Tyrion n’aima guère son apparence. Et moins encore le gros ours noir sur son surcot. De la laine. Il porte de la laine, par cette chaleur. Qui d’autre qu’un chevalier serait aussi con ? « Comme c’est agréable d’entendre la Langue Commune si loin de chez soi, se força-t-il à répondre, mais je crains que vous ne m’ayez confondu avec quelqu’un d’autre. J’ai pour nom Hugor Colline. Puis-je vous offrir une coupe de vin, l’ami ?
— J’ai assez bu. » Le chevalier repoussa sa catin et se remit debout. Son baudrier était suspendu à une patère à côté de lui. Il le décrocha et dégaina sa lame. L’acier susurra contre le cuir. Les putains observaient avec avidité, la lueur des chandelles brillant dans leurs prunelles. Le propriétaire avait disparu. « Tu es à moi, Hugor. »
Tyrion n’aurait pas pu s’enfuir davantage que se battre. Soûl comme il était, il ne pouvait même pas jouer au plus fin. Il écarta les mains. « Et que voulez-vous faire de moi ?
— Te livrer à la reine. »
Galazza Galare arriva à la Grande Pyramide avec une escorte d’une douzaine de Grâces blanches, des enfants de noble naissance trop jeunes encore pour avoir accompli leur année de service dans les jardins de plaisir du temple. Elles composaient un joli tableau, cette fière vieille femme toute de vert vêtue, entourée de fillettes en robes et voiles blancs, caparaçonnées d’innocence.
La reine les reçut avec chaleur, puis fit venir Missandei pour veiller à ce que les fillettes soient nourries et distraites tandis qu’elle prenait son repas en privé avec la Grâce Verte.
Ses cuisiniers leur avaient préparé un banquet magnifique d’agneau au miel, embaumant la menthe pilée et servi avec les petites figues vertes dont elle était si friande. Deux des otages favoris de Daenerys servaient les plats et gardaient les coupes pleines – une petite fille aux yeux de biche nommée Qezza et un garçonnet maigrichon appelé Grazhar. Ils étaient frère et sœur, et cousins de la Grâce Verte, qui les accueillit avec des baisers quand elle fit son entrée, et leur demanda s’ils s’étaient bien tenus.
« Ils sont tous les deux très gentils, assura Daenerys. Parfois, Qezza chante pour moi. Elle a une voix charmante. Et ser Barristan enseigne à Grazhar et aux autres garçons les rudiments de la chevalerie ouestrienne.
— Ils sont de mon sang », déclara la Grâce Verte, tandis que Qezza remplissait sa coupe d’un vin rouge sombre. « J’ai plaisir à savoir qu’ils ont séduit Votre Lumière. J’espère qu’il en ira de même pour moi. » La vieille femme avait les cheveux blancs et la peau fine comme du parchemin, mais les années n’avaient pas terni ses yeux. Ses prunelles étaient du vert de ses robes ; des yeux tristes, remplis de sagesse. « Si vous voulez bien me pardonner de le dire, Votre Lumière paraît… lasse. Dormez-vous bien ? »
Daenerys eut du mal à ne pas rire. « Pas vraiment. La nuit dernière, trois galères qarthiennes ont remonté la Skahazadhan sous le couvert de l’obscurité. Les Hommes de la Mère ont décoché vers leurs voiles des volées de flèches enflammées, et jeté sur leurs ponts des pots de poix ardente, mais les galères leur ont prestement glissé entre les mains, sans subir de dégâts durables. Les Qarthiens ont l’intention de nous fermer le fleuve, comme ils ont clos la baie. Et ils ne sont plus seuls. Trois galères de la Nouvelle-Ghis les ont rejoints, ainsi qu’une caraque venue de Tolos. » Les Tolosiens avaient répliqué à sa demande d’alliance en la proclamant putain et en exigeant qu’elle restitue Meereen à ses Grands Maîtres. Mais cela était encore préférable à la réponse de Mantarys, arrivée par caravane dans un coffret de cèdre. À l’intérieur, elle avait trouvé les têtes de ses trois émissaires, embaumées. « Peut-être vos dieux peuvent-ils nous aider. Demandez-leur d’envoyer une tempête et de balayer les galères hors de la baie.
