Dans le sabir branchouille contemporain, il faut avouer qu’entre bolos (nazes) et cassos (bouffons) c’est hyper hardos. Il y a ou bien, ou pas, des kems qui surkiffent, des meufs qui hallucinent, la vigilance orange à tous les carrefours. Tout est magnifique, rabâchent des têtes vides à court de vocabulaire. Bref, quelque chose d’énorme, d’ébouriffant, de mégadépendant, compte tenu que le twitte, qui rime avec bite, tient du gazouillis et du message bref, et que la tchate, qui rime avec chatte, tient du dialogue immédiat. Si t’es pas follower , t’es largué, nom d’un cul. C’est donc dans les tuyaux, malgré tout ce qu’on a voulu savoir sur le sexe et qu’on ne saura jamais. Le français n’est plus ce qu’il était, ma bonne dame. Au moment où ces lignes paraîtront, l’amphigourique aura peut-être remporté le pompon, plébiscité par le chelou et le relou, au-delà de tout, anyway ! Magnifique, non ?
L’argomuche de pépé a du plomb dans la gousse d’ail. Encore que quelques mots moyenâgeux qui tirent leur épingle du jeu, style maille (pièces de monnaie), relativement cornichons, s’incrustent. Le daron et la daronne, eux aussi, rejetons d’un argot de Vidocq, se la pètent dans le milieu des jeunes nantis. Le verlan a beau subsister vaille que vaille, il a perdu son pouvoir de séduction, et la banlieue, très en vogue dans les années 1990, a nettement moins le droit de cité. Les nazes se sont faits la paire, au même titre que les fonbous. Franchement, c’est dar. Expression quasi san-antoniesque (sans le savoir), postatomique et un tantinet phallique, qui signifie bêtement qu’on admire une chose ou une personne. C’est quoi ce délire ? Vous l’avez compris, il n’est jamais trop dar pour s’y prendre plus tôt. C’est like that . Si tu captes mal le scénar, coco, c’est que t’es pas compatible dépendant. Faut être fashionista. Il suffit de brancharès le haut-parleur.
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Il y a ceux qui veulent faire du genre et ceux dont c’est le genre. L’argot, qui ne veut plus dire grand-chose de nos jours, remonte, pour les nigth-clubbers d’aujourd’hui, à l’ère du Crétacé. Il a une peau de bête autour du vocable et un os dans le nez. Pour nous, il est comparable à certains mots rares. Prenez par exemple « s’acagnarder ». Il faut s’en servir avec parcimonie. C’est comme faire ses besoins, une fois par jour suffit, car à chaque jour suffit sa peine. Il n’y a rien de pire que d’être dans le besoin. Le vrai français est le français populaire, celui qui change de chaussettes tous les jours, et le français littéraire une sorte d’argot, celui qui arbore de belles chaussures lustrées toute l’année. Quand on se bat pour la francophonie, on se bat pour l’argophonie. L’argot est l’orgasme des mots. Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas voir et entendre ce chef-d’œuvre alimentaire, pour ne pas dire élémentaire, qui a de la branche. L’argot, qu’on dénomme ainsi, mais qui recouvre tout ce qui embellit, transforme et armorie le français, fait la nique à l’honnêteté, flatte les secrets de fabrication, maçonne le dérisoire, shampouine la dissimulation, turlute l’invention, bourrique l’ironie, trombine la cocasserie, prend du rond dans tout ce qui est carré, rectangulaire, pyramidal, hexagonal. Hier ou demain, le vert vire au verdâtre, le gros rouge au petit jaune. La langue française a beau avoir de la couleur, elle abdique en faveur de la grisaille anglo-saxonne. Dès que la syntaxe charade et contrepète, le pastiche 51 nous flatte l’anis. Tout cela est simple comme bonjour. La langue française, au même titre que l’Histoire de France, est un instrument de plaisir qui déflore la syntaxe, une bonne thèse au royaume du jargon. Plus personne n’a une gueule d’atmosphère. Chacun de nous, avec son site, son blog, son adresse mail, est atmosphère. C’est déprimant.
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L’argot d’aujourd’hui ? Une ragougnasse sur le coin du feu. Froid, chaud ou bouillant, le frichti est au dégoût du jour. Comme l’indique Pierre Merle dans Le Blues de l’argot [47] Seuil, « Points Virgule », 1990.
, « les intellos causent comme des zonards, les lycéens comme des camés new-yorkais, les putes comme des assistantes sociales, les ministres comme Coluche, et les fripiers comme des intellos ».
