George Martin - Le Trône de fer

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Il était une fois, perdu dans un lointain passé, le royaume des Sept Couronnes…
En ces temps nimbés de brume, où la belle saison pouvait durer des années, la mauvaise toute une vie d’homme, se multiplièrent un jour des présages alarmants. Au nord du Mur colossal qui protégeait le royaume, se massèrent soudain des forces obscures ; au sud, l’ordre établi chancela, la luxure et l’inceste, le meurtre et la corruption, la lâcheté et le mensonge enserrèrent inexorablement le trône convoité.
Pour préserver de l’ignominie les siens et la dynastie menacés se dresse alors, armé de sa seule droiture, le duc Stark de Winterfell, aussi rude que son septentrion natal. Mais en dépit du pouvoir immense que vient de lui conférer le roi, a-t-il quelque chance d’endiguer la tourmente qui se lève ?
Dans la lignée des ROIS MAUDITS et d’EXCALIBUR, LE TRÔNE DE FER plonge le lecteur, sans lui laisser reprendre souffle, dans un univers de délices et de feu. L’épique et le chevaleresque côtoient sans cesse le vil et le démoniaque. La bravoure et la loyauté se heurtent à la duplicité et à la fourberie. Mais dans ce tourbillon d’aventures cruelles, ce sont finalement l’amour, la tendresse, l’indestructible force de l’amitié qui rayonnent au-dessus des ténèbres.

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— Vous serez obéi, messire. »

Une fois seul, Eddard Stark alla s’asseoir près de la baie, ruminant de sombres pensées. Robert ne lui avait décidément pas laissé l’embarras du choix. Cela méritait presque des remerciements. Quel bonheur que de retrouver Winterfell. Et quelle folie que de l’avoir quitté. Ses fils l’y attendaient. Catelyn et lui pourraient en avoir un autre, ils n’étaient pas encore si vieux. Puis il s’était dernièrement surpris maintes fois à rêver de neige – et du profond silence qui régnait, la nuit, dans le Bois-aux-Loups…

Chose étrange, l’idée de partir l’irritait aussi, néanmoins. Tant d’entreprises à laisser en plan. A présent que nul n’y mettrait plus obstacle, Robert et son Conseil de pleutres et de flagorneurs réduiraient le royaume à la mendicité… ou, pire, le céderaient aux Lannister pour les rembourser de leurs prêts. Quant à la mort de Jon Arryn, le mystère demeurait entier. Oh, les rares pièces découvertes suffisaient à le convaincre qu’il s’agissait bel et bien d’un meurtre, mais que valaient de pareils indices ? Autant que des crottes dans les fourrés. Sans avoir encore aperçu le fauve, il le flairait à l’affût, tapi non loin, perfide.

Subitement, l’inspiration lui vint de regagner Winterfell par mer. Il n’était certes pas marin et, en temps ordinaire, eût cent fois préféré la voie de terre, mais prendre un bateau lui permettrait de faire escale à Peyredragon et d’y rencontrer Stannis Baratheon. Pycelle avait expédié l’une de ses corneilles y porter l’invitation courtoise de Ned à revenir siéger au Conseil restreint, mais sans réponse à ce jour, et ce silence obstiné confirmait trop bien ce qu’il avait subodoré : Stannis détenait sans le moindre doute les clefs du secret que Jon avait payé de sa vie. L’insaisissable vérité l’attendait peut-être dans l’antique forteresse insulaire des Targaryens…

Et quand tu la tiendras, qu’en feras-tu ? Il est des secrets que mieux vaut ne pas révéler. Des secrets que l’on ne saurait partager impunément, fût-ce avec les gens que l’on aime et en qui l’on se fie. Ned prit à sa ceinture le poignard que lui avait apporté Catelyn et le tira de sa gaine. Le poignard du Lutin. Pourquoi le nain voulait-il la mort de Bran ? Pour le faire taire, à coup sûr. Encore un secret. Ou simplement un autre fil de la même trame ?

Se pouvait-il que Robert eût trempé là-dedans ? Il aurait juré naguère du contraire, mais tout comme il aurait juré que Robert n’ordonnerait jamais d’assassiner des femmes et des enfants… Catelyn avait bien tenté de le mettre en garde. Tu connaissais l’homme, le roi t’est un étranger. Plus vite il aurait quitté Port-Réal, mieux il se porterait. Si un navire appareillait pour le nord, demain, l’idéal serait d’être à bord.

Il convoqua derechef Vayon Poole et l’envoya, toutes affaires cessantes, s’informer discrètement au port. « Ce qu’il me faut, c’est un bateau rapide et un capitaine chevronné, lui dit-il. La taille des cabines ou le confort des équipements, je m’en moque, du moment qu’on me garantit vitesse et sécurité. Je désire partir immédiatement. »

Poole s’était à peine retiré que Tomard annonça : « Lord Baelish, m’seigneur. »

D’abord passablement tenté de faire éconduire le visiteur, Ned se ravisa. Il n’était pas encore libre ; il lui fallait d’ici là jouer le jeu de la clique. « Introduis-le, Tom. »

Lord Petyr entra d’un pas aussi désinvolte que si rien de grave ne fût arrivé, ce matin-là. Il portait un pourpoint de velours crème à crevés d’argent, un manteau de soie grise bordé de renard noir et, brochant sur le tout, sa goguenardise ordinaire.

