Le silence était si profond que l’attente s’éternisait. A se demander s’il n’était pas arrivé malheur à la sauvageonne. Rickon ne tenait plus en place et s’impatientait. « Je veux rentrer chez moi ! » finit-il par glapir en trépignant. Hodor secoua sa crinière et hennit : « Hodor ! » Puis s’entendit un frôlement qui se fit peu à peu bruit de pas de plus en plus net, et Osha reparut enfin, qui, dans le halo de la torche, grimaça d’un air sombre. « Quelque chose bloque la porte. Pas pu l’ébranler.
— Hodor le fera, dit Bran, rien ne lui résiste. »
D’un coup d’œil, Osha jaugea le colosse. « Peut-être. Allons-y. »
L’étroitesse de l’escalier les contraignit à grimper à la file. Osha menait. Hodor la talonnait. Sur son échine se plaquait Bran, de peur de se fracasser le crâne contre la voûte. Meera suivait, torche au poing. Main dans la main, Jojen et Rickon fermaient la marche. Tandis qu’on montait en tournant, tournait en montant toujours, Bran pensait percevoir l’odeur de fumée. Celle de la torche, tout simplement ?
Taillée des siècles auparavant dans la masse d’un ferrugier, la pesante porte d’accès aux cryptes reposait de guingois sur le sol. Comme n’en pouvait approcher qu’une seule personne à la fois, Osha s’efforça de nouveau de l’ouvrir, mais Bran eut tôt fait de constater que c’était en vain. « A Hodor d’essayer. »
Il fallut d’abord l’extraire de sa hotte, où il risquait de se faire aplatir, et le déposer sur les marches. Meera s’accroupit à ses côtés et, telle une aînée tutélaire, lui enlaça les épaules, pendant qu’Osha s’effaçait au profit d’Hodor. « Ouvre la porte, Hodor », commanda Bran.
Le géant mit ses deux mains à plat sur le vantail, poussa, émit un grognement. « Hodor ?» Le violent coup de poing qu’il lui infligea ne fit pas seulement sursauter le bois. « Hodor !
— Avec ton dos, insista Bran, et tes jambes. »
Hodor se tourna, s’arc-bouta, poussa. Poussa encore. Et encore. « Hodor ! » Il posa l’un de ses pieds plus haut que l’autre de manière à se retrouver ployé sous le biais que formait la porte et tenta de la soulever. Le bois geignit, pour le coup, craqua. « Hodor ! » Le second pied remonta d’une marche, Hodor écarta les jambes et banda ses muscles en se redressant. Sa face s’empourpra, son col se corda de monstrueuses protubérances qu’enflait à vue d’œil la lutte acharnée contre la puissance de l’inertie. « Hodor hodor hodor hodor hodor HODOR !!! » D’en haut provint un grondement sinistre puis, subitement, la porte eut un soubresaut, et un rai de lumière en travers du visage aveugla Bran momentanément. A une poussée nouvelle répliqua le fracas de pierres dégringolant, et la voie fut libre. Pique en avant, Osha se risqua dehors, et Rickon la suivit en se faufilant entre les jambes de Meera. D’un coup d’épaule, Hodor acheva d’écarter la porte et enjamba le seuil. Force fut dès lors aux Reed de porter Bran pour escalader les dernières marches.
Gris pâle était le ciel, et de toutes parts l’assaillait la fumée. Ils se tenaient dans l’ombre du premier donjon, de ce qu’il en restait, du moins. Un pan de ses murs s’était écroulé. Débris de gargouilles et moellons jonchaient la cour. Ils sont tombés au même endroit que moi , songea Bran en les apercevant. Certaines des gargouilles étaient si bien pulvérisées qu’il s’étonna d’être encore en vie, lui. Des corbeaux becquetaient non loin un cadavre écrasé sous les monceaux de pierre. Mais comme il gisait face contre terre, Bran était incapable de l’identifier.
Malgré des siècles et des siècles de déréliction, jamais le premier donjon n’avait eu si fort l’aspect d’une coquille vide. Tous ses étages avaient flambé, et toutes ses poutres. Sa façade crevée permettait au regard de s’aventurer dans chacune des pièces et de lorgner jusqu’au fond de la garde-robe. En arrière, toutefois, se dressait toujours la tour mutilée, telle exactement que par le passé. Des quintes de toux – la fumée – secouaient Jojen.
