— Oui, mais après, ils se diront que c’était une souris. Je ne pense pas que les humains tiennent à savoir des choses qui les dérangent.
— Ils ressemblent aux gnomes pour ça, je trouve.
Masklinn regarda le Truc sous son bras.
— Tu es vraiment en train de conduire le Concorde ?
— Oui.
— Je croyais que pour conduire les choses, il fallait des volants, changer de vitesse et tout ça ?
— Tout est réalisé par des machines. Les humains appuient sur un bouton et tournent des volants simplement pour faire comprendre aux machines ce qu’il faut faire.
— Bon, alors, qu’est-ce que tu fais, dans ce cas ?
— Moi, répondit le Truc y’e dirige la manœuvre.
Masklinn écouta un instant le lointain tonnerre des moteurs.
— Et c’est difficile ? demanda-t-il.
— Pas en soi-même. Mais les humains n’arrêtent pas de vouloir intervenir.
— En ce cas, on aurait intérêt à trouver Angalo rapidement, je crois, glissa Gurder. Allons-y.
Ils progressèrent lentement le long d’un nouveau tunnel rempli de câbles.
— Ils devraient nous remercier : c’est notre Truc qui fait tout le travail à leur place, décréta solennellement Gurder.
— Je ne sais pas, mais il ne me semble pas qu’ils voient vraiment les choses sous cet angle.
— Nous volons à une altitude de cinquante-cinq mille pieds et à mille trois cent cinquante-deux nœuds, annonça le Truc.
Comme personne ne faisait aucun commentaire, le Truc ajouta :
— C’est très haut et très rapide.
— Parfait, dit Masklinn, qui comprit qu’on attendait de lui ce genre de réflexion.
— Très, très rapide.
Les deux gnomes se faufilèrent à travers l’espace qui séparait deux plaques de métal.
— Plus vite qu’une balle de revolver, en fait.
— Étonnant, fit Masklinn.
— Deux fois la vitesse du son dans cette atmosphère, poursuivit le Truc.
— Mince alors !
— Je me demande comment je pourrais présenter les choses, fit le Truc en réussissant à paraître agacé. Le Concorde serait capable d’effectuer le trajet entre le Grand Magasin et la carrière en moins de quinze secondes.
— On a eu du pot de ne pas le croiser en sens inverse, alors, constata Masklinn.
— Oh ! arrête de le faire enrager, intervint Gurder. Il veut que tu lui dises qu’il est quelqu’un de très doué… euh ! quelque chose, corrigea-t-il.
— Ce n’est pas vrai, répliqua le Truc (plutôt plus vite que d’habitude). Je voulais juste vous faire remarquer que cette machine est extrêmement spécialisée et qu’elle exige un contrôle très habile.
— Alors, tu ferais peut-être mieux de garder le silence, fit Masklinn.
Le Truc vibra de toutes ses couleurs à son adresse.
— C’était pas gentil, comme remarque, glissa Gurder.
— Ho ! j’ai passé un an à faire tout ce que le Truc me disait de faire, sans jamais recevoir ne serait-ce qu’un merci. Ça fait combien de haut, cinquante-cinq mille pieds, d’ailleurs ?
— Dix-huit kilomètres. Deux fois la distance qui sépare le Grand Magasin de la carrière.
Gurder s’arrêta net.
— Hein ? On est si haut que ça ?
Il considéra le sol.
— Oh ! ajouta-t-il.
— Tu ne vas pas commencer ! jeta Masklinn. On a déjà assez de problèmes avec Angalo. Arrête de te cramponner comme ça au mur !
Gurder était devenu blême.
— On doit être à la hauteur de tous les machins blancs fumeux, souffla-t-il.
— Non, fit le Truc.
— Ouf ! C’est quand même un soulagement, soupira Gurder.
— Ils se trouvent très loin au-dessous de nous.
— Ohh !
Masklinn empoigna l’Abbé par le bras.
— Angalo, tu te souviens ?
