— Si bien que son histoire pourrait être une comédie. »
Roy haussa les épaules. Que pouvons-nous y faire ?
Il lui fallut les deux mains pour tourner le bouton de la grande porte, et ils poussèrent tous les deux pour l’ouvrir.
Vertige.
Ils se trouvaient au seuil d’un vaste espace vide, véritable labyrinthe d’escaliers, de paliers et d’autres escaliers. Par des portes ouvertes, ils entrevirent des jardins. Une vingtaine de mannequins sans visage escaladaient les escaliers, les redescendaient, s’arrêtaient sur les paliers, se promenaient dans les jardins…
… mais ils se tenaient debout à tous les angles. Les deux tiers des paliers étaient verticaux. De même que les jardins. Les mannequins étaient indifférents à cette verticalité ; deux d’entre eux gravirent un escalier dans le même sens, l’un pour monter, l’autre pour descendre…
De quelque part au-dessus de Roy et d’Alice, la voix de Brennan tonna : « Bonjour ! Montez donc. Reconnaissez-vous cela ? »
Ils ne répondirent ni l’un ni l’autre.
« C’est la Relativité d’Esher. C’est l’unique copie de quelque chose que vous trouverez à Kobold. J’avais pensé à exécuter la Madone de Port Lligat , mais je n’avais pas la place.
— Jésus ! » Murmura Roy. Puis il s’écria : « Aviez-vous envisagé d’installer une Madone de Port Lligat à Port Lligat ?
— Naturellement ! » Une note de gaieté dans la voix tonnante. « Mais j’aurais épouvanté quantité de gens. Je n’ai pas voulu faire autant de vagues. Je n’aurais même jamais dû réaliser un faux Stonehenge.
— Non seulement nous avons trouvé Vandervecken, chuchota Alice, mais nous avons trouvé Finagle en personne ! » Roy éclata de rire.
« Montez donc ! Beugla Brennan. Cela nous évitera d’avoir à crier. Ne vous préoccupez pas de la pesanteur. Elle s’adapte.
Ils étaient épuisés quand ils arrivèrent en haut de la tour. La « Relativité d’Esher » s’achevait par un escalier en spirale qui semblait sans fin, derrière des fenêtres si étroites qu’elles évoquaient irrésistiblement une protection contre des flèches d’archers.
La salle, ou ils débouchèrent, était obscure et à ciel ouvert. Par un caprice de Brennan, son toit et ses murs de côté paraissaient fracassés par des rochers qu’auraient expédiés des balistes. Mais le ciel n’était pas le ciel de la Terre. Des soleils y brillaient d’un éclat éblouissant, diabolique, et ils étaient terriblement proches.
Brennan se détourna de ses commandes – un panneau d’instruments haut de deux mètres et long de quatre, hérissé de lampes, de leviers et de cadrans. Sous la lumière pâle des soleils, il avait l’air d’un savant fou d’autrefois, chauve et défiguré, en quête d’un savoir, quel que fût le prix à payer pour lui-même ou pour le monde.
Alice avait les yeux fixés sur le ciel altéré. Mais Roy s’inclina très bas pour dire : « Merlin, le roi te mande en sa présence !
— Dites à cette vieille buse, répondit Brennan d’un ton sec, que je ne pourrai pas lui fabriquer d’or avant que les cargaisons de plomb arrivent du Northumberland ! En attendant, comment trouvez-vous mon télescope ?
— Tout le ciel ? demanda Alice.
— « Étendez-vous, Alice. Vous vous tordrez le cou dans cette position. C’est un objectif à pesanteur. » Il vit leur ahurissement. « Vous savez qu’un champ de pesanteur courbe la lumière ? Bon. Je peux créer un champ qui gauchit la lumière en un foyer. Il est lenticulaire, il a la forme d’une plaquette sanguine. Voilà comment j’obtiens ma lumière solaire. Sol vu par un objectif à pesanteur avec une lentille de diffusion pour me donner un ciel bleu. Un bénéfice marginal est que l’objectif disperse la lumière allant dans l’autre sens, de sorte que l’on ne voit pas Kobold avant de passer juste au-dessus. »
Roy leva les yeux vers les soleils tout proches. « Voilà un beau résultat.
