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Le premier 33 tours de Renaud est intitulé Amoureux de Paname . On est en plein dedans. Je veux dire la gouaille. C’est inégal, parfois couillon, un peu butte sur les bords, genre gapette, veste de chaudronnier, foulard rouge et cheveux longs. Le look fait tout, camarade bourgeois. Pour embarquer les greluches et les moujingues avec « Écoutez-moi les gavroches », on chante Paris, celui de Rictus, de Pouget (le Père Peinard), des communards. On s’engage politiquement, plutôt à gauche (normal, c’est le monopole du cœur), et ça donne :
Moi j’suis amoureux de Paname
Du béton et du macadam [49] « Amoureux de Paname », © Mino Music, 1975.
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Dans le même album, on retient « Gueules d’aminches », nettement plus argotique, car Renaud ne s’en cache pas, l’argot, c’est le moteur du vieux Paris. Or lui, le têtard des rues, il joue à fond cette carte. Pour la peine, sans l’aspect invectives, encore que Renaud aime bien engueuler son auditoire, tout comme le faisait Bruant au Chat noir, on flirte avec les chansons d’autrefois, la mythologie des gouapes, des gueux, les aventures des Pieds Nickelés, et puis la mélancolie, ce « bonheur d’être triste », comme l’écrivait Victor Hugo.
C’est l’histoire d’un drôle de grinche
Tronche d’amour, gueule de voyou [50] « Gueule d’aminche », © Mino Music, 1975.
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Le dernier vers inverse adroitement les associations, car « Gueule d’amour », et non pas « Gueule de voyou », fait penser inévitablement à Gabin dans le film de Jean Grémillon, beau bidasse vampé par Mireille Balin, jeune premier prolo en spahi, autrefois bibi de Ménilmuche et de la Quicampe, bientôt bête humaine ravagée par la jalousie. Les clins d’œil de Renaud à ce passé romantique incluant 14 Juillet, Sous les toits de Paris ou Les Enfants du paradis ne manquent pas. Le passé romantique et ouvrier d’un Paris révolu fera toujours de Renaud un révolutionnaire en peau de lapin, car ce qui importe avant tout chez lui, c’est la nostalgie, ce dernier recours de la connaissance, cette volonté de « vanter le temps jadis », comme disait déjà Horace dans l’ Art poétique . Ce qui est passé et qui ne reviendra plus est le moteur des vrais poètes, car il n’est pas question d’idéologie, mais de ce grand drame de la vie qu’est précisément la fin de la vie. Ce qu’on apprécie chez Renaud, ce n’est pas le Renard qui vient déblatérer avec son air sombre de décavé dans les émissions débiles des attardés mentaux de la télévision, mais l’auteur secret, populaire et blessé de « Mistral gagnant », de « Ma gonzesse », de « Morgane de toi » ou de « Manhattan-Kaboul ». On le sait, il est plus facile de réussir en étant de gauche qu’en étant de droite. Les faux rebelles sont légion. L’optimisme est à gauche, le pessimisme à droite. À dire vrai, on s’en tamponne le bulletin de vote. Le talent n’a pas de parti, sinon celui du talent.
L’engagement de Renaud, semblable à celui de beaucoup d’artistes donneurs de leçons qui ont le Cac 40 à droite et le palpitant à gauche, est parfois un peu niais. Mais notre arcandier ne cache pas son intérêt pour René Fallet et Drieu la Rochelle, des écrivains pas vraiment réputés de gauche. C’est ce paradoxe qui fait aimer Renaud. Ce libertaire communard passionné par les textes de Maupassant et les chansons de Brassens ne laisse de se référer au passé, oubliant parfois le passif, ce champignon immortel, réputé pour ses vertus hallucinogènes.
