— Et pourquoi se sont-ils mariés, s’ils ne s’aimaient pas ?
— Votre aïeul l’a ordonné. Une sorcière de la forêt lui avait prédit que le prince promis naîtrait de cette lignée.
— Une sorcière de la forêt ? » Daenerys était stupéfaite.
« Elle est venue à la cour avec Jenny de Vieilles-Pierres.
Une créature contrefaite, grotesque à regarder. Une naine, ont dit la plupart des gens, quoique chère à lady Jenny, qui a toujours prétendu qu’il s’agissait d’un des enfants de la forêt.
— Qu’est-elle devenue ?
— Lestival. » Le mot était empli de fatalité.
Daenerys poussa un soupir. « Laissez-moi, à présent. Je suis très lasse.
— À vos ordres. » Ser Barristan s’inclina et se tourna pour partir. Mais à la porte, il s’arrêta. « Pardonnez-moi. Votre Grâce a un visiteur. Dois-je lui dire de revenir demain ?
— Qui est-ce ?
— Naharis. Les Corbeaux Tornade sont revenus en ville. »
Daario. Son cœur palpita dans sa poitrine. « Depuis combien de temps est-il… Quand est-il… » Elle paraissait incapable de laisser sortir les mots.
Ser Barristan parut comprendre. « Votre Grâce se trouvait en compagnie de la prêtresse quand il est arrivé. Je savais que vous ne voudriez pas être dérangée. Les nouvelles du capitaine peuvent attendre à demain.
— Non. » Comment pourrais-je jamais espérer dormir, en sachant mon capitaine si proche ? « Faites-le monter sur-le-champ. Et… je n’aurai plus besoin de vous ce soir. Je serai en sécurité avec Daario. Oh, et soyez assez aimable pour m’envoyer Irri et Jhiqui. Et Missandei. » J’ai besoin de me changer, de me faire belle.
C’est ce qu’elle dit à ses caméristes à leur arrivée. « Que souhaite porter Votre Grâce ? » demanda Missandei.
Le feu des étoiles et l’écume des mers, songea Daenerys, une bouffée de soie qui laisse mon sein gauche découvert pour le délice de Daario. Oh, et des fleurs dans mes cheveux. Aux débuts de leur rencontre, le capitaine lui apportait chaque jour des fleurs, de Yunkaï jusqu’à Meereen. « Apportez la robe en lin gris avec les perles sur le corsage. Oh, et ma peau de lion blanc. » Elle se sentait toujours plus en sécurité enveloppée dans la peau de lion de Drogo.
Daenerys reçut le capitaine sur sa terrasse, assise sur un banc de pierre sculptée, sous un poirier. Dans le ciel au-dessus de la cité, flottait une demi-lune escortée de mille étoiles. Daario Naharis entra en se pavanant. Même immobile, il semble se pavaner. Le capitaine portait des culottes rayées enfoncées dans de hautes bottes en cuir mauve, une chemise de soie blanche, un gilet d’anneaux d’or. Sa barbe en trident était mauve, ses extravagantes moustaches dorées, ses longues boucles des deux couleurs, à parts égales. Sur une hanche, il portait un stylet, sur l’autre un arakh dothraki. « Lumineuse reine, annonça-t-il, vous avez encore crû en beauté durant mon absence. Comment est-ce possible ? »
La reine était habituée à de telles louanges, mais cependant le compliment avait plus de signification venant de Daario que de gens comme Reznak, Xaro ou Hizdahr. « Capitaine. On nous dit que vous nous avez rendu de fiers services à Lhazar. » Tu m’as tellement manqué.
« Votre capitaine vit pour le service de sa cruelle reine.
— Cruelle ? »
Le clair de lune se refléta dans les prunelles de l’homme. « Il a galopé en avance de tous ses hommes afin de voir plus tôt son visage, pour se retrouver à languir tandis qu’elle mangeait de l’agneau et des figues avec une vieille femme flétrie. »
On ne m’a pas prévenue que tu étais ici, songea Daenerys, sinon j’aurais pu me conduire comme une idiote et te faire venir immédiatement. « Je soupais avec la Grâce Verte. » Il parut plus judicieux de ne pas évoquer Hizdahr. « J’avais un urgent besoin de ses sages conseils.
