Au stade actuel, ils sont en train de nous enseigner à développer notre conscience intérieure. Nous sommes censés fixer le soleil couchant, par exemple, et transférer sa chaleur et son énergie à différentes parties de notre corps. Le cœur, d’abord, puis les testicules, les poumons, la rate, et ainsi de suite. Je soutiens que ce n’est pas le rayonnement solaire qui les intéresse — c’est juste une métaphore, un symbole — mais plutôt l’idée de nous mettre en contact avec le cœur, les testicules, les poumons, la rate, etc., de sorte qu’en cas de problème avec ces organes nous puissions les explorer avec notre esprit et réparer ce qu’il y a à réparer. Toutes ces histoires de têtes de morts, autour desquelles la plus grande partie de la méditation se fait : encore des symboles, destinés uniquement, j’en suis sûr, à fournir un foyer adéquat à notre concentration. De sorte que nous puissions nous servir de l’image du crâne comme d’un tremplin pour le saut intérieur. N’importe quel autre symbole aurait probablement aussi bien fait l’affaire : un tournesol, un bouquet de glands, un trèfle à quatre feuilles. Une fois investi du voile psychique adéquat, le mana, n’importe quoi pourrait servir. Il se trouve que la Fraternité a élu la symbolique des crânes. Ce qui est loin d’être un mauvais choix, en fait : il y a du mystère dans un crâne, il y a du romantisme, du merveilleux. Quand nous sommes assis devant frater Antony et qu’il nous demande de viser son petit pendentif de jade et d’accomplir diverses absorptions en rapport avec les relations entre la mort et la vie, il veut en fait que nous sachions concentrer toute notre énergie mentale sur un seul objet. Une fois la concentration maîtrisée, nous pourrons appliquer notre nouveau talent aux tâches d’entretien et de régénération permanente de notre corps. Là est tout le secret. Les drogues de longévité, la nourriture, le culte du soleil, la prière, toutes ces choses sont secondaires. C’est la méditation qui est tout. C’est comme une sorte de yoga, je suppose — l’esprit dominant la matière. Quoique, si la Fraternité est aussi ancienne que le laisse entendre frater Miklos, peut-être serait-il plus exact de dire que le yoga est une émanation du monastère des Crânes.
Nous avons un long chemin à parcourir. Nous n’en sommes qu’au stade préliminaire de la série d’entraînements que les fraters désignent sous le nom de l’Épreuve. Ce qui nous attend maintenant, j’imagine, est d’ordre largement psychologique, ou même psychanalytique : purger l’âme de son excédent de bagages. L’horrible menace du Neuvième Mystère fait partie de cela. Je ne sais toujours pas s’il faut interpréter ce passage du Livre des Crânes littéralement ou métaphoriquement, mais, dans les deux cas, je suis sûr qu’il s’agit d’éliminer les mauvaises vibrations du Réceptacle : nous tuons notre bouc émissaire, métaphoriquement ou autrement, et l’autre bouc émissaire s’élimine de lui-même, métaphoriquement ou autrement, et le résultat de tout cela c’est qu’il reste deux fraters en herbe débarrassés des émanations de mort emportées par le duo défectueux. Après avoir purgé le groupe en bloc, il est nécessaire de purger nos individualités séparées.
Hier soir après le dîner, frater Javier est venu me trouver dans ma chambre, et je suppose qu’il est allé trouver les autres aussi ; il m’a dit que je devais me préparer au rite de la confession. Il m’a demandé de passer en revue toute mon existence, en accordant une attention spéciale aux épisodes de culpabilité et de honte, et d’être prêt à en discuter en profondeur quand le moment serait venu. Je suppose qu’une séance collective va bientôt être organisée, sous la supervision de frater Javier. Quel homme formidable. L’œil gris, les lèvres fines, le visage ciselé. Aussi accessible qu’une dalle de granit. Quand il se déplace dans les couloirs, j’ai l’impression d’entendre une musique sombre et gémissante qui l’accompagne. Le Grand Inquisiteur ! Oui, frater Javier dans le rôle du Grand Inquisiteur ! Nuit et froid ; douleur et brouillard. Quand commence l’Inquisition ? Que vais-je leur dire ? Laquelle de mes fautes placerai-je sur l’autel, laquelle de mes hontes ?