« Ramenez-moi à la maison ! piaillait Rickon. Je veux retrouver la maison ! » Hodor piétinait en rond. « Hodor », geignait-il tout bas. Et ils demeuraient là, debout, étroitement blottis contre la ruine et la mort qui les environnaient.
« Tout le boucan qu’on a fait, dit Osha, y avait de quoi réveiller un dragon, mais y vient personne. Mort, le château, brûlé. Exactement comme avait rêvé Bran, mais on ferait mieux… » Un léger bruit, derrière, l’interrompit et la fit pivoter, pique en arrêt.
Au pied de la tour démantelée surgirent deux minces silhouettes sombres qui se glissaient prudemment parmi les décombres. « Broussaille ! » s’écria joyeusement Rickon, et le loup noir ne fit qu’un bond vers lui. D’un pas plus circonspect s’approcha Eté qui, tout en se frottant le museau contre le bras de Bran, lui lécha le visage.
« Il faudrait partir, intervint Jojen. Toute cette mort va attirer bien d’autres loups qu’Eté et Broussaille, et tous n’auront pas quatre pattes.
— Mouais, partir, acquiesça Osha, et le plus tôt possible, mais nous devons d’abord trouver des provisions. L’incendie n’a peut-être pas tout ravagé. Restons bien groupés. Bouclier haut, Meera, surveillez nos arrières. »
Ils consacrèrent le reste de la matinée à explorer patiemment le château. En subsistaient les remparts de granit, certes noircis de loin en loin mais somme toute intacts. A l’intérieur de l’enceinte, en revanche, régnaient la mort et la destruction. Calcinées, les portes de la grande salle achevaient de se consumer ; dedans, la charpente avait cédé, et le toit tout entier s’était effondré. En miettes, les verrières jaunes et vertes des jardins d’hiver, saccagés les arbres, les fruits, les fleurs, ou bien condamnés à périr de froid. Des écuries, bâties en bois et couvertes de chaume, ne subsistait rien que des cendres et des braises jonchées de carcasses. Bran dut repousser l’image de Danseuse pour ne pas pleurer. Un lac fumait sous la tour de la Librairie, et l’eau bouillante giclait à force par une crevasse dans l’un de ses flancs. Le pont qui reliait le beffroi à la roukerie s’était écroulé dans la cour, et la tourelle de mestre Luwin avait disparu. Par les soupiraux se devinaient des rougeoiements sinistres dans les celliers du Grand Donjon, et un autre incendie dévorait encore l’une des resserres.
Au fur et à mesure qu’ils avançaient dans les tourbillons de fumée, Osha multipliait les appels discrets, mais personne ne répondait. Ils aperçurent un chien besognant un cadavre, mais l’odeur des loups le fit immédiatement détaler ; ses congénères avaient péri dans les chenils. Les corbeaux du mestre courtisaient eux-mêmes quelques dépouilles, d’autres les corneilles de la tour en ruine. En dépit du coup de hache qui l’avait défiguré, Bran reconnut quelque part Tym-la-Grêle. Devant les vestiges éboulés du septuaire de Mère était assise une figure carbonisée dont les bras à demi repliés et les poings crispés sur leur noirceur même semblaient vouloir boxer quiconque oserait s’approcher. « Si les dieux ont un rien de bonté, marmonna Osha d’un ton colère, les Autres emporteront ceux qui ont fait ça.
— C’est Theon, dit Bran sombrement.
— Non. Regarde. » Sa pique désigna plusieurs points de la cour. « Un de ses Fer-nés, ça. Et ça. Et là, tu vois ? son destrier. Le noir, tout criblé de flèches. » Elle se mit à circuler parmi les morts, les sourcils froncés. « Et voilà Lorren le Noir. » On l’avait taillé en pièces et déchiqueté si sauvagement que sa barbe paraissait désormais brun rouge. « En a pris plus d’un dans la mort, lui. » Du bout du pied, elle retourna l’une des victimes. « Y a un écusson. Un bonhomme tout rouge.
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