« ALBERT ?
— Oui, maître ?
— TU N’AS DONC RIEN À FAIRE ? UN PETIT BOULOT ?
— J’crois pas.
— AILLEURS QU’ICI, JE VEUX DIRE.
— Ah. Vous voulez rester seul, c’est ça.
— JE SUIS TOUJOURS SEUL. MAIS EN CE MOMENT, JE VEUX ÊTRE SEUL TOUT SEUL.
— Bon. J’vais aller… euh… faire quelques bricoles à la maison, alors, dit Albert.
— VOILÀ. »
La Mort, debout, enfin seul, regarda le blé danser dans le vent. Evidemment, ce n’était qu’une métaphore. Les gens étaient davantage que du blé. Ils traversaient en virevoltant de toutes petites vies bien remplies, mus littéralement par un mécanisme d’horlogerie, leurs journées entièrement dévolues, de la première à la dernière, au simple effort de vivre. Et toutes les vies faisaient exactement la même durée. Les très longues comme les très courtes. Du point de vue de l’éternité, en tout cas.
Quelque part, la voix ténue de Pierre Porte objecta :
« Du point de vue de l’intéressé, les plus longues sont préférables.
— COUIII. »
La Mort baissa la tête.
Une petite silhouette se dressait à ses pieds.
Il baissa la main, ramassa le petit être et le leva à hauteur d’une orbite inquisitrice.
« JE SAVAIS QUE J’OUBLIAIS QUELQU’UN. »
La Mort aux Rats opina.
« COUIII ? »
La Mort fit non de la tête.
« NON, JE NE PEUX PAS TE GARDER ICI, dit-il. JE NE TIENS PAS UNE FRANCHISE OU JE NE SAIS QUOI, MOI.
— COUIII ?
— TU ES LE SEUL QUI RESTE ? »
La Mort aux Rats ouvrit une petite main squelettique. La minuscule Mort aux Puces se leva, l’air gênée mais de l’espoir dans les yeux.
« NON. CE N’EST PAS POSSIBLE. JE SUIS IMPLACABLE. JE SUIS LA MORT… SEUL. »
Il regarda la Mort aux Rats.
Il se rappela Azraël dans sa tour de solitude.
« SEUL… »
La Mort aux Rats le regarda à son tour.
« COUIII ? »
Imaginez une haute silhouette noire entourée de champs de blé…
« NON, TU NE PEUX PAS MONTER UN CHAT. A-T-ON JAMAIS ENTENDU PARLER DE LA MORT AUX RATS À CHEVAL SUR UN CHAT ? LA MORT AUX RATS DEVRAIT MONTER UNE ESPÈCE DE CHIEN. »
Imaginez d’autres champs, un immense réseau de champs qui s’étendent d’un bout à l’autre de l’horizon en douces ondulations…
« NE ME DEMANDE PAS À MOI, JE NE SAIS PAS. UN GENRE DE TERRIER, PEUT-ÊTRE. »
… de champs de blé, vivants, qui murmurent sous la brise…
« VOILÀ, ET LA MORT AUX PUCES PEUT MONTER DESSUS AUSSI. COMME ÇA TU FAIS D’UNE PIERRE DEUX COUPS. »
… qui attendent le mécanisme des saisons.
« MÉTAPHORIQUEMENT. »
Et comme à la fin de toute histoire, Azraël, au courant du secret, songea : JE ME SOUVIENS QUAND TOUT ÇA VA RECOMMENCER.
AINSI PREND FIN « LE FAUCHEUR »
ONZIÈME LIVRE DES ANNALES DU DISQUE-MONDE.
En l’occurrence, trois meilleurs emplacements. Les portes d’entrée des numéros 31, 7 et 34 de la rue de l’Orme, Ankh-Morpork.
Du moins jusqu’au jour où ils empoignent soudain un coupe-papier, se frayent un chemin à coups de taille dans la comptabilité analytique et entrent dans l’histoire de la médecine légale.