Je crois comprendre que l’objet de cette confession sera d’alléger nos âmes en libérant… — quel terme utiliser ? — nos névroses, nos péchés, nos blocages mentaux, nos complexes, nos engrammes, nos dépôts de karma défectueux ? Nous devons nous préparer. Les os et la chair, nous les gardons, mais l’esprit doit être disséqué. Nous devons nous efforcer d’atteindre une sorte de quiétisme, où il n’y aura ni conflits ni tensions. Éviter tout ce qui va contre le poil, et si possible réorienter le poil. Action sans effort, telle est la clé. Pas de perte d’énergie. Lutter raccourcit la vie. Eh bien, nous verrons. Je porte en moi pas mal de scories intérieures, et nous en portons tous. Un lavement psychique n’est peut-être pas une mauvaise chose.
Que vais-je vous dire, frater Javier ?
Passez votre vie en revue, déclare le mystérieux et vaguement reptilien frater Javier, entrant sans s’annoncer dans la cellule monastique, apportant avec lui un faible crissement d’écailles froides sur la pierre polie. Passez votre vie en revue, revoyez les péchés de votre passé, préparez-vous à la confession. Tout de suite ! s’écrie Ned, l’enfant de chœur dépravé. Tout de suite, frater Javier ! glousse le papiste déchu.
Le rite de la confession, vous pensez si c’est dans ses cordes ! Ça le connaît, Ned ; c’est imprimé dans ses gènes, c’est gravé dans ses os et dans ses couilles, c’est une seconde nature chez lui. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa. Alors que les trois autres sont étrangers aux vérités du confessionnal. Oh ! je suppose que les épiscopaliens vont à confesse, en bons crypto-romains qu’ils sont, mais ils ne racontent que des mensonges à leurs prêtres ! Je tiens ça de l’autorité de ma mère, dont l’avis est que la chair des anglicans n’est même pas bonne à engraisser les cochons. « Mais, maman, les cochons ne mangent pas de viande. — S’ils en mangeaient, mon fils, ils ne toucheraient pas les tripes d’un anglican ! Ils enfreignent tous les commandements et mentent à leurs prêtres. » Sur quoi, ma chère maman se signe, quatre coups vigoureux sur la poitrine, om mani padme hum !
Ned est obéissant. Ned est un bien gentil mignon. Frater Javier n’a eu qu’un mot à dire, et Ned commence aussitôt à passer en revue son passé fourvoyé, pour pouvoir tout dégobiller quand le moment approprié sera venu. Où ont été mes péchés ? Ou ai-je transgressé ? Dis-moi, mon Ned gentil, as-tu eu d’autres dieux avant Lui ? Non, mon Père, en vérité, je ne peux pas dire que j’en ai eu. As-tu fabriqué des images taillées ? Eh bien, j’ai tailloché un peu, je l’avoue, mais il ne faut pas appliquer ce commandement à la lettre, n’est-ce pas ? Nous ne sommes pas des musulmans sanguinaires, n’est-ce pas ? Merci, mon Père. As-tu invoqué en vain le nom du Seigneur, mon fils ? Dieu m’en préserve, mon Père, serais-je capable d’une chose pareille ? C’est très bien ça, Ned. Et as-tu respecté le jour du Sabbath ? Honteux, le petit garçon répond qu’il s’est quelquefois rendu coupable de déshonorer le Sabbath. Quelquefois ? Merde ! il a plus pollué de dimanches qu’un Turc ! Péché véniel, cependant, péché véniel.
Ego absolvo te, mon enfant. As-tu honoré ton père et ta mère, mon enfant ? Oh ! oui, mon Père, je les ai honorés à ma façon. As-tu tué ? Non, je n’ai pas tué. As-tu commis l’adultère ? À ma connaissance, non, mon Père. As-tu volé ? Je n’ai rien volé, du moins rien d’important. Je n’ai pas non plus porté de faux témoignage contre mon voisin. Et as-tu convoité la maison de ton voisin, ou la femme de ton voisin, ou le valet de ton voisin, ou sa femme de chambre, ou son bœuf, ou son cul, ou n’importe quoi qui appartienne à ton voisin ? Eh bien, mon Père, puisque vous parlez du cul de mon voisin, j’avoue que là nous sommes sur un terrain branlant, mais autrement… autrement… je fais de mon mieux, mon Père, compte tenu de ce que je suis venu au monde taré, compte tenu de tout ce qu’il y a au départ contre nous, considérant que par la chute d’Adam nous avons tous péché, j’estime quand même que je suis relativement pur et bon. Pas parfait, bien sûr. Tttt ! mon enfant, qu’as-tu à confesser ? Eh bien, mon Père…
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