Une popularité que l’enseignante ne va pas tarder à exploiter. Son but ? Dynamiser la vie de son très paisible quartier. « Elle était de toutes les fêtes locales et cherchait toujours à animer, à regrouper les gens, reprend Justin Vogel. Elle était très entreprenante [5] Ibid.
. » À l’époque, il vit à une trentaine de mètres des Auzière… En bonne place pour la voir s’attaquer à son premier chantier : le méchoui annuel de la Hoeft ! L’initiative existe alors déjà mais elle n’a pas mobilisé grand monde. Qu’à cela ne tienne : Brigitte va en faire sa priorité. « Elle est allée démarcher les gens pour qu’ils participent et elle a convaincu. Cela a donné une sorte de Fête des voisins avant l’heure ! D’ailleurs, le concept a perduré et, chaque premier samedi du mois d’août, nous sommes entre quatre-vingts et cent personnes à nous retrouver autour de ce méchoui [6] Entretien avec l’auteur, le 28 juillet 2017.
», explique l’élu. « Elle cherchait à faire progresser les choses, à faire vivre le monde associatif, confirme Simone Uhl. Dès son arrivée, elle a posé beaucoup de questions. Ce n’était pas de la curiosité mais de la bienveillance. C’est une femme qui vous imprègne, qui agit par osmose. Je ne sais si elle s’intéressait déjà à la politique mais, à la vie des gens, c’est sûr [7] Ibid.
. » Si ce n’est que la politique va très vite la titiller également… Et après cette première croisade, carnée, elle se lance dans une autre campagne, municipale cette fois.
Baptême du feu électoral
En 1989, la ville s’apprête en effet à élire son nouveau maire. Un scrutin particulièrement important pour la commune : Roger Weiss n’est pas candidat à sa propre succession, et le siège qu’il occupe depuis 1965 est donc remis en jeu. Une course dans laquelle s’engage un concurrent imprévu. L’invité surprise ? C’est la liste « Truchtersheim demain », sur laquelle figure en bonne place une certaine Brigitte Auzière, près de cinq ans après son arrivée en Alsace. « Quand on a commencé à la voir à la télé, en 2015, je me suis dit : “Mince, c’est bizarre, je la connais cette dame [8] Entretien avec l’auteur, le 28 juillet 2017.
!” », nous raconte, l’œil rieur, Jeannine Briard, l’une de ses colistières. À quatre-vingt-trois ans, cette institutrice à la retraite se souvient parfaitement de sa rencontre avec la prof de lettres. « Au moment de l’élection, je la connaissais simplement de vue. Nous avions dû nous croiser au syndicat des enseignants de Strasbourg mais rien de plus. Et puis voilà qu’un jour elle sonne à ma porte avec mon médecin, le Dr Bronn, pour me recruter. Il fallait être quinze sur la liste et ils n’étaient que quatorze. » Seul problème : Jeannine Briard n’est pas disposée à battre la campagne. « Je lui ai dit que je n’en avais pas envie, que l’on se met toujours quelqu’un à dos dans une élection… Mais elle a insisté sur le fait que c’était une première pour elle aussi et que nous étions capables de siéger au conseil municipal. » Ces arguments n’ont pas tellement d’effet. Pas grave, la trentenaire aura Jeannine à l’usure… « Elle m’a tellement cassé les pieds que j’ai fini par me laisser faire ! Elle est très persévérante », en rit encore celle-ci.
L’équipe au complet, les choses sérieuses peuvent commencer, entre distributions de tracts et réunions stratégiques chez les uns et les autres, histoire de définir quelques idées fortes. Installation d’un skatepark, promesse d’encadrer les loyers des jeunes ménages, volonté de faire en sorte que « travailler, vivre et vieillir à Truchtersheim puisse se concrétiser harmonieusement et dans le respect de tous »… Les propositions de « Truchtersheim demain » se veulent fédératrices. Et pour rassembler un peu plus, la liste sera sans étiquette politique. Tant pis si, de l’avis général, les candidats sont majoritairement à droite… Brigitte Auzière la première. « Mon mari lui parlait parfois politique et, selon lui, elle n’avait pas des idées de gauche [9] Entretien avec l’auteur, le 29 juillet 2017.