La boucle est bouclée. Les calembours chers au marquis de Bièvre et à Aurélien Scholl sont dans le pétrin. Il ne faut pas avoir un poil de cul plus haut que l’autre, sous peine d’alopécie. Seulement attention, ne pas être dans les normes signifie être réac. L’argot d’antan bénéficie de ce label passe-partout mis en place par les terroristes de la pensée unique : c’est réac. Avec ça, tout est dit. On n’a plus qu’à la fermer. Pour que ce soit lisse et correct, il faut que tout le monde jacte et pense comme tout le monde. C’est d’ailleurs le cas. Big Brother a gagné son pari. On est dans une société fast-foodée qui ne prise guère les aspérités. On vote les yeux fermés pour la laideur, pour le nivellement des intelligences, pour la vulgarité, pour la religion de la nouveauté, pour la spiritualité de contrebande, pour l’indignation à la gomme, pour le jeunisme à tout crin, pour l’hédonisme avachi, pour le politiquement stupide, pour le stupidement politique, pour la négation du bon sens, pour les mauvaises raisons, pour le culte du cul. Besoin de repasser le film ? Le collectif est unique : quand il pète, tout le monde pue pour lui. Bref, on est ce que l’on mange et l’on est mangé par ce que l’on est. Cette uniformité aristotélicienne est pimentée de franglais-rock. C’est super cool. Faut bien que ce soit fun, non ?
Le Paris popu des apaches n’est plus sur le sentier de la guerre, il a rejoint le Grand Esprit. Ugh ! Les jargons n’existent plus, le visage pâle a gagné la guerre, le yankee a scalpé Jésus la Caille. La vague des tags est prise en flag, Max le Menteur flippe un max, Riton la Mouise a les pastèques. Ce qu’il faut espérer, c’est qu’un créateur génialoïde du melting-pot d’aujourd’hui puisse enluminer la langue comme les Boudard et Audiard d’hier. Seul hic : Boudard et Audiard défendaient et illustraient la langue française à travers une manière française ; à présent, il est surtout question d’une manière anglo-saxonne, essentiellement ricaine qui, pour nous les réacs, nous en effleure une sans ébranler l’autre. À l’intention des blécas (oui, je sais, c’est ringue), on a un côté mon cucul sur la commode. On n’y peut rien, on capte mal. C’est un choix de satiété. L’angliche, ras le moutardier ! Nous voilà obligé de nous fader hard, soft, speed, cab’s, dealers, trash, bab’s (on anglicise le français, puisqu’il s’agit des babas, tout comme souci, qui se prononce souçaille !), look, destroy, freestyle, feeling, flasher, fresh, mix, must , etc.
Comme l’écrit encore Pierre Merle, « la langue des nouvelles terreurs des rues reste du “novlangue contemporain” qui tend à répandre du Macdo du coin aux cours des lycées en passant par la pub, la presse branchée, la BD, le Top 50, etc. Et il aurait fait tout ce chemin, depuis le langage des coquillards au XV esiècle pour en arriver là, à cette sécheresse, à ce manque total d’invention et de diversité, l’argot ? » Force est de constater (comme disent les journalistes qui, à défaut de formules à faire, aiment les formules toutes faites) que le « cant » (l’argot des voleurs en anglais) et le « slang » (l’argot du peuple en anglais) parasitent nos gamelles. Et des bidons, et des bidons, et des bidons, don-don !
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L’argot moderne est un condensé de tous les hits de ces dix dernières années. Attendu qu’il vaut mieux aller de l’avant que de l’arrière, il se distingue de l’argot classique par un engouement immodéré pour le verlan (exemple : mon reup, il est trop vénère : mon père, il est énervé) et pour les mots étrangers : muy bien, chiquita , t’es une go (« fille » en bambara) un peu misquina (« pauvre » en arabe), moi j’suis un karacho (« super » en russe), donc Charles le Chauve, tu vas le shampouiner d’enfer, bloody hell ! On force la note, il faut bien. Quelques scrogneugneus trouvent cela pathétique. S’il est crétin de dire que l’argot actuel ne vaut pas celui d’avant, les djeunz de today , calibrés par l’exclusion et l’illettrisme, ont après tout bien le droit de composer leur argot. Ils se le réinventent, se le mitonnent, se le concoctent à donf les manettes. Il n’y a finalement aucune différence entre l’âge de pierre et l’âge du Web. Sinon la querelle des anciens et des modernes. Sinon que les viocs comme nous, et encore plus les viocs des temps immémoriaux, du perlot, du pastague et de l’élixir de jouvence de l’abbé Souris, détenteurs d’une pseudo connaissance argotique, inhérente à leur époque, pédalent dans la croutchou. Quand ils entendent prononcer les mots break, cheap, creepers, escape, hip-hop, glamour, loser, punchy, killer, warrior, flasher, down, following , ils ont les douillons qui se dressent sur le garci. Waterloo is coming back ? On a le sentiment que notre français se fait crucifier sur le Golgotha du rockabilly. C’est deb ? Yes ! Vais ma ! Et l’Académie française, là-dedans ? Elle s’en bat les youcs, damned !
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