« Le Führer vous a confié un devoir d'une importance historique.
« La XVII earmée tient Sébastopol et à Sébastopol les Soviets seront taillés en pièces. »
Le 5 mai, les Russes attaquent la crête de Sapoun, une colline qui domine d'une soixantaine de mètres Sébastopol. C'est « la clé de Sébastopol ».
L'armée Rouge écrase ses défenseurs sous le feu de centaines de mortiers. Les bombardements aériens durent plusieurs heures. Puis, les lignes de tranchées ayant été bouleversées, transformées en fosses, l'infanterie lance son « Hourra ! ».
Les pertes sont de part et d'autre considérables.
Le 9 mai, Hitler se résigne à donner l'ordre d'évacuation. Il est trop tard. Les 50 000 Allemands laissés dans l'enceinte de la ville sont condamnés à mourir.
De petits navires allemands s'approchent des côtes et tentent d'évacuer les soldats pris au piège. Mais ils sont coulés par les Russes. L'aviation mitraille les radeaux sur lesquels les Allemands essaient de fuir.
L'artillerie pilonne les défenseurs qui commencent à se rendre par groupes.
Des milliers de blessés agonisent sur le promontoire de Sébastopol. Sept cent cinquante SS s'y sont rassemblés autour du phare et refusent de se rendre.
Ceux qui ne sont pas tués par les Russes se suicident.
Ici, à Sébastopol, dans toute la Crimée, on a le sentiment de piétiner des épaisseurs d'ossements : ceux de la guerre de 1855, ceux de la révolte de la flotte de la mer Noire - en 1905, - ceux de 1917 et de 1920, et ceux de 1941-1942, lors du siège de Sébastopol par les nazis.
Et il y avait eu les victimes de la Gestapo, dont les policiers étaient assistés par les Tatars de la Crimée, hostiles aux Russes.
Ces Tatars désignent aux Allemands les soldats russes qui, après la chute de Sébastopol en 1942, ont revêtu des vêtements civils.
En mai 1944, Staline exige qu'on châtie les Tatars de manière exemplaire, qu'on les déporte tous. Qu'ils subissent le sort des Allemands de la Volga eux aussi chassés de leurs terres colonisées depuis deux siècles et même plus !
Partout l'odeur de mort.
Le sol est jonché de casques, de fusils, de baïonnettes allemandes.
Autour du promontoire et de son phare, la mer est couverte des cadavres auxquels les vagues redonnent un semblant de vie.
Sur la terre, le vent empuanti par la mort disperse les photographies, les lettres, les carnets et les cahiers chargés de tous ces destins que la guerre a écrasés.
Le 1 ermai 1944, Staline, dans son ordre du jour, salue l'effort des Alliés « qui tiennent un front en Italie et éloignent ainsi de nous des forces allemandes considérables. En outre, ils nous livrent un excellent matériel de guerre et bombardent systématiquement des objectifs militaires en Allemagne, dont ils minent ainsi le potentiel militaire... ».
En évoquant les efforts communs de l'URSS, des États-Unis et de la Grande-Bretagne, Staline conclut :
« Seule une telle offensive combinée peut abattre l'Allemagne hitlérienne. »
Il n'y aura donc pas de rupture de la Grande Alliance, et pas de paix de compromis.
Les trois Alliés affirment qu'ils veulent « la libération de l'Europe et l'écrasement de l'Allemagne hitlérienne sur son propre sol ».
13.
Cet ordre du jour de Staline, le Feldmarschall Erwin Rommel en a eu connaissance mais n'y a guère prêté attention. Il s'en est cependant ouvert à son nouveau chef d'état-major, le général Hans Speidel.
Il a toute confiance en cet officier qui est docteur en philosophie de l'université de Tübingen.
Speidel, lorsqu'il a été reçu par Rommel pour la première fois, lui a révélé qu'il fait partie d'un groupe d'officiers - les généraux von Falkenhausen, von Stülpnagel, von Tresckow, Schlabrendorff, Beck, Wagner, et tant d'autres - décidés à renverser Hitler.
