— Sinon celui des esclaves que les Yunkaïis trafiqueront et formeront », répondit Daenerys, mais elle reconnaissait la vérité de ce qu’il disait. Il se pourrait que ce soit la meilleure fin que l’on puisse espérer. « Vous n’avez pas dit que vous m’aimiez.
— Je le ferai, s’il plaît à Votre Lumière.
— Ce n’est pas la réponse d’un homme amoureux.
— L’amour ? Qu’est-ce donc ? Le désir ? Aucun homme doté de l’intégralité de son corps ne pourrait poser les yeux sur vous sans vous désirer, Daenerys. Ce n’est pas pour cela que je vous épouserais, toutefois. Avant votre arrivée, Meereen se mourait. Nos gouvernants étaient des barbons aux queues flétries, et des vieillardes dont les cons ratatinés étaient secs comme poussière. Ils trônaient au sommet de leurs pyramides, sirotant du vin d’abricot et discutant des gloires de l’ancien empire tandis que s’écoulaient les siècles et que les briques mêmes de la cité s’effritaient tout autour d’eux. La coutume et la prudence nous tenaient dans une poigne de fer, jusqu’à ce que vous veniez nous éveiller par le feu et par le sang. Une nouvelle époque est arrivée, et de nouvelles choses sont possibles. Épousez-moi. »
Il n’est pas désagréable à regarder, se dit Daenerys, et il tient un discours de roi. « Embrassez-moi », ordonna-t-elle.
Il lui reprit la main, et lui baisa les doigts.
« Pas comme ça. Embrassez-moi comme si j’étais votre épouse. »
Hizdahr la prit par les épaules aussi tendrement que si elle était un oisillon. Se penchant en avant, il appliqua ses lèvres contre celles de Daenerys. Le baiser fut léger, sec et bref. Daenerys ne ressentit aucun élan.
« Dois-je… vous embrasser encore ? demanda-t-il lorsque ce fut fini.
— Non. » Sur sa terrasse, dans son bassin, les petits poissons venaient lui chatouiller les jambes quand elle s’attardait dans le bain. Même eux embrassaient avec plus de fougue qu’Hizdahr zo Loraq. « Je ne vous aime pas. »
Hizdahr haussa les épaules. « Cela peut venir, avec le temps. La chose s’est déjà produite. »
Pas avec nous, songea-t-elle. Pas alors que Daario est si proche. C’est lui que je veux, pas toi. « Un jour, je voudrai rentrer à Westeros, pour revendiquer les Sept Couronnes qui appartenaient à mon père.
— Un jour, tous les hommes doivent mourir, mais s’appesantir sur la mort n’accomplit rien de bon. Je préfère prendre chaque jour comme il vient. »
Daenerys croisa les mains. « Les mots sont du vent, même des mots tels qu’amour et paix. Je place plus de confiance dans les actes. Dans mes Sept Couronnes, les chevaliers partent en quête pour se prouver dignes de la pucelle qu’ils aiment. Ils cherchent des épées magiques, des coffres d’or, des couronnes volées au trésor d’un dragon. »
Hizdahr arqua un sourcil. « Les seuls dragons dont j’aie connaissance sont les vôtres, et les épées magiques sont encore plus rares. Je vous apporterai volontiers bagues et couronnes, et coffres d’or, si tel est votre désir.
— Mon désir, c’est la paix. Vous dites que vous pouvez m’aider à mettre un terme aux massacres nocturnes dans mes rues. Je vous réponds : faites-le. Arrêtez cette guerre de l’ombre, messire. Voilà votre quête. Donnez-moi quatre-vingt-dix jours et quatre-vingt-dix nuits sans meurtre, et je saurai que vous êtes digne d’un trône. Pouvez-vous accomplir cela ? »
Hizdahr parut songeur. « Quatre-vingt-dix jours et quatre-vingt-dix nuits sans cadavre, et au quatre-vingt-onzième, nous nous marions ?
— Peut-être, répondit Daenerys avec un regard mutin. Mais ça ne m’empêchera pas de vous demander une épée magique. »
Hizdahr rit. « Alors, vous aurez cela aussi, Lumière. Vos désirs sont des ordres. Il vaudrait mieux prévenir votre sénéchal de commencer les préparatifs de nos noces.
