Il ne le fit pas. Il suivait de nouvelles instructions.
De petites bouffées de gaz jaillirent tandis qu’il pivotait en explorant le ciel à la recherche de sa cible.
Le temps qu’il la localise, pas mal de gens dans l’industrie des vieux films et des nouvelles neuves échangeaient des invectives furieuses par téléphone, et quelques-uns tentaient dans la fièvre de lui transmettre de nouvelles instructions.
Mais ça n’avait aucune importance : il n’écoutait plus.
Masklinn galopait à travers les fourrés. Ils vont discutailler et se disputer, songeait-il. Il faut agir vite. Je ne crois pas que nous disposions de beaucoup de temps.
C’est la première fois qu’il était vraiment seul depuis le temps où il vivait dans un terrier et devait sortir chasser seul parce que personne d’autre n’en était capable.
Est-ce que ç’avait été une époque meilleure ? Plus simple, en tout cas. Il suffisait juste de manger sans se faire manger. Passer la journée était déjà un triomphe. Tout avait été horrible mais, au moins, c’était une horreur compréhensible, à l’échelle d’un gnome.
En ce temps-là, le monde était borné par la voie rapide d’un côté, et par les bois derrière les champs, de l’autre. Désormais, il n’y avait plus la moindre limite, et les problèmes étaient si nombreux qu’il ne savait plus comment les aborder.
Mais au moins, il savait où trouver de l’électricité. Il y en avait près des bâtiments qui abritaient des humains.
Devant Masklinn, les fourrés s’ouvrirent sur une sorte de piste. Il s’y engagea en forçant l’allure. Suivez n’importe quelle piste, vous finirez toujours par rencontrer des humains quelque part…
Derrière lui, il entendit des pas. Il se retourna et vit Pionn. Le jeune Floridien lui adressa un sourire inquiet.
— Va-t’en, lui dit Masklinn. Allez ! Va ! Repars ! Pourquoi est-ce que tu me suis ? Va-t’en !
Pionn parut blessé. Il indiqua la piste et dit quelques mots.
— Je ne comprends pas ! s’écria Masklinn.
Pionn leva la main au-dessus de sa tête, paume vers le bas.
— Les humains ? devina Masklinn. Oui, je sais. Je sais ce que je fais. Repars !
Pionn ajouta autre chose.
Masklinn leva le Truc.
— Boîte qui parle pas marcher, dit-il, à court d’arguments. Miséricorde ! pourquoi est-ce que je parle comme ça ? Tu es au moins aussi intelligent que moi. Allez, va-t’en. Va retrouver les autres.
Il se retourna et partit en courant. Il jeta un bref coup d’œil derrière lui et vit Pionn qui le regardait.
Combien de temps me reste-t-il ? se demanda-t-il. Le Truc m’a dit un jour que le Vaisseau volait très vite. Peut-être qu’il pourrait être ici d’une minute à l’autre. Peut-être qu’il ne viendra pas…
Il vit des silhouettes se dresser au-dessus des broussailles. C’est sûr, suivez n’importe quel chemin et vous finirez tôt ou tard par rencontrer des humains. Ils sont partout.
Ou peut-être que le Vaisseau ne viendra pas.
S’il ne vient pas, je vais probablement commettre la plus monstrueuse bêtise qu’un gnome ait jamais commise dans toute l’Histoire de la gnomitude.
Il s’avança dans un cercle de gravier. Un petit camion y était garé, et le nom du dieu floridien, NASA, était peint sur ses côtés. À proximité, deux humains étaient penchés au-dessus d’une sorte de machine placée sur un trépied.
Ils n’avaient pas remarqué la présence de Masklinn. Il s’approcha encore, le cœur battant.
Il posa le Truc par terre.
Il plaça ses mains en porte-voix autour de sa bouche.
Il essaya de crier, aussi intelligiblement et aussi lentement que possible.
— Hé ! ho ! Vous, là-bas ! Les huu-mains !
— Il a fait quoi ? s’exclama Angalo.
