur sauf (cet enfant est bien de moi !) et pour la mère d’éprouver une légitime fierté (nous ne saurions le renier !). Mais l’affirmation peut aussi être moqueuse pour dénoncer chez un rejeton les mêmes travers caractériels que ceux du père ou de la mère : avarice, tête de mule, égoïsme, orgueil, etc. L’expression, pleine d’un bon sens populaire (saveur du point ) frisant la tautologie, vient alors affirmer haut et fort, sur un ton forcément goguenard, une vérité tenue pour première.
Il est des arbres généalogiques dont les rameaux sont si écartés qu’on a parfois bien du mal à formuler le lien de parenté qu’ils indiquent : Isidore est le fils du cousin germain de ta mère. Pour toi, Isidore est donc un cousin issu de germain. CQFD. Pour des parents si éloignés que l’on ne fréquente que très peu, voire pas du tout, et qui ne portent le nom de cousin que par une sorte de bienveillance lexicale, grand-mère avait une expression : à la mode de Bretagne . Il est vrai que dans les familles bretonnes d’antan, les relations étaient étroites, même entre parents éloignés : « Nulle part la parenté ne s’étend aussi loin qu’en Bretagne : elle y dépasse le douzième degré, en se comptant double dans plusieurs cas », nous explique Pierre-Marie Quitard (1842) qui cite aussi cette anecdote : « On raconte qu’un capucin, prêchant à la prise d’habit de la fille de sa cousine germaine, s’écria : “Quel honneur pour vous, ô ma cousine, qui devenez la belle-mère du Seigneur, et quelle gloire pour moi qui vais être l’oncle du bon Dieu à la mode de Bretagne !” »
C’est son portrait tout craché
Pourquoi prenons-nous tant de plaisir à souligner les ressemblances entre parents, pourquoi nous en étonnons-nous toujours puisqu’après tout elles ne sont que naturellement normales compte tenu des lois de l’hérédité découvertes voici cent cinquante ans par Gregor Mendel ? Quand de telles ressemblances confinent à la copie conforme, l’expression convenue vient systématiquement aux lèvres : C’est son portrait tout craché ! Pourquoi donc cette idée de crachat que d’aucuns trouveraient peu ragoûtante ?
Cracher est souvent employé pour ce qui a trait à la parole, en particulier lorsqu’il s’agit d’exprimer une vérité que l’on aurait préféré garder pour soi : « Il a craché le morceau », dit-on d’un prévenu qui finit par avouer. De celui qui parle sans vous laisser parler, on dit qu’il vous « tient le crachoir » et autrefois, par moquerie, on disait des latinistes qu’ils « crachaient du latin ». Par analogie entre la salive et la semence, un parallèle a été établi entre cracher et reproduire, la « reproduction » pouvant d’ailleurs être prise dans les deux sens du terme : génétique et pictural. Ce sens pictural est attesté dès le milieu du XV esiècle dans le Mistère du vieil testament :
« LE PAINTRE
Je le vous feray tout poché,
Par Dieu et ne sçauriez dire
Que ce ne fust il tout craché,
Sans qu’il y ait rien à redire. »
(Tome VI, ch. XLV, vers 48571-48574.)
La famille tuyau de poêle
Tuyaux de poêle fut une expression d’argot désignant autrefois des bottes (de cavalier), un pantalon étroit de fantassin ou encore un chapeau haut de forme. Tuyau de poêle prend un sens tout différent et nettement moins convenable quand il s’agit d’une famille puisqu’il est alors question de relations incestueuses. L’image est crûment éloquente : les tuyaux de poêle s’emmanchent les uns dans les autres. Jacques Prévert nous donne une belle illustration d’une telle famille dans sa pièce justement intitulée La Famille tuyau de poêle ou Une famille bien unie (1933).
Je ne peux pas croire que notre pudique grand-mère comprenait l’exacte allusion sexuelle quand elle prétendait que les (Biiiiiiiip !) qui habitaient en face de chez nous étaient une famille tuyau de poêle .
Bise mon cul, mon cul te bise
C’est ainsi que dans la famille on exprimait l’égalité, l’équivalence, l’identique : « Que préfères-tu, l’éclair au chocolat ou au café ? » Réponse du père : « C’est bise mon cul mon cul te bise. » Grand-mère était offusquée et nous éclations de rire. L’expression, plus espiègle que vulgaire, remplaçait avantageusement le banal « Ça m’est égal » ou l’indifférent « Comme tu veux ». Nous plaisait sa symétrie presque parfaite mettant l’accent sur ce gros mot frappé d’interdit.
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