— C’est le Sagittaire, dans la direction du noyau galactique. Je n’ai pas encore trouvé ce maudit vaisseau, mais il fait route sur de jolies lumières, n’est-ce pas ? » Brennan toucha une commande, et le ciel se mit à glisser pour les dépasser, comme à l’intérieur d’un vaisseau spatial qui, plus rapide que la lumière, se déplacerait à travers un amas circulaire.
« Qu’arrivera-t-il quand vous l’aurez trouvé ? s’enquit Roy.
— Je vous l’ai dit. J’ai tout répété dans ma tête une centaine de fois. C’est comme si je l’avais vécu auparavant, de toutes les manières possibles. Mon astronef est une copie de celui dont s’est servi Phssthpok, à quelques raffinements près. Je peux monter à trois pesanteurs avec le statoréacteur seul, et j’ai mis deux cents ans de travail sur les armes dans la capsule de fret.
— Je pense tout de même…
— Je sais ce que vous pensez. C’est en partie à cause de moi que vous n’avez pas eu de guerres depuis si longtemps. Vous êtes donc devenus un peu mous, et cela vous rend encore plus aimables, tant mieux. Mais nous sommes dans une situation de guerre.
— Vraiment ?
— Que savez-vous sur les Pak ?
Roy ne répondit pas.
« Un vaisseau Pak va arriver. Si le Pak en question découvre jamais la vérité sur nous, il essaiera de nous exterminer. Il peut réussir. Que diable, je vous l’ai dit ! Je suis le seul homme à avoir jamais rencontré un Pak. Je suis le seul homme qui pourrait jamais en comprendre un. »
Roy se hérissa. L’arrogance de ce type ! « Alors où est-il, ô Brennan l’omniscient ? »
Un autre aurait pu hésiter, être gêné. Pas Brennan. « Je ne le sais pas encore.
— Où devrait-il être ?
— Sur sa route vers Alpha du Centaure. D’après la force du signal… » Brennan manipula un instrument, et le ciel dériva brusquement à côté d’eux en sillons de lumière. Roy battit des paupières, lutta contre un vertige.
Les étoiles tremblèrent en s’arrêtant. « Là. Au milieu.
— Est-ce de là que viennent vos curieux produits chimiques ?
— Plus ou moins. Ce n’est pas exactement une source centrale.
— Pourquoi Alpha du Centaure ?
— Parce que Phssthpok serait allé presque dans la direction opposée. La plupart des étoiles naines jaunes des environs sont du même côté de Sol. Les soleils du Centaure constituent une exception.
— Ainsi, ce deuxième Pak chercherait autour du système du Centaure, et s’il ne trouvait pas Wunderland, il poursuivrait sa route en s’éloignant de Sol.
— C’était ma meilleure hypothèse. Mais, dit Brennan, la direction de ses jets de gaz montre qu’il arrive tout droit. Je dois supposer maintenant qu’il a attendu que Phssthpok s’en aille d’ici. J’ai expédie le vaisseau de Phssthpok vers Wunderland. Je dois supposer que cette astuce ne l’a pas dupé. Si Phssthpok n’est pas parti d’ici, c’est peut-être parce qu’il a trouvé ce qu’il cherchait. Donc, Pak numéro 2 va arriver ici.
— Et où serait-il à présent ? »
Le ciel dériva encore une fois. Des soleils brillants accompagnés de petits soleils, de gaz un peu lumineux et de nuages de poussière, tout un panorama de l’univers se déroula et s’immobilisa. « Là.
— Je ne le vois pas.
— Moi non plus.
— Par conséquent, vous ne l’avez pas trouvé. Prétendez-vous encore comprendre les Pak ?
— Oui. » Brennan n’hésita pas un instant. Pendant tout le temps qu’il le connut, Roy Truesdale ne le vit hésiter qu’en une seule occasion. « S’ils font quelque chose d’imprévu, c’est à cause d’un changement dans leur environnement.
— Pourrait-il y avoir beaucoup de vaisseaux ? interrogea soudain Alice.
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