— Je prierai et j’offrirai des sacrifices. Peut-être les dieux de Ghis m’entendront-ils. » Galazza Galare dégusta une petite gorgée de son vin, mais ses yeux ne quittèrent pas Daenerys. « Des tempêtes font rage à l’intérieur des murailles autant qu’au-dehors. De nouveaux affranchis sont morts la nuit dernière, du moins je l’ai entendu dire.
— Trois. » Prononcer le chiffre lui laissa en bouche un goût amer. « Ces lâches ont attaqué des tisserandes, des affranchies qui ne faisaient de mal à personne. Elles fabriquaient simplement de merveilleux ouvrages. J’ai accroché au-dessus de mon lit une tapisserie qu’elles m’ont donnée. Les Fils de la Harpie ont brisé leur métier et les ont violées avant de leur trancher la gorge.
— Nous l’avions entendu dire. Et cependant, Votre Lumière a trouvé le courage de répondre à la boucherie par la miséricorde. Vous n’avez porté atteinte à aucun des enfants de nobles que vous détenez en otages.
— Pas encore, non. » Daenerys s’était attachée à ses jeunes protégés. Il y en avait de timides et d’effrontés, d’aimables et de bourrus, mais tous étaient innocents. « Si je tue mes échansons, qui versera mon vin et servira mon souper ? » dit-elle en tentant d’en plaisanter.
La prêtresse ne sourit pas. « Le Crâne-ras les aurait donnés en pâture à vos dragons, dit-on. Vie pour vie. Pour chaque Bête d’Airain abattue, il ferait périr un enfant. »
Daenerys poussait sa nourriture autour de son assiette. Elle n’osait pas regarder du côté de Grazhar et Qezza, de peur de fondre en larmes. Le Crâne-ras a le cœur plus dur que le mien. Dix fois ils s’étaient opposés sur la question des otages. « Les Fils de la Harpie doivent bien s’esclaffer dans leurs pyramides », avait dit Skahaz, ce matin précisément. « À quoi bon des otages si vous ne voulez pas leur trancher le col ? » À ses yeux, elle n’était qu’une faible femme. Hazzéa suffit. À quoi bon la paix si on doit la payer du sang de petits enfants ? « Ces meurtres ne sont pas de leur fait, expliqua d’une voix faible Daenerys à la Grâce Verte. Je ne suis pas une reine bouchère.
— Et pour cela, Meereen vous rend grâce, répondit Galazza Galare. Nous avons entendu dire que le Roi Boucher d’Astapor est mort.
— Tué par ses propres soldats quand il leur a ordonné de sortir attaquer les Yunkaïis. » Ces mots versaient du fiel dans sa bouche. « À peine son corps était-il froid qu’un autre a pris sa place, se faisant appeler Cleon II. Celui-là a tenu huit jours avant d’avoir la gorge ouverte. Puis son assassin a revendiqué la couronne. Comme l’a fait la concubine du premier Cleon. Le roi Coupe-Gorge et la reine Putain, les appellent les Astaporis. Leurs fidèles se battent dans les rues, tandis que les Yunkaïis et leurs épées-louées patientent sous les remparts.
— Nous vivons une époque terrible. Votre Lumière, pourrais-je avoir l’audace de vous donner un conseil ?
— Vous savez combien j’apprécie votre sagesse.
— Alors, écoutez mon avis, à présent, et mariez-vous.
— Ah. » Daenerys s’y attendait.
« Maintes fois je vous ai entendue dire que vous n’étiez qu’une jeune fille. À vous regarder, vous paraissez encore à demi dans l’enfance, trop jeune et trop frêle pour affronter toute seule de telles épreuves. Vous avez besoin d’un roi à vos côtés pour vous aider à supporter ces fardeaux. »
Daenerys piqua un morceau d’agneau, en prit une bouchée, mâcha lentement. « Dites-moi, votre roi peut-il, en gonflant les joues, souffler et renvoyer les galères de Xaro jusqu’à Qarth ? Peut-il d’un claquement de mains, briser le siège d’Astapor ? Peut-il remplir de nourriture le ventre de mes enfants et ramener la paix dans mes rues ?
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