Ned l’accueillit fraîchement. « Qu’est-ce qui me vaut l’honneur, lord Baelish ?

— Je ne vous retiendrai pas longuement, je vais dîner avec lady Tanda. Pâté de lamproie et cochon de lait. Comme elle s’est mis en tête de me faire épouser sa fille cadette, sa table conspire à me stupéfier constamment. A la vérité, je me donnerais au cochon plutôt que d’y consentir, mais ne m’en trahissez pas. J’adore le pâté de lamproie.

— Permettez que je ne vous détourne guère de vos anguilles, messire, dit Ned avec un mépris glacial. En ce moment, je ne vois personne dont la compagnie me tente moins que la vôtre.

— Oh, tout bien réfléchi, vous trouveriez quelques autres noms. Varys, disons. Cersei. Ou Robert. Sa Majesté est des plus courroucée, savez-vous ? Elle a passablement abondé sur votre personne, après que vous nous eûtes quittés, et, si ma mémoire ne m’abuse, les termes d ’insolence et d’ingratitude étaient au refrain. »

Ned ne lui fit pas l’honneur de répliquer. Ni même de lui offrir un siège, mais Littlefinger en prit un de toutes façons. « Après votre départ tempétueux m’échut la tâche de les convaincre de ne point recourir aux bons offices des Sans-Visage, poursuivit-il d’un ton jovial. A la place, Varys propagera, mine de rien, l’assurance que celui, quel qu’il puisse être, qui réglera son compte à la petite Targaryen se verra anoblir.

— Ainsi, nous récompensons désormais le meurtre par des titres… », fit Ned, écœuré.

Littlefinger haussa les épaules. « Les titres sont bon marché, les Sans-Visage hors de prix. Et, pour parler franc, la petite Targaryen devra une plus fière chandelle à mon intervention qu’à tous vos beaux discours. Libre à quelque reître altéré de blason de courir le lièvre, je lui prédis, moi, un fiasco. Et les Dothrakis se tiendront dès lors sur leurs gardes. Alors que si nous avions envoyé l’un des Sans-Visage, la donzelle était autant dire morte et enterrée. »

Ned sourcilla, pour le coup. « Du fond de votre siège, au Conseil, vous nous avez parlé de laiderons et de baisers d’acier, et, à présent, vous comptez me voir gober vos prétendues tentatives pour sauver cette enfant ? Vous me prenez donc pour un gros benêt ?

— Ma foi…, pour un benêt colossal, en l’espèce ! riposta Littlefinger en s’esclaffant.

— Trouvez-vous toujours le meurtre si divertissant, lord Baelish ?

— Ce n’est pas le meurtre qui me divertit, lord Stark, mais vous-même. Vous gouvernez à la manière d’un homme qui danserait sur la glace pourrie. Vous allez faire un noble plouf, si vous m’en croyez. Il me semble avoir perçu ce matin le premier craquement.

— Le premier et le dernier, dit Ned. J’ai eu mon content.

— Quand envisagez-vous de repartir pour Winterfell, messire ?

— Le plus tôt possible. En quoi cela vous concerne-t-il ?

— En rien…, mais si, d’aventure, vous vous trouviez encore ici vers la tombée du jour, je me ferais un plaisir de vous mener dans ce bordel que votre Jory cherche en vain depuis si longtemps. » Il se mit à sourire. « Et je n’en soufflerai pas même un mot à notre chère lady Catelyn. »

CATELYN

« Vous auriez dû nous annoncer votre venue, madame, dit ser Donnel Waynwood tandis que leurs chevaux gravissaient le col. Nous vous aurions envoyé une escorte. Pour un petit groupe comme le vôtre, la grand-route n’est plus aussi sûre que par le passé.

— Nous l’avons appris à nos cruels dépens, ser Donnel », répondit-elle. Il lui semblait par moments que son cœur s’était pétrifié. Six braves avaient péri pour la mener jusqu’aux portes du Val d’Arryn, et elle ne trouvait pas même en son for la ressource de les pleurer. Jusqu’à leurs noms qui s’estompaient de sa mémoire. « Les clans nous ont harcelés jour et nuit. Nous avons perdu trois hommes au cours de la première escarmouche, deux autres à la suivante, et le valet de Lannister a succombé lorsque ses plaies se sont infectées. En vous entendant approcher, j’ai bien cru notre dernière heure venue. » Ils s’étaient de fait préparés à périr, l’épée au poing et le dos au rocher. Déjà, le nain affûtait sa hache, tout en blaguant, comme à l’accoutumée, de façon mordante quand Bronn avait repéré, sur la bannière qui précédait les cavaliers, lune-et-faucon, bleu ciel et blanc, de la maison Arryn. Jamais Catelyn n’avait rien vu de si bienvenu.

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