— Je n’ai qu’un urgent besoin : Daenerys.
— Dois-je faire venir à manger ? Vous devez avoir faim.
— Je n’ai pas mangé depuis deux jours, mais à présent que je suis ici, il n’est besoin que de me régaler de votre beauté.
— Ma beauté ne vous remplira pas le ventre. » Elle prit une poire et la lui lança. « Mangez ceci.
— Je suis aux ordres de la reine. » Il mordit dans la poire, sa dent en or luisant. Du jus coula dans sa barbe mauve.
La jeune fille en elle voulait tant l’embrasser qu’elle en avait mal. Ses baisers seraient durs et cruels, se dit-elle, et il se moquerait que je crie ou que je lui ordonne de cesser. Mais la reine en elle savait que ce serait folie. « Parlez-moi de votre voyage. »
Il haussa négligemment les épaules. « Les Yunkaïis ont dépêché quelques épées-louées pour fermer le col du Khyzai. Les Longues Lances, ils s’appellent. Nous avons fondu sur eux pendant la nuit et expédié quelques-uns en enfer. À Lhazar, j’ai tué deux de mes propres sergents qui complotaient de voler les joyaux et la vaisselle d’or que ma reine m’avait confiés en présents pour les Agnelets. Sinon, tout s’est déroulé ainsi que je l’avais promis.
— Combien d’hommes avez-vous perdus au combat ?
— Neuf, répondit Daario, mais une douzaine de Longues Lances ont décidé qu’ils préféraient être des Corbeaux Tornade que des cadavres, aussi sommes-nous trois de plus, au bilan. Je leur ai dit qu’ils vivraient plus longtemps en combattant avec vos dragons que contre eux, et ils ont perçu la sagesse de mes paroles. »
Cela la rendit méfiante. « Ils pourraient être des espions à la solde des Yunkaïis.
— Ils sont trop stupides pour être des espions. Vous ne les connaissez pas.
— Vous non plus. Avez-vous confiance en eux ?
— J’ai confiance en tous mes hommes. Je leur lâche la bride aussi loin que fusent mes crachats. » Il rejeta un pépin et sourit des soupçons de Daenerys. « Dois-je vous apporter leur tête ? Je le ferai, si vous m’en donnez l’ordre. L’un d’eux est chauve, deux portent des tresses et un autre se teint la barbe de quatre couleurs différentes. Quel espion irait arborer pareille barbe, je vous le demande ? L’homme à la fronde peut loger une pierre dans un œil de moucheron à quarante pas, et le plus laid sait parler aux chevaux, mais si ma reine dit qu’ils doivent mourir…
— Je n’ai pas dit ça. Je voulais simplement… Surveillez-les, voilà tout. » Elle se sentait sotte de dire cela. Elle se sentait toujours un peu sotte en compagnie de Daario. Empotée, puérile et lente d’esprit. Que doit-il penser de moi ? Elle changea le sujet. « Les Agnelets vont-ils nous envoyer des vivres ?
— Le grain arrivera par la Skahazadhan en chaland, ma reine, et d’autres denrées en caravane par le Khyzai.
— Pas la Skahazadhan. Le fleuve nous a été fermé. Les mers aussi. Vous avez dû voir les navires dans la baie. Les Qarthiens ont chassé un tiers de notre flotte de pêche, et se sont emparés d’un autre tiers. Les autres ont trop peur pour quitter le port. Le peu de commerce qui nous restait encore a été interrompu. »
Daario jeta la queue de la poire. « Les Qarthiens ont du lait dans les veines. Montrez-leur vos dragons, et ils détaleront. »
Daenerys ne voulait pas parler des dragons. Des fermiers continuaient à se présenter à sa cour avec des ossements calcinés, en se plaignant de brebis disparues, bien que Drogon ne soit pas revenu à la cité. Certains rapports le signalaient au nord du fleuve, au-dessus des herbes de la mer Dothrak. Dans la fosse, Viserion avait brisé une de ses chaînes ; Rhaegal et lui devenaient chaque jour plus sauvages. Une fois, les vantaux de fer avaient été portés au rouge, lui avaient raconté ses Immaculés, et personne n’avait osé les toucher durant une journée. « Astapor est assiégée, également.
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