— Rien ne satisferait davantage le noble Reznak. » Si Meereen apprenait qu’un mariage se préparait, cela seul pourrait lui valoir quelques nuits de répit, même si les efforts d’Hizdahr n’aboutissaient pas. Le Crâne-ras ne sera pas satisfait de moi, mais Reznak mo Reznak dansera de joie. Daenerys ne savait pas laquelle de ces deux perspectives l’inquiétait le plus. Elle avait besoin de Skahaz et des Bêtes d’Airain, et en était venue à se défier des conseils de Reznak. Méfie-toi du sénéchal parfumé. Reznak aurait-il fait cause commune avec Hizdahr et la Grâce Verte, et manigancé un piège où me prendre ?
Hizdahr zo Loraq n’avait pas sitôt pris congé d’elle que ser Barristan apparut derrière elle dans son long manteau blanc. Des années de service dans la Garde Royale avaient appris au chevalier blanc à rester discret quand elle recevait, mais il ne s’éloignait jamais beaucoup. Il sait , vit-elle immédiatement, et il désapprouve. Les lignes autour de la bouche de l’homme s’étaient creusées. « Eh bien, lui dit-elle, il semblerait que je doive convoler de nouveau. Êtes-vous heureux pour moi, ser ?
— Si tel est votre ordre, Votre Grâce.
— Hizdahr n’est pas le mari que vous m’auriez choisi.
— Il ne m’appartient pas de choisir votre époux.
— En effet, mais il m’importe que vous compreniez. Mon peuple saigne. Il meurt. Une reine ne s’appartient pas, elle appartient au royaume. Mariage ou carnage, voilà mes choix. Des noces ou une guerre.
— Votre Grâce, puis-je parler franchement ?
— Toujours.
— Il existe une troisième option.
— Westeros ? »
Il opina. « J’ai juré de servir Votre Grâce et de la tenir à l’abri de toute atteinte, où que vous puissiez aller. Ma place est à vos côtés, que ce soit ici ou à Port-Réal… Mais la vôtre est à Westeros, sur le Trône de Fer qui appartenait à votre père. Jamais les Sept Couronnes n’accepteront Hizdahr zo Loraq comme roi.
— Non plus que Meereen n’acceptera Daenerys Targaryen comme reine. La Grâce Verte a dit vrai en cela. J’ai besoin d’un roi auprès de moi, un roi du vieux sang ghiscari. Sinon, ils me verront toujours comme la barbare fruste qui a enfoncé leurs portes, empalé les leurs sur des épieux et dérobé leurs richesses.
— À Westeros, vous serez l’enfant perdue qui revient pour réjouir le cœur de son père. Votre peuple vous acclamera sur votre passage, et tous les hommes de cœur vous aimeront.
— Westeros est loin.
— S’attarder ici ne le rapprochera pas. Plus tôt nous prendrons congé de ces lieux…
— Je sais. Vraiment. » Daenerys ne savait pas comment lui faire comprendre. Elle désirait Westeros autant que lui, mais devait d’abord guérir Meereen. « Quatre-vingt-dix jours, c’est bien long. Hizdahr pourrait échouer. Et en ce cas, ses tentatives m’achètent du temps. Du temps pour conclure des alliances, pour renforcer mes défenses, pour…
— Et s’il n’échoue pas ? Que fera alors Votre Grâce ?
— Mon devoir. » Le mot sembla froid contre sa langue. « Vous avez assisté aux noces de mon frère Rhaegar. Dites-moi, s’est-il marié par amour ou par devoir ? »
Le vieux chevalier hésita. « La princesse Elia était une excellente femme, Votre Grâce. Elle était bonne et habile, un cœur aimant et un esprit très fin. Je sais que le prince lui était très attaché. »
Attaché, se répéta Daenerys. Le mot en disait très long. Je pourrais m’attacher à Hizdahr zo Loraq, avec le temps. Peut-être.
Ser Barristan poursuivit. « J’ai aussi vu le mariage de votre père et de votre mère. Pardonnez-moi, mais il n’y avait là aucune affection, et le royaume l’a chèrement payé, ma reine.
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