« Mais vous vouliez que j’aille voir Hinrik. Seulement, dans des circonstances normales, il n’y avait aucune raison pour que je fasse ce que vous désiriez. Il y avait peu de chances pour que je vienne vous demander conseil. A moins, bien entendu, que vous ne fabriquiez une situation appropriée. Et c’est précisément ce que vous avez fait !
« Je pensais avoir réellement été la victime d’un attentat contre ma vie, et j’étais incapable de m’imaginer pourquoi. Mais vous m’avez fourni une explication. Et apparemment, vous m’avez sauvé la vie. Vous sembliez tout savoir, y compris ce que je devais faire. J’étais désorienté, je n’y comprenais plus rien. J’ai suivi votre conseil.
Biron s’arrêta pour reprendre sa respiration, et attendit une réponse. Elle ne vint pas. Il se mit à crier :
— Vous ne m’aviez pas dit que le paquebot sur lequel je quittais la Terre battait pavillon Rhodien, et que vous aviez veillé à ce que le capitaine soit informé de ma véritable identité. Vous ne m’aviez pas expliqué que votre but était de me faire arrêter par les Tyranni dès mon arrivée sur Rhodia. Vous ne le niez tout de même pas ?
Il y eut un long silence, pendant lequel Jonti écrasa son mégot.
Gillbret se frotta nerveusement les mains.
— Biron, ne soyez pas ridicule. Jamais l’Autarque n’agirait…
A ce moment, Jonti releva la tête et dit d’une voix calme :
— Mais si. Je reconnais tout. Vous avez entièrement raison, Biron, et je vous félicite de votre perspicacité. La bombe était factice, et c’est moi qui l’avais cachée chez vous, et ensuite, je vous ai envoyé à Rhodia dans le but de vous faire arrêter par les Tyranni.
Le visage de Biron s’éclaircit. Soudain, la vie avait repris une signification.
— Un jour, Jonti, je règlerai mon compte avec vous. Mais pour le moment, il semble que vous soyez l’Autarque de Lingane, et trois vaisseaux vous attendent. Je n’ai donc pas les mains libres, comme je le désirerais. Toutefois le Sans Remords est mon vaisseau. Remettez votre combinaison, et sortez. Le filin est toujours en place.
— Ce n’est pas votre vaisseau. Vous êtes un pirate.
— Ici, la possession fait loi. Vous avez cinq minutes pour mettre votre combinaison.
— Allons, pas de drame inutile. Nous avons besoin l’un de l’autre, et je n’ai nullement l’intention de partir.
— Je n’ai aucun besoin de vous ! Même si la flotte Tyrannienne fondait sur nous et que vous ayez le pouvoir de la détruire, je n’aurais pas besoin de vous.
— Farrill, dit Jonti. Vous parlez et agissez comme un gosse. Je vous ai laissé faire. Maintenant, c’est à mon tour.
— Non. Je ne vois aucune raison de vous écouter.
— En voyez-vous une, maintenant ?
Artémisia étouffa un cri. Biron commença à faire un pas en avant, puis s’arrêta net.
— Désolé, dit l’Autarque mais je prends mes précautions. Utiliser la menace armée est sans doute un procédé bien barbare, mais au moins cela vous contraindra à m’écouter.
L’arme qu’il tenait au poing était un atomiseur. Ce n’était pas une arme destinée à paralyser ou à faire mal, mais à tuer !
— Depuis des années, continua Jonti, j’organise Lingane contre les Tyranni. Comprenez-vous ce que cela signifie ? C’est une tâche presque impossible. On ne peut attendre aucune aide des Royaumes de l’Intérieur. Les Royaumes Nébulaires ne doivent compter que sur eux-mêmes. Une longue expérience nous l’a appris, mais il n’est pas facile d’en convaincre les chefs planétaires. Votre père a essayé ; il l’a payé de sa vie. Ce n’est pas un jeu de tout repos, croyez-moi.
« La capture de votre père nous a porté un rude coup. De plus, cela prouvait que les Tyranni étaient sur nos traces. Il fallait les mettre sur une fausse piste. C’était tellement vital que nous ne pouvions nous embarrasser d’honneur et d’intégrité.
