— Enchantée », dit Laura, machinalement. Elle faillit se lever pour leur serrer la main, se reprit juste à temps. « Et voici le Dr Selous… elle est très fatiguée, j’en ai peur.
— Quoi d’étonnant, n’est-ce pas ? Elle revient de loin…
— Mme Frolova a d’excellentes nouvelles pour nous, annonça Mbaqane. Un cessez-le-feu a été déclaré. Le camp est hors de danger ! Il semble que le régime malien soit prêt à rechercher la paix !
— Waouh ! dit Laura. Est-ce qu’ils restituent les bombes ? »
Silence gêné.
« Question bien naturelle, dit Frolova. Mais il y a eu quelques erreurs. En toute bonne foi. » Elle secoua la tête. « Il n’y a pas de bombes, madame Webster. »
Laura se leva d’un bond. « Je m’y attendais !
— Asseyez-vous, je vous prie, madame Webster !
— Madame Frolova – Tamara – laissez-moi m’adresser à l’être humain en vous. Je ne sais pas ce que vos patrons vous ont ordonné de dire, mais c’est fini désormais. Vous ne pouvez plus vous défiler plus longtemps. »
Le visage de Frolova se figea. « Je sais que vous avez subi une rude épreuve, madame Webster. Laura. Mais il ne faudrait pas agir de manière irresponsable. Vous devez réfléchir d’abord. Des allégations téméraires du genre de celle-ci… voilà qui constitue un danger manifeste pour l’ordre international.
— Ils étaient en train de me conduire – nous conduire toutes les deux – sur un site d’essais atomiques ! Pour exercer un chantage nucléaire ! Sur l’Azanie, cette fois-ci – Dieu sait à quel point ils vous ont déjà intimidés…
— La zone que vous avez vue n’était pas un site d’essais.
— Cessez d’être stupide à ce point ! Il n’y a même pas besoin de passer la bande de Gresham. Vous avez peut-être embobiné ces pauvres toubibs mais les agents azaniens ne vont pas se payer de mots. Ils voudront survoler le désert pour examiner le cratère.
— Je suis sûre qu’on pourra parvenir à un accord ! dit Frolova. Une fois apaisées les présentes hostilités. »
Laura rit. « Je savais aussi que vous diriez ça. C’est un accord que vous ne réaliserez jamais, si vous pouvez l’éviter. Seulement, la couverture est déjà tombée. Vous avez oublié une chose : c’est que nous, nous y étions ! L’air était chargé de poussière. On pourra tester nos habits, on y détectera de la radioactivité. Pas beaucoup, peut-être, mais assez pour que ce soit probant. » Elle se tourna vers Mbaqane. « Ne les laissez pas approcher de ces vêtements. Parce qu’ils mettront la main sur les preuves après avoir mis la main sur nous.
— Nous ne “mettons la main” sur personne », dit Frolova.
Mbaqane se racla la gorge. « Vous avez bien dit que vous les vouliez pour une confrontation. Un interrogatoire.
— Les vêtements ne prouvent rien ! Ces femmes ont été aux mains d’un provocateur et d’un terroriste ! Il a déjà commis un grave crime contre l’information, avec l’aide de Mme Webster ! Et maintenant que je l’entends, je constate que ce n’était pas une aide involontaire. » Elle se tourna vers Laura. « Madame Webster, je dois vous interdire de parler plus avant ! Vous êtes en état d’arrestation !
— Bonté divine ! s’exclama Mbaqane. Vous ne parlez quand même pas de ce journaliste ?
— Cette femme est son complice ! Monsieur Easton ! Dégainez votre arme, je vous prie. »
Easton sortit un entraveur de sous son aisselle.