Pionn reprit sa pantomime et ses gestes depuis le début.
— Il a parlé à des humains ? fit Angalo. Il a grimpé dans un machin à roues ?
— Il m’avait bien semblé entendre un bruit de moteur, fit Gurder.
Angalo claqua du poing contre sa paume.
— Il avait peur pour le Truc, conclut-il. Il cherchait de l’électricité !
— Mais on doit se trouver à des kilomètres du bâtiment le plus proche ! gémit Gurder.
— Pas de la façon dont Masklinn se déplace ! rugit Angalo.
— Je le savais ! Je savais qu’on en arriverait là ! Nous montrer à des humains ! On ne faisait jamais de telles choses dans le Grand Magasin ! Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ?
Jusqu’ici, tout ne va pas trop mal, songea Masklinn.
Les humains ne savaient visiblement pas trop quoi faire de lui. Ils avaient même reculé ! Et ensuite, l’un d’eux s’était précipité vers le camion et il avait parlé à une machine attachée par un fil. Sans doute une espèce de téléphone, se dit Masklinn, en connaisseur.
Constatant qu’il ne bougeait pas, un des humains était allé chercher une boîte à l’arrière du camion et il était revenu à pas de loup vers le gnome, comme s’il avait peur que Masklinn n’explose. En fait, quand ce dernier lui avait adressé un salut de la main, l’humain avait bondi maladroitement en arrière.
L’autre humain avait dit quelque chose, et le premier avait placé la boîte avec précaution sur le gravier, à quelque distance de Masklinn.
Ensuite, les deux humains l’avaient observé en guettant sa réaction.
Il avait continué de sourire, pour les rassurer, et avait grimpé dans la boîte. Puis il leur avait fait un nouveau petit signe.
Un des humains s’était penché avec une infinie prudence et avait ramassé la boîte, la soulevant comme si Masklinn était un objet très rare et très fragile. On l’avait transporté jusqu’au camion. L’humain monta à bord et, tenant toujours la boîte avec un soin exagéré, la plaça sur ses genoux. Une radio crépitait de graves voix humaines.
Bon, plus possible de faire marche arrière, maintenant. En se disant cela, Masklinn se sentit presque détendu. Peut-être valait-il mieux considérer tout cela comme une nouvelle quête du meilleur moment de la journée.
Ils continuaient à le contempler, comme s’ils n’en croyaient pas leurs yeux.
Le camion démarra avec une secousse. Au bout d’un moment, il s’engagea sur une route en ciment, où l’attendait un autre camion. Un humain en descendit, s’entretint avec le chauffeur du camion de Masklinn, rit à la lente façon des humains, baissa les yeux vers Masklinn et arrêta très brutalement de rire.
Il courut presque à son propre véhicule et commença à parler dans un autre téléphone.
Je me doutais que ça se passerait comme ça, se dit Masklinn. Ils ne savent pas quoi faire d’un véritable gnome. C’est étonnant.
Mais du moment qu’ils m’emmènent quelque part où on trouve le genre d’électricité dont j’ai besoin…
Dorcas, le bricoleur, avait un jour tenté d’expliquer l’électricité à Masklinn, sans grand succès, parce que Dorcas lui-même n’avait pas des notions très précises sur le sujet. Apparemment, il en existait deux sortes, la droite et la zigzagante. La variété droite n’était pas très intéressante et elle restait sans bouger dans les piles. On trouvait le genre zigzagant dans les fils électriques des murs et les trucs comme ça, et semblait-il, le Truc était capable d’en voler quand il se trouvait à proximité. Dorcas employait pour évoquer l’électricité zigzagante le même ton de voix que Gurder quand l’Abbé parlait d’Arnold Frères (fond. 1905). Dorcas avait essayé de l’étudier, au temps du Grand Magasin. Si on l’enfermait dans un réfrigérateur, elle rendait les choses froides, mais si la même électricité allait dans un four, elle les rendait chaudes. Comment savait-elle faire la différence ?
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