« Il m’était impossible de vous dire : Farrill, nous devons mettre les Tyranni sur une fausse piste. Etant le fils du Rancher, vous êtes a priori suspect. Prenez contact avec Hinrik, pour détourner les Tyranni de Lingane. Cela sera dangereux, vous y perdrez peut-être la vie, mais l’idéal pour lequel votre père est mort passe en premier.
« Peut-être auriez-vous accepté, d’ailleurs, mais je ne pouvais pas courir le risque d’un refus. J’ai donc manœuvré pour vous amener à le faire. Ce fut dur pour vous, c’est certain. Mais je n’avais pas le choix. Je vous avoue franchement que je ne pensais pas que vous vous en tireriez. Mais il se trouve que vous avez survécu, et j’en suis sincèrement heureux.
« D’autre part, il y avait un certain document…
— Quel document ? demanda Biron.
— Voyons, Farrill, je vous avais dit que votre père travaillait pour moi. Je savais donc tout ce qu’il savait. Il vous avait chargé de lui procurer ce document. Au départ, vous paraissiez tout indiqué pour cette tâche. Vous aviez une raison légitime pour séjourner sur Terre, vous étiez jeune et ne risquiez pas d’attirer les soupçons. J’ai bien dit : vous paraissiez…
« Mais, dès l’instant où votre père a été arrêté, vous deveniez dangereux et suspect en diable. Il ne fallait donc pas que ce document tombe entre vos mains, car il risquait alors de tomber entre les leurs. Pour cela aussi, il fallait vous éloigner de la Terre avant que vous ayez mené votre mission à bien. Comme vous voyez, tout se tient.
— C’est donc vous qui l’avez maintenant ?
— Non, dit l’Autarque. Un document qui est peut-être celui que nous cherchons a disparu de la Terre depuis des années. Nous ignorons qui le possède maintenant. Puis-je remettre cette arme dans ma poche ? Je commence à avoir le poignet fatigué.
— Vous pouvez, dit Biron.
Cela fait, l’Autarque reprit :
— Que vous a dit exactement votre père sur ce document ?
— Rien que vous ne sachiez, puisqu’il travaillait pour vous.
— Très juste ! dit l’Autarque, mais son sourire n’était pas sincère.
— Avez-vous terminé vos explications, maintenant ?
— Oui.
— Dans ce cas, quittez ce vaisseau.
— Un moment, Biron, intervint Gillbret. Votre susceptibilité personnelle n’est pas seule en jeu. Il y a aussi Artémisia et moi, et nous avons notre mot à dire. En ce qui me concerne, je trouve que ce qu’a dit l’Autarque est très sensé. Je vous rappellerai que, sur Rhodia, je vous ai sauvé la vie, et que mon opinion mérite d’être prise en considération.
— D’accord, vous m’avez sauvé la vie ! cria Biron, le bras tendu vers le sas. Eh bien, partez avec lui, alors ! Allez-y ! Vous vouliez voir l’Autarque, le voilà ! J’avais accepté de vous piloter, c’est fait, et je ne vous dois plus rien. Et ne vous avisez pas de me donner des conseils !
Il se tourna vers Artémisia, sa colère pas encore retombée :
— Et vous ? Vous aussi, vous m’avez sauvé la vie. Tout le monde passe son temps à me sauver la vie. Vous voulez l’accompagner aussi sur son vaisseau ?
— Ne vous emportez pas comme cela, Biron. Si je voulais les accompagner, je le dirais.
— Ne vous croyez obligée à rien. Vous pouvez partir si vous le désirez.
Elle se détourna, blessée. Comme d’habitude, la raison de Biron lui disait bien que son comportement était puéril. Seulement Jonti l’avait rendu ridicule devant les autres, et son ressentiment était trop fort. Et d’ailleurs, comment accepter calmement la thèse selon laquelle c’était parfaitement justifié de jeter Biron Farrill aux Tyranni, comme on jette un os à un chien, et cela dans l’unique but de les éloigner de Jonti. Pour qui le prenait-on, à la fin ! Plus il s’apitoyait sur son sort, plus sa colère montait.
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