Gurder opina lentement et avança à pas lents, les yeux fermés, s’arrimant à tout ce qu’il trouvait.
— Il ne faut pas perdre la tête, conseilla Masklinn. Même si on est tellement haut, effectivement.
Il baissa les yeux. Le métal sous ses pieds paraissait solide. Il fallait employer son imagination pour voir au travers le sol en dessous.
L’ennui, c’est qu’il avait une excellente imagination.
— Beurk ! dit-il. Allez, viens, Gurder. Donne-moi la main.
— Elle est là, juste devant toi.
— Oh ! pardon. Je ne l’avais pas vue, avec les yeux fermés.
Ils passèrent un temps infini à se déplacer avec précaution entre les écheveaux de fils, jusqu’à ce que Gurder déclare :
— Rien à faire. Il n’y a pas de trou assez gros pour passer. S’il y en avait un, il l’aurait trouvé.
— En ce cas, il faut retourner dans l’habitacle et le faire sortir par là.
— Avec tous ces humains là-dedans ?
— Ils seront trop occupés pour nous remarquer. Pas vrai, Truc ?
— C’est vrai.
Il existe un endroit qui est situé si haut que le bas n’existe plus.
À une altitude légèrement moindre, une flèche blanche filait au sommet du ciel, plus rapide que la nuit, rattrapant le soleil, traversant en quelques heures un océan qui marquait jadis le bord du monde…
Masklinn se laissa descendre avec prudence sur le plancher et avança à pas de loup. Les humains ne regardaient même pas dans sa direction.
J’espère que le Truc sait vraiment conduire cet avion, pensa-t-il.
Il se coula en direction des panneaux derrière lesquels se cachait Angalo, avec un peu de chance.
Il ne se sentait pas bien. Il avait horreur de se trouver ainsi à découvert. Bien sûr, c’était probablement pire au temps où il devait chasser seul. Si quelque chose l’avait attrapé à l’époque, il ne l’aurait jamais su. Il n’aurait représenté qu’une seule bouchée. Tandis que personne ne savait ce que les humains feraient à un gnome s’ils en attrapaient un…
Il bondit dans le doux réconfort des ombres.
— Angalo ! siffla-t-il.
Au bout d’un moment, une voix venue de derrière les fils électriques demanda :
— Qui est là ?
Masklinn se redressa.
— Tu veux que je te laisse combien de chances de répondre ? demanda-t-il d’une voix normale.
Angalo se laissa tomber.
— Ils ont essayé de m’attraper ! dit-il. Et l’un d’eux a plongé le bras pour…
— Je sais. Viens, pendant qu’ils sont occupés.
— Qu’est-ce qui se passe ? s’enquit Angalo, tandis qu’ils se hâtaient vers la lumière.
— C’est le Truc qui conduit.
— Comment il fait ? Il n’a pas de bras ! Il ne peut pas changer de vitesse, ou quoi que ce soit…
— À ce qu’il paraît, il commande aux ordinateurs qui s’occupent de tout ça. Allez, viens !
— J’ai regardé par une fenêtre, bafouilla Angalo. Il y a du ciel partout !
— Inutile de revenir là-dessus, merci.
— Juste un dernier petit coup d’œil…
— Écoute, Gurder nous attend et on ne veut plus avoir de problèmes…
— Mais c’est mieux que les camions…
Les deux gnomes entendirent un borborygme.
Ils levèrent les yeux.
Un des humains les observait. Il avait la bouche ouverte, et son visage affichait l’expression de celui qui va avoir beaucoup de mal à expliquer ce qu’il vient de voir ; à lui-même, pour commencer.
L’humain commençait déjà à se lever.
Angalo et Masklinn échangèrent un regard.
— Fonce ! hurlèrent-ils.
Gurder était prudemment retranché dans une flaque d’ombre près de la porte quand ils le dépassèrent, bras et jambes s’activant comme des pistons. Il retroussa sa chasuble pour essayer de les rattraper.
— Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ?
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