Katje ouvrit les yeux. « Tous ces cris… s’il vous plaît, ne tirez pas sur moi, non plus. »
Laura rit avec insouciance. « C’est trop drôle… c’est complètement ridicule ! Tamara, écoutez un peu ce que vous êtes en train de dire. Gresham nous a sauvées des geôles de la mort maliennes – donc, il a pu saupoudrer nos vêtements d’uranium tamisé ! Vous imaginez que quelqu’un va croire un truc pareil ? Qu’est-ce que vous allez raconter une fois que le Mali aura atomisé Pretoria ? Vous devriez avoir honte ! »
Barnaard s’adressa aux Viennois. Perplexe. « Vous nous avez quand même encouragés à attaquer le Mali. Vous disiez que nous aurions votre soutien – en secret. Vous disiez – Vienne disait – que nous étions la grande puissance de l’Afrique, et que nous devrions restaurer l’ordre… Mais vous… » Sa voix tremblait. « Vous saviez qu’ils avaient la bombe ! Vous vouliez voir s’ils oseraient l’utiliser contre nous !
— Je proteste avec la plus grande fermeté contre cette accusation indigne ! Aucun d’entre vous n’est diplomate international, vous agissez sans la moindre expérience…
— Quel niveau devons-nous avoir avant d’être admis à vous juger ? » demanda Laura.
Easton braqua son pistolet. Mbaqane lui frappa le poing et l’arme tomba avec bruit. Les deux hommes se dévisagèrent, interloqués. Mbaqane retrouva sa voix : une voix blanche, perçante. « Capitaine ! Arrêtez-moi ces gredins sur-le-champ !
— Directeur Mbaqane, gronda le capitaine. Vous êtes un civil. Je ne reçois d’ordres que de Pretoria.
— Vous ne pouvez pas nous arrêter ! dit Frolova. Vous n’avez aucun droit ! »
Le capitaine reprit la parole. « Mais j’accepte volontiers votre suggestion. Pour un soldat azanien, la voie que dicte l’honneur est évidente. » Il dégaina son pistolet calibre 45 et braqua le canon contre la tempe de M. Neguib. « Jetez votre arme. »
Neguib dégaina prudemment son pistolet-entraveur. « Vous êtes en train de créer un sérieux incident international.
— Nos diplomates s’excuseront si vous me contraignez à ouvrir le feu. »
Neguib lâcha son arme.
« Sortez de cette clinique. Gardez les mains bien en vue. Mes hommes vont vous incarcérer. »
Il les guida lentement vers la porte.
Barnaard ne put retenir un sarcasme. « Avez-vous oublié que notre pays possède aussi de l’uranium ? » Frolova pivota sur place. Elle tendit le bras, le doigt pointé vers Laura. « Vous voyez ? vous voyez à présent ? Ça recommence ! »
Elle sema les journalistes à l’aéroport de Galveston. Elle commençait à avoir pris le coup. Ils n’étaient pas aussi acharnés qu’au début et savaient qu’ils pourraient la récupérer bientôt.
« Bienvenue à la Cité de la Joie, lui dit le monocorps. Alfred A. Magruder, maire. Veuillez indiquer clairement votre destination dans le micro. Anunce usted…
— Loge de Rizome. »
Elle mit la radio, intercepta la dernière moitié d’une nouvelle chanson pop. Les gravats roulent à Bamako. Une musique âpre, rythmée, frénétique. Bizarre comme ce style était vite revenu à la mode. Exotisme, nervosité, vigueur guerrière.
La ville n’avait pas beaucoup changé. On ne lui laissait guère de marge. Les mêmes vieilles bâtisses imposantes, les mêmes palmiers, les mêmes foules de Houstoniens, éclaircies par le front froid de décembre.
L’Église d’Ishtar faisait désormais ouvertement sa publicité. Elle était devenue presque respectable, florissante malgré tout en ce temps de putes et de guerres. De ce côté, Carlotta avait eu raison. Elle songea à la jeune femme, perdue quelque part dans son demi-monde sacré, souriant de son sourire radieux et drogué, battant des paupières pour appâter quelque client. Peut-être que leurs chemins se croiseraient à nouveau, un jour, quelque part, d’une manière ou d’une autre, mais Laura en doutait. Le monde était plein de Carlotta, plein de femmes dont la vie ne leur appartenait pas. Elle ne connaissait même pas son vrai nom.
La mer était grosse, traîne d’une dépression tropicale venue se briser sur la côte texane en vagues brumeuses et déchiquetées. Des surfeurs décidés s’étaient mis à l’eau avec leur combinaison transparente. Plus de la moitié d’entre eux avaient la peau noire.
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