François Cérésa - Les princes de l'argot

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« Chic, il y a de l'argot dans l'air ! Le latin de la racaille. Une langue parfois morte, qui renaît sans cesse de ses cendres. Une langue jamais amorphe, toujours polymorphe… ».
Écrivains, chanteurs, ils s'appellent Bruant ou Céline, Renaud ou Boudard, sans oublier le tonitruand Michel Audiard et d'autres moins connus, tel l'écrivain Albert Paraz. Ils ont servi la langue française en se jouant d'elle, en la réinventant, offrant au plus grand public l'éclat des mots populaires.
De François Villon à la série Kaamelott, François Сérésa présente ces « Princes de l'argot ». Il le fait à sa manière, avec un style incomparable, le verbe fleuri. En remontant le temps, il nous raconte l'histoire de cette langue réinventée. Les époques défilent, les orfèvres de l'argot sont célébrés, jusqu'à aujourd'hui.
Une invitation aux plaisirs de la langue française, où le lecteur se délectera des portraits et d'un florilège de citations « pas piquées des hannetons ».
François Cérésa est l'auteur de nombreux romans, de
(Robert Laffont, 1990) à
(Fayard, 2011) et, aux éditions Écriture,
(2013). Au cours de ses vies multiples, il a été maçon, peintre, menuisier, poète, chauffeur de maître, critique gastronomique, chroniqueur sportif et cover-boy. Longtemps journaliste, il anime aujourd'hui le mensuel Biographie de l'auteur

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FRANÇOIS CÉRÉSA

Les princes de l'argot

À Boudard,

à Audiard,

à Dard,

aux Romanos,

à tous ceux qui ont véhiculé l’argot,

cette langue de la vie, du peuple, de l’élite.

Introduction

Vous avez bobo ? Chic, il y a de l’argot dans l’air ! Mais attention, on vous affranchit recta, parler ce langage cryptique de malfaiteurs n’a rien de fastoche. L’argomuche, c’est du taf. Du lourd. Une connaissance du vocabulaire des métiers, de l’amour, de la pègre. Le latin de la racaille. Une langue parfois morte, qui renaît sans cesse de ses cendres. Une langue jamais amorphe, toujours polymorphe.

Mais au fait, c’est quoi, l’argot ? Avec des questions de cette nature, on se remémore le mot « ergo », du grec ergon , qui signifie « travail, force ». L’autre mot « ergot », production cornée servant d’arme offensive aux gallinacés mâles. L’hargaut, un vieux vêtement. Puis, les Argonautes, ces héros grecs, compagnons de Jason, qui, à bord de l’ Argo , allèrent en Colchide conquérir la Toison d’or. Enfin, l’argot, une corporation de mendiants en 1690. Tout est possible. Même le Goth, ce gros agressif germanique qui nous bavait sur les rouleaux. Et même l’escargot, ce gastéropode tout ce qu’il y a de plus repoussant qui alimente (c’est le cas de le dire) le dégoût de nos cousins anglo-saxons.

Las ! Prenons rang parmi les dévots de Notre-Dame des Fleurs du mâle et analysons le truc à froid, sans pression, sans stress, sans sorbonicole, sans paradigme. On vous rassure, pas question de se triturer la coloquinte. Nous, au risque de fâcher les obsédés de la penseuse, on n’est pas là pour compliquer les choses. Ni pour l’étymologie, ni pour se cailler le boudin, mais pour le « fun », comme on dit en franglais. Pour l’historique séduisant. Pour s’enchanter et trinquer à la santé des mots qui rigolent. Bref, pour le fade zygomatique et la mouillette rhétoricienne. On veut du suave. De l’endophasie (langage intérieur) symphonique. Pas d’ergoteurs, mais des argoteurs ! Pas de cour royale, mais la cour des Miracles ! Pas de panaché, mais du panache ! Pas de révérence, mais de la référence ! Pas de réflexion, mais des réflexes !

Pour tout dire, cette nouveauté de « rouscailler bigorne », comme disait Victor Hugo dans Les Derniers Jours d’un condamné , s’est pointée en hypocrite, assez tocarde, dans le genre résidu de fausse couche, véhiculée par des fromages qui avaient du répondant, style malfaisant, à l’époque de François Villon. C’était le Moyen Âge. On a appelé cela l’argot, mais l’argot aujourd’hui est un langage populaire en mouvement. C’est LE langage. Il récupère la pub, l’Histoire, les modes, la politique, les langues, la délinquance, la marginalité, les sottises, le sexe, tout ce qui lui tombe sous le vocable. Peut-être que David, à l’époque de Goliath, disait déjà à propos des Philistins : « J’ai voulu être diplomate, mais c’est fini. À présent, ils vont marcher à coups de latte. Je vais les renvoyer tout droit à la maison mère. Au cimetière des prétentieux !… »

