Un ADN très politique
Reste que l’aventure lui a donné une image de la politique qu’elle retrouvera plus tard… Une campagne ni tout à fait à droite, ni vraiment à gauche, menée par des novices ? Vingt-huit ans avant 2017, les codes font furieusement penser à ceux d’En Marche !. Et cette première expérience électorale a en tout cas initié Brigitte à la chose politique. Sa fille Tiphaine, candidate suppléante malheureuse aux dernières législatives, semble d’ailleurs en avoir elle aussi le goût. Tout comme sa famille, à Amiens, assez active politiquement. Aux départementales de mars 2015, toute personne qui présentait chez Trogneux sa carte d’électeur tamponnée avait droit à un macaron gratuit. « A voté, a goûté ! », promettait-on. Puis, l’année suivante, les confiseurs se mettaient En Marche !, eux qui proposent aujourd’hui de « Make our planet great again » à leur manière : la punchline présidentielle a été apposée à des Terres en chocolat, dont les bénéfices sont en partie reversés à WWF.
Aurait-on donc un ADN politique chez les Trogneux ? La réponse est oui, comme nous l’apprend encore Jean-Louis Beaucarnot, qui leur a découvert au XVI e siècle des ancêtres « lieutenants ». « À l’époque, cela désignait des individus investis de quelques pouvoirs de police et d’administration, plus ou moins ancêtres de nos maires [13] Entretien avec l’auteur, le 10 octobre 2017.
. » Et puis, surtout, se tiennent sur leur arbre généalogique deux anciens occupants de l’Élysée, que les Macron connaissent bien… « La première dame s’ajoute à la longue liste des cousins et cousines de François Hollande, descendant comme lui des Goubet, notables de Vaulx au XVI e siècle et de l’ancienne lignée des sires de Douay », reprend Jean-Louis Beaucarnot. Une parenté d’autant plus marquante que Brigitte Macron partage également des racines avec Valérie Trierweiler ! « Toutes deux descendent du roi Louis VII et de sa célèbre première épouse, Aliénor d’Aquitaine », termine le généalogiste. La République a beau régner, le palais de la rue du Faubourg Saint-Honoré s’est donc cette fois transmis en famille !
Un Élysée sur lequel, à Truchtersheim, de nombreux regards sont désormais braqués. Les colistiers et amis de Brigitte scrutent ses apparitions avec une attention toute particulière. Et beaucoup disent leur confiance en ses compétences de conseillère – présidentielle, faute d’avoir été élue municipale. « Je pense qu’elle peut freiner Emmanuel Macron dans certaines décisions, juge Jeannine Briard. Elle me semble plus juste, plus clairvoyante que lui [14] Entretien avec l’auteur, le 28 juillet 2017.
», ajoute l’octogénaire, en nous montrant les deux pages manuscrites qu’elle compte lui envoyer. « En annexe, je vais faire un point sur tout ce qu’il faudrait changer. La justice, l’Éducation nationale, la police… Je vais lui expliquer ce qui ne va pas. » Une feuille de route qu’elle pourrait même lui remettre en mains propres, si Brigitte Macron faisait un détour par Truch’, comme tout le monde l’espère ici. L’édile de la commune nous a d’ailleurs confié réfléchir au bon prétexte pour l’inviter, comme le lui réclament fréquemment ses collaborateurs. Un petit méchoui entre anciens voisins peut-être ? Pas sûr que cela suffise. « Il faudrait trouver une raison humanitaire. Elle a toujours été généreuse. Elle fait partie des gens qui aiment bien tendre la main [15] Ibid .
. »
L’invitation est donc (presque) lancée à Brigitte. Et le chef de l’État peut même l’accompagner sans crainte : à la carte de La Libération, le bar-restaurant où se croise le Tout-Truchtersheim depuis des décennies, s’affichent non pas un, non pas deux, non pas trois, mais bien quatre types de cordons-bleus ! Lanières de veau, poulet, avec ou sans crème… Emmanuel Macron n’aurait pas à revivre le douloureux déjeuner du 23 avril 2017, quand il s’était vu refuser son plat préféré sur une aire d’autoroute, au seul prétexte qu’il n’avait pas pris le menu enfant… Pourtant, le patron des lieux, Jean-Paul Voltz, nous l’assure : il les proposait bien avant que la France ne découvre le péché mignon du président !