! », nous explique une amie. Une orientation qui serait en tout cas conforme à la culture familiale. Chez les Trogneux, on vote traditionnellement plutôt à droite. Alors que l’enseignante fait campagne à Truchtersheim, les choses sont d’ailleurs claires chez elle, à Amiens. Toute sa tribu défend la candidature de l’UDF Gilles de Robien contre le communiste René Lamps, en poste depuis 1971. Et Jean Trogneux ne cessera de soutenir son champion après sa victoire.
Brigitte serait-elle alors de droite ? Plusieurs éléments vont dans ce sens, à l’époque comme aujourd’hui. Sa position sur certains sujets sociétaux par exemple. Contrairement à Emmanuel Macron – qui précisait à ses copains de lycée venir d’une famille « de tradition mendésiste » –, elle n’est pas issue de la gauche culturelle. Et elle affirme être « plus réac » que son mari. Sur la conception de la laïcité, elle se dit par exemple « plus radicale », elle qui s’est élevée contre le port du voile à l’université. « Je ne suis pas du tout tolérante, confiait-elle à la journaliste Anne Fulda. Je suis rentre-dedans et, je ne le cache pas, je suis terrifiée par ce qui se passe dans certaines banlieues, ces jeunes filles qui se font traiter de tous les noms, qui sont conditionnées [10] Anne Fulda, Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait , Plon, 2017.
. » Une vision de la laïcité qu’Alain Finkielkraut lui-même avait appréciée, la qualifiant d’« intransigeante », alors qu’ils en avaient tous deux discuté lors d’un dîner chez des relations communes.
De là à dire que Brigitte Macron n’était pas franchement hollandaise lors du dernier quinquennat, il n’y a qu’un pas… Que Nicolas Sarkozy aurait allègrement franchi, selon RTL. « Elle est très bien. Elle m’a dit qu’elle avait toujours voté pour moi », racontait-il à ses proches, après son dîner à l’Élysée du 5 juillet 2017. « Je n’ai jamais dit à personne pour qui je votais et je ne le dirai jamais, avait-elle alors répliqué en privé. Même pas à Emmanuel. » Le mystère ne semble cependant pas bien épais pour les proches du couple, qui la situent spontanément à droite.
Mais, en 1989, son intérêt est – déjà – de s’afficher sans étiquette. Une volonté de rassembler qui ne suffira pas pour Brigitte Auzière et ses colistiers : le 12 mars, leur liste s’incline dès le premier tour, et celle de Joseph Siegwald s’installe à la mairie. La faute notamment à un casting trop élitiste. Un médecin généraliste, un radiologue, deux enseignantes, un directeur de recherche au CNRS… « Truchtersheim demain » n’est pas vraiment en phase avec la population de la commune, à l’époque très rurale. « C’est bien simple : sur quinze personnes, nous étions treize intellectuels, reprend Jeannine Briard. Aujourd’hui, ce serait différent mais il y avait beaucoup plus de cultivateurs ici ! Et en face, nous avions M. Siegwald, qui était directeur du Crédit Agricole [11] Entretien avec l’auteur, le 28 juillet 2017.
. » « Ils n’avaient de toute façon aucune chance car beaucoup de leurs représentants n’étaient pas assez connus dans le village, analyse de son côté Justin Vogel, qui se trouvait alors sur la liste gagnante. Or la victoire était surtout fondée sur des personnalités. Mais à l’époque, on pouvait rayer un nom d’une liste et le remplacer par un autre. Et ils ont pu placer trois ou quatre personnes au conseil municipal [12] Ibid .
. » Malgré son implication pendant la campagne, Brigitte Auzière ne fera pas partie des repêchés.
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