« Je viens de faire une tournée de quelques jours et je me suis entretenu avec les officiers et les soldats. Le travail accompli au cours des dernières semaines est considérable. Je suis convaincu que l'ennemi en subira les conséquences s'il attaque, et qu'en définitive il n'obtiendra pas le succès qu'il escompte. »
Rommel n'apparaît guère comme un conspirateur anxieux qui a hâte de chasser Hitler et les nazis du pouvoir.
Il « passe le temps, fai[t] une promenade à cheval mais aujourd'hui m'en voilà fortement courbaturé. »
Il joue avec ses chiens qui le distraient.
Il est préoccupé par l'évolution du front italien.
Dans la nuit du 11 au 12 mai 1944, les Alliés ont lancé leur offensive générale sur le front du Garigliano.
Les succès remportés là par le corps expéditionnaire français du général Juin aboutissent en quelques jours à la rupture du front défensif allemand. Cassino, devant lequel on se bat depuis six mois, tombe le 18 mai entre les mains du corps polonais. Rome est à portée de main.
« Avant-hier, écrit Rommel le 19 mai, j'ai téléphoné au Führer pour la première fois. D'excellente humeur, il n'a pas ménagé ses louanges pour le travail que nous avons accompli à l'Ouest. J'espère bien continuer à un rythme plus rapide que précédemment. Il fait toujours froid, et enfin, il pleut. Voilà qui va forcer les Anglais à se montrer patients. J'attends encore pour savoir si je pourrai m'absenter quelques jours dans le courant du mois de juin. Pour le moment, il n'en est pas question. Malheureusement, la situation en Italie est inquiétante : l'énorme supériorité ennemie en artillerie et, surtout, en aviation a permis d'ouvrir une brèche dans notre front. »
Ce conspirateur, fort heureux des louanges que le Führer lui prodigue, se désole les jours suivants de ne pas disposer d'autant de moyens que l'ennemi.
« Hier, écrit-il le 11 mai 1944, grande activité dans le ciel. Nous autres, nous sommes livrés à nos seuls moyens. Aujourd'hui, c'est plus calme, jusqu'à maintenant tout au moins. Les succès remportés par l'ennemi en Italie sont déplorables. La situation sur le champ de bataille ne nous était pas défavorable, mais leur supériorité en avions et en munitions est écrasante, comme c'était le cas en Afrique. J'espère que les choses se passeront mieux à l'Ouest. Jusqu'ici, l'adversaire ne s'est encore livré à aucune préparation aérienne véritable et les dégâts provoqués par ses appareils, il y a quelques jours, ont été vite réparés... »
Rommel semble seulement reprocher à Hitler de ne pas lui donner les moyens d'être vainqueur !
Et c'est bien la défaite annoncée qui transforme en conspirateurs ces généraux, si enthousiastes en 1940, quand Rommel et Guderian à la tête de leurs blindés s'enfonçaient dans le corps meurtri de la France vaincue.
Le 29 mai, Rommel note :
« Reçu hier la visite de von Rundstedt. »
Le Feldmarschall, sans s'engager personnellement, soutient le complot des généraux.
Rommel ne laisse aucune trace écrite de leur conversation mais ajoute ce jour-là, dans son Journal :
« Dans l'après-midi, j'ai eu un entretien avec un officier anglais prisonnier, un homme aimable et sensé. »
14.
Rommel n'a rien appris de cet officier anglais.
D'ailleurs, le Feldmarschall n'a pas cherché à l'interroger avec insistance.
L'officier n'a évoqué que ses missions de bombardement, mais sans rien révéler qui puisse préciser le lieu de ce débarquement allié, sa date si proche, mais que les services de renseignements allemands sont incapables de situer.
Le colonel Georg Hansen, qui est passé de l'Abwehr au service de renseignements de Himmler - et qui est en relation avec Stauffenberg, - a seulement fait état de sa certitude que l'« invasion » pourrait avoir lieu n'importe quel jour en juin.
Mais où ?
Rommel, depuis le mois d'avril, signale la recrudescence des bombardements aériens sur la Normandie.
Il attire l'attention du Quartier Général, propose de concentrer des troupes dans cette région, entre l'Orne et la Vire, dans le Cotentin, dans les environs d'Avranches. Il demande à la marine de procéder sans délai au minage de la baie de Seine.
« Nous jouons le sort du peuple allemand », dit-il.
Il souhaite que l'on place sous son commandement unique toutes les forces défensives afin de pouvoir les lancer immédiatement contre l'ennemi à peine aura-t-il débarqué.
La bataille décisive se déroulera sur la côte.
Le Führer s'y refuse.
Et cependant, Hitler partage avec Rommel la conviction que le débarquement peut avoir lieu entre Caen et Cherbourg. Le Führer a étudié le dispositif des troupes anglaises et américaines en Angleterre, la nécessité pour le Commandement Suprême des Forces Expéditionnaires Alliées (SHAEF) de s'emparer rapidement d'un port qui pourrait être Cherbourg.
Les reconnaissances aériennes de la Luftwaffe, qui révèlent que les troupes alliées s'entraînent dans le Devon sur de larges plages de sable découvertes, confortent Hitler dans son intuition.
Le Feldmarschall von Rundstedt pense au contraire que le débarquement aura lieu entre Calais et Dieppe, là où la Manche est la plus étroite.
Et Rundstedt, commandant en chef sur le front occidental, est une voix qui compte.
D'autant plus que les Anglais ont monté plusieurs leurres afin de semer le trouble chez les Allemands. C'est le plan Fortitude.
Des « armées fantômes » - avions factices, chars gonflables, fausses barges de débarquement, faux états-majors échangeant des centaines de messages - ont été créées, placées de telle manière qu'elles paraissent prêtes à débarquer entre Boulogne et l'estuaire de la Somme, mais pas avant la seconde quinzaine de juillet.
D'autres « armées » paraissent destinées à débarquer autour de Bordeaux.
À la fin mai, un sosie de Montgomery se rend en visite à Gibraltar et à Alger, accréditant l'idée qu'un débarquement se prépare en Méditerranée.
Et des ordres laissent entendre qu'il y aura un débarquement de diversion en Normandie afin d'attirer les troupes allemandes vers l'Ouest alors que le débarquement principal interviendrait entre Boulogne et Calais.
L'écoute et le décryptage des messages allemands - la « machine ultra » de décryptage a encore été perfectionnée - confirment que les Allemands sont bernés par ce plan Fortitude. La réponse adoptée par le Grand Quartier Général est un compromis afin de faire face à ces différentes hypothèses.
Si bien que la puissance des Allemands - 58 divisions dont 10 de panzers - est fragmentée, d'autant plus que le Führer veut conserver le contrôle des opérations depuis Berchtesgaden !

Le général Eisenhower, commandant suprême de l'opération Overlord, n'est pas plus tranquille pour autant.
Son quartier général est installé à 8 kilomètres au sud de Portsmouth, le grand port où se concentrent tous les types de navires - croiseurs, destroyers, dragueurs de mines, navires de transport, barges de débarquement. Ils sont chargés de milliers d'hommes : les deux premières vagues d'assaut en comptent 175 000.
Eisenhower a passé en revue de nombreuses unités.
Il n'a pas senti l'enthousiasme. Les meilleurs soldats sont au combat depuis des années. C'est le cas des Britanniques de la Durham Light lnfantry qui protestent quand Montgomery leur annonce, comme un honneur, qu'ils feront partie de la première vague, puisqu'ils sont les meilleurs !
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