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Après les bals des rues et Amoureux de Paname , le premier succès arrive avec « Laisse béton ». C’est le triomphe du verlan. Le titi s’est métamorphosé en loubard. La chanson fait un malheur en 1978, alors que Pinochet se la coule douce, que Barre se goberge en Chine avec Deng Xiaoping, que Cloclo meurt électrocuté dans sa baignoire. Douche écossaise. Avec Renaud, on est dans le bain. Au même titre que les nouveaux philosophes, les nouveaux marlous délivrent leur message. Il y a du craignos dans l’air. Extrait de « Laisse béton », sur un air de square danse :
Y m’a filé une beigne
J’lui ai filé une torgnole
Y m’a filé une châtaigne
’lui ai filé mes grolles [51] « Laisse béton », © Mino Music, 1977.
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Le côté zone séduit une jeunesse frileuse qui se reconnaît dans ce langage qui claque, et encore plus l’humour au second degré qui fait si souvent défaut à la chanson engagée et aux militants de tout poil. Renaud est un manant, qui plus est marrant, il faut que cela se sache. Pour ne rien gâter, l’amour est omniprésent :
Ma gonzesse, celle que j’suis avec,
Ma princesse, celle que j’suis son mec [52] « Ma gonzesse », © Mino Music, 1979.
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Mais aussi le côté cracra, comme dans « Chanson dégueulasse » :
Comme un gars qu’aurait bouffé du vautour
Roulé des galoches à un troupeau d’hyènes [53] « Chanson dégueulasse », © Mino Music, 1988.
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Renaud n’est pas seulement qu’un loube qui jacte l’argot, il est avant tout intello, un bourge Frégoli travesti en boulevard du crime. Certains le trouvent bidon. Il passe à Bobino, chante les vieilles rengaines du siècle précédent, s’accompagne de l’accordéoniste Joss Baselli. Quoi qu’il en soit, bidon ou non, il signe « Morgane de toi », « P’tite conne », « Fatigue » (parce qu’il en a marre des cocos), « Mistral gagnant ». Les vieux ados nés entre les années 1950 et 1960 (dont je suis) se remémorent l’antique bazar du quartier, les Coco Boer, les roudoudous, les malabars et toutes ces saloperies qui, comme chante Renaud, nous « niquaient les dents ». C’est sûr, le stylisé Renaud tourne styliste. Extrait :
Te raconter un peu comme j’étais minot
Les bonbecs fabuleux qu’on piquait chez l’marchand [54] « Mistral gagnant », © Mino Music, 1985.
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Comme la plupart des écrivains évoqués dans ce livre, Renaud utilise l’argot à dose homéopathique. Ses textes ont beau avoir l’air de têtes de loups, ils sont écrits. Tout est dans le dosage. L’argot supporte mal la surenchère. « Un gros mot, c’est bien, trop de gros mots, ça nuit à l’ensemble », disait Jean Renoir. C’est la grande illusion du style. Par peur de ne pas être compris, on charge la machine. Renaud, tout en évitant de renier sa veine populo, soigne les mots. C’est le cas de « Marche à l’ombre ». Extrait :
Quand l’baba cool cradoque
Est sorti d’son bus Volkswagen
Qu’il avait garé comme une loque
Devant mon rad’ [55] « Marche à l’ombre », © Mino Music, 1980.
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Marche à l’ombre , dans la foulée, devient un film de Michel Blanc avec M. B. et Gérard Lanvin, beau-frère de Renaud, où les mots ont leur argot à dire, dans un ensemble hypocondriaque et urbain tout ce qu’il y a de plus transpoil. Good shot !
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Chanteur énervé ou chanteur énervant, Renaud continue d’argoter dans ses chansons, même quand il opte pour la ballade irlandaise, la chanson politique (« Tonton », « Kosovo », etc.) ou la chanson tendre. Le résultat est un sacré boucan d’enfer. Renaud ne renie ni le langage populaire ni les calembours. C’est son pain presque quotidien. La preuve, dans « Docteur Renaud et Mister Renard », une chanson où le cynisme, le fatalisme et l’alcoolisme se tiennent par les « ismes ». Extrait :
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