L'un des conspirateurs, le lieutenant-colonel Klaus Stauffenberg, a déjà voulu, le 26 décembre 1943, faire exploser une bombe au Grand Quartier Général du Führer, mais celui-ci n'a pas participé à la réunion prévue.
En 1943, Rommel a connu Stauffenberg en Tunisie. Cet officier y était arrivé de Russie. Il semblait révolté par les exterminations massives de civils, de Juifs, dont il avait eu connaissance. Issu d'une famille aristocratique, catholique fervent, il était déterminé à agir pour renverser Hitler.
Mais le 7 avril 1943, sa voiture avait sauté sur un champ de mines et il avait été grièvement blessé, perdant l'œil gauche, la main droite, deux doigts de la main gauche ; son oreille et son genou gauches avaient été atteints. Guéri, il avait demandé à être admis dans le service actif avec un seul but : tuer Hitler.
Il avait confié à sa femme, la comtesse Nina, mère de ses quatre enfants :
« Je dois faire quelque chose pour sauver l'Allemagne. Nous autres, officiers de l'état-major général, nous devons tous prendre notre part de responsabilités. »
La première tentative d'attentat avait donc échoué le 26 décembre 1943.

La résolution de Stauffenberg n'avait pas faibli.
Un proche de Rommel, Karl Stroelin, avait, dès février 1944, évoqué avec le Feldmarschall cette conspiration des généraux contre Hitler.
« Vous êtes notre plus grand général, le plus populaire aussi, a-t-il dit à Rommel, et le plus respecté à l'étranger. Vous êtes le seul à pouvoir empêcher cette guerre civile en Allemagne. Il faut que vous prêtiez votre nom au mouvement. » Rommel, après quelques instants d'hésitation, répond :
« Je crois qu'il est de mon devoir de venir au secours de l'Allemagne. »
Mais Rommel est hostile à l'assassinat de Hitler. Tuer le dictateur en ferait un martyr.
« Il faut le faire arrêter par l'armée, et le faire comparaître devant un tribunal allemand pour les crimes commis contre son propre peuple et contre les populations des pays occupés. »
Le Feldmarschall von Rundstedt, auquel Rommel fait part de l'existence d'un « mouvement » parmi les généraux et de son intention d'y participer, l'approuve :
« Rommel, vous êtes jeune, vous connaissez et vous aimez le peuple. C'est donc à vous d'agir. »
Le général Speidel, à la fin du mois de mai 1944, expose à Rommel les principaux points du programme qui serait appliqué après l'arrestation de Hitler et le renversement du gouvernement nazi :
« Pas de dictature militaire, mais un gouvernement représentatif des forces de résistance. Armistice immédiat avec les Alliés occidentaux. Pas de reddition inconditionnelle. Préparation d'une paix constructive dans le cadre d'États-Unis européens.
« À l'Est, continuation de la guerre. Maintien d'un front défensif raccourci entre l'embouchure du Danube, les Carpates, la Vistule et Memel.
« Des troupes allemandes s'empareraient du secteur de Munich et encercleraient Hitler dans son réduit de l'Obersalzberg. »
Personne parmi ces généraux et ces personnalités civiles - Cari Goerdeler, Karl Stroelin - n'imagine que les Trois Grands restent unis.
Et Rommel note avec satisfaction dans son Journal, le 27 avril 1944 :
« On dirait que les Anglais et les Américains vont nous faire la grâce de s'abstenir encore un certain temps. Ce délai a une valeur capitale pour l'état de nos défenses côtières. Nous nous renforçons quotidiennement sur terre tout au moins, car dans les airs nous ne pouvons en dire autant. Cependant, le moment venu, les choses tourneront là aussi à notre avantage... »
Le 15 mai, il se félicite du nouveau délai :
« Nous sommes déjà à la mi-mai et rien ne se produit. Pourtant, il semble qu'en Italie l'ennemi ait lancé une offensive en tenailles qui pourrait être le prélude aux grands événements du printemps ou de l'été.
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