Impossible de savoir. On se contente du jargon des coquillards. Un truc pour faire frissonner le bourgeois. Pour brouiller les pistes. L’argot, comme disait Céline, est le langage de la haine. Le refus d’être compris par l’autre. L’ouvrier par son patron, le voyou par les bourgeois. C’est un monde où le marginal, incrusté dans sa différence, loin des riflards et des foies jaunes, garde le palpitant au bon rythme, le quinquet vigilant, l’asperge en alerte. Les autres, se dit-il, les gentils, les démissionnaires, les foireux, qu’ils restent dans leur bouillon ! L’argotier est un pistolero de la volonté. Il refuse l’institutionnel. Pour lui, entre la serviette et le torchon, bonnet noir, noir bonnet, il joue avec les mots et se joue parfois d’eux. Au mazout, les béchamels ! Ce qu’il désire, c’est le plumet. La grâce. La folie des glandeurs. Mais après tout, l’argot est peut-être devenu la langue de tous les jours.

L’argot, l’argot ! Ils n’ont que ce mot-là à la bouche ! On nous embête avec ça. Écoutons encore Céline, l’irascible, l’inclassable, l’enragé volontaire, quand il correspondait avec Albert Paraz, l’auteur du Gala des vaches : « Ils nous font chier avec l’argot. On prend la langue qu’on peut, on la tortille comme on peut, elle jouit ou ne jouit pas. Voltaire me fait jouir, Bruant aussi. C’est le pageot qui compte, pas le dictionnaire. Tous ces rafignoleurs d’argot suent l’impuissance. Les mots ne sont rien s’ils ne sont pas notés d’une petite musique du tronc… On peut écrire à la Sévigné une lettre à la petite cousine qui fasse pâmer les débardeurs. On peut rendre des viols en Chautard, chiadés Villon, Rictus, la Maud, que tout un régiment débande. »

Il n’y a pas à tortiller, l’argot est avant tout une langue qui se parle et qui s’écoute. Un geste de chansons, un amour tout ce qu’il y a de plus courtois. La liberté de parole et la discipline de l’écrit. Un balthazar au complet. Fromage et dessert.

Ce qui nous amuse, nous, c’est la poétique de la chose. L’inventivité, l’insolite des locutions, la trouvaille des images. En somme, la défense et l’illustration des langages. Toute une harmonie qui évoque des sensations extrêmes, des frissons de grand banditisme, des images d’anthologie. Il nous en faut peu. « J’ai une patrie : la langue française », disait Albert Camus. Nous sommes au diapason. En dépit du côté scientifique de la chose, d’une langue en perpétuelle mutation, malaxée en toute hâte dans la rue, les bistrots, la taule, les lieux mal famés, demeurent la drôlerie des expressions, la séduction de l’oreille, une certaine musique. C’est un récital. La poésie Villon, la rigueur Vidocq, la goualante Bruant, la Belle Époque, la dèche Rictus, les « monte-en-l’air », les Pieds Nickelés, le grand style Simonin, l’émotion célinienne, la gouaille boudardienne, les trouvailles de San-Antonio, la sécheresse de Le Breton, les chansons de Renaud, le hip-hop de l’argot moderne. Sans compter la musique de Fallet, les inventions d’Audiard, les retours du verlan. Tout ce qui enrichit est riche. Un son intérieur qui participe du vivant, du vivace, qui enchante le panorama. Le résultat est donc là, actuel ou suranné, bien ficelé, avec des écrivains, des poètes, des chanteurs, des dialoguistes, des acteurs, des films, des livres, des personnages de bande dessinée.

Bref, compagnons, on vous le répète, carbone en prime, l’argot ne tient pas en place. Il pioche, pompe, prélève, récupère, fournit même l’Académie en vertes digressions. C’est un souteneur de première. Il maquereaute à tout va. Barbeau, brochet, dauphin, hareng, merlan, goujon, ce poisson nage entre deux eaux. Et, comme tous les poissons, il se dirige avec sa queue. Il nous rappelle que le sexe est un dictionnaire à lui seul, un panier rempli de cresson, d’abricots en folie, de poireaux à col roulé, de mille-feuilles, de babas, de mandarines, d’ananas, de flageolets, de noisettes, de rognons, de figues, d’asperges de bénouze, d’anguilles de calcif. Tout a commencé la nuit des temps, car c’est la nuit que tous les chats sont gris, et dans le temps que se mesure la formule qui croque, le mot qui escroque. À l’époque des coquillards, soldats licenciés en mal de pillage, vers 1450, quand l’argot arguait de la corporation des gueux, il y avait déjà une yoc, autrement dit une couille, dans la thermodynamique langagière. Les connards (mot de l’époque) avalanchaient. Avant les chauffeurs, on se mettait au frais. Tout ça pour dire qu’on inventait une manière polie de dire des gros mots, histoire d’éviter les coups de poing dans le nez. On habillait les choses de la vie avec un raffinement de charretier, une élégance de grammairien, afin que la famille, les autorités et les pouvoirs publics n’y voient que du feu. C’était bien. Le feu avait de la flamme.

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