D’ailleurs, la Macronmania ne s’est pas imposée ici. Lors du premier tour de la présidentielle, le candidat d’En Marche ! n’obtenait que 25,74 %, nettement distancé par François Fillon et ses 30,06 %. Et, malgré le bon souvenir qu’elle a laissé, la First Lady n’est pas non plus devenue la star locale. « En mai 2016, le magazine Pop Story lui avait consacré un numéro en titrant “Et Brigitte créa Macron”, raconte son ancienne voisine. Eh bien, j’ai dû finir par acheter les cinq exemplaires de la presse de Truch’. Elle n’en avait pas vendu un [16] Entretien avec l’auteur, le 29 juillet 2017.
! » Une épopée que, pour sa part, elle a eu plaisir à lire. « Elle a connu quand même un parcours extravagant, que l’on ne pouvait pas prévoir à l’époque, avec la vie tranquille qu’elle menait. Encore que je ne la trouvais pas à sa place ! Compte tenu de son milieu d’origine, je me demandais ce qu’elle faisait là. Le monde qu’elle fréquente depuis Bercy, les intellectuels, les écrivains, ça ne se compare pas avec ce qu’elle a connu ici ! » Mais, à l’été 1991, Brigitte est encore loin des ors des ministères… Après sept ans dans le Bas-Rhin, entre plantations de maïs, de foin et de tabac, les Auzière font leurs cartons. Ils ont mis fin au bail de la maison qu’ils louaient rue des Coquelicots, car André-Louis vient d’être muté à la Banque française du commerce extérieur d’Amiens. Quant à Brigitte, elle est sur le point de rencontrer son destin à la bien nommée Providence.
« UN MÉTIER EXTRAORDINAIRE »
« Je perçois Brigitte Macron comme la prof idéale. » 23 juillet 2017, Jean-Michel Blanquer livre son évaluation de la première dame dans Le Journal du dimanche . Et cette appréciation tout en mesure fera rire sur les réseaux sociaux… « Je me fiche de passer pour un fayot », rétorque depuis le ministre de l’Éducation nationale, qui explique bien s’entendre avec l’épouse du président. Une aubaine, celle-ci étant de toute façon décidée à s’impliquer dans son domaine. « J’ai une très haute idée de l’éducation. Il faut que ce soit une priorité. J’ai plein d’idées, prévenait-elle dès la campagne. L’essentiel, à mon propos, c’est que je suis prof. C’est cela qui me charpente [1] Nicolas Prissette, op. cit.
. » Un « métier extraordinaire », un « éblouissement », comme elle le définit, qui n’était pourtant pas son premier choix. Car sa vocation lui est venue par hasard, et sur le tard.
1984, Brigitte Auzière a trente et un ans. Depuis deux ans, elle est attachée de presse, mais avec la naissance de Tiphaine lui sont venues des envies de reconversion. Arrivée en Alsace, elle s’ouvre de ce désir à des mamans d’élèves devant l’école de ses deux aînés. Coup de chance : l’une d’elles a une idée. « La direction diocésaine cherche des profs. Tu devrais postuler ! », lui lance-t-elle. Brigitte a une maîtrise de lettres – elle obtiendra plus tard son Capes ; elle s’exécute donc… Tout en songeant à monter son entreprise, pour ne pas avoir de patron, si cela ne marche pas. Elle n’en aura pas le loisir : sa candidature est acceptée, et elle est immédiatement nommée à Lucie-Berger, un établissement protestant du centre de Strasbourg. Une affectation qui, si elle la réjouit, ne sera pas de tout repos. « Je suis arrivée dans une classe de collège où l’on devait étudier des subordonnées conjonctives. Et moi, les conjonctives, les relatives, les circonstancielles, je n’en avais aucune idée, je n’avais étudié que la littérature !, se souvenait-elle dans Elle . La première heure a été vertigineuse. J’ai passé quinze jours sans dormir, à seulement travailler. »
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