Le poste de major de promo ne court pas les rues, le terme lui-même non plus. Dans certains centres d’études, le major de promo est un philosophe de premier plan, dans d’autres, le responsable de la promenade des chevaux. Le major de promo de l’Université de l’Invisible était un philosophe qui ressemblait à un cheval, il répondait donc aux deux définitions.
Il est vrai que les morts-vivants ne peuvent pas traverser l’eau courante. Cependant, le fleuve Ankh, naturellement turbide, déjà lourd de la vase des plaines, ne peut après son passage dans la ville (1 000 000 d’habitants) se prévaloir de l’appellation d’«eau courante», ni même du terme d’«eau» tout court, en l’occurrence.
Bien que peu fréquents sur le Disque-monde, il existe des actes qualifiés d’antidélits, en fonction de la loi fondamentale que tout dans le multivers possède son contraire. Des actes bien entendu exceptionnels. Faire banalement un présent à quelqu’un n’est pas le contraire du vol; pour que ce soit un antidélit, il faut qu’il en résulte outrage et/ou humiliation pour la victime. On assiste ainsi à des dons avec effraction, cadeaux qui ne font pas plaisir (comme la plupart des cadeaux de départ en retraite) et lettres de déchantage (quand on menace un gangster de révéler à ses ennemis ses dons anonymes, par exemple à des œuvres de bienfaisance). Les antidélits n’ont jamais vraiment connu le succès.
C.-à-d. partout ailleurs que dans les Ombres.
Les pluies de poissons, par exemple, sont si fréquentes à Rabotepin, petit village sans aucun accès à la mer, qu’une industrie prospère de fumage, de conserve et de découpage en filets du hareng saur y a vu le jour. Et dans les régions montagneuses de Syrrit, de nombreux moutons, laissés au champ toute la nuit, se retrouvent le lendemain matin tournés dans l’autre sens, sans intervention apparente d’aucune main humaine.
Le convive qui ne manque pas de verser du sel voire du poivre sur tout ce qu’on lui sert, quel que soit le plat, même s’il est déjà assaisonné, sans souci de son goût. Les psychiatres spécialistes du comportement engagés par des établissements de restauration rapide dans l’univers, après avoir remarqué le phénomène, ont fait économiser des milliards de devises locales à leurs employeurs en leur conseillant de ne rien assaisonner au préalable. Ce n’est pas une blague.
On a écrit d’innombrables chansons sur la métropole trépidante, la plus célèbre restant évidemment Sous les ponts d’Ankh-Morpork, mais parmi les autres citons Il est midi, Ankh-Morpork s’éveille, Aïe, les p’tites femmes d’Ankh-Morpork et la grande classique Ankh-Morpork, hélas madame.
Qui révélerait, par exemple, que vous allez sous peu souffrir de selles douloureuses.
Madame Cake n’ignorait pas que certaines religions ordonnaient des prêtresses. Ce qu’elle pensait de l’ordination des femmes n’est pas imprimable. À Ankh-Morpork, les religions à prêtresses avaient tendance à drainer une foule de prêtres en civil d’autres confessions venant chercher deux, trois heures de répit quelque part où ils ne risquaient pas de tomber sur madame Cake.
Une chanson qui, en diverses langues, est commune à tous les mondes connus du multivers. Ce sont toujours les mêmes gens qui la chantent, c’est-à-dire ceux auxquels, plus tard, la génération suivante la chantera.
Le seul bâtiment du campus âgé de moins de mille ans. Les grands mages ne se sont jamais beaucoup souciés de savoir ce que leurs confrères plus jeunes, plus maigres et plus enlunettés y fabriquaient, traitant leurs sempiternels appels de fonds pour des accélérateurs de particules thaumiques et des boucliers antiradiations comme on traite des demandes d’augmentation d’argent de poche, prêtant une oreille amusée aux comptes rendus haletants de leurs recherches sur les particules élémentaires de la magie elle-même. Une attitude qui risque un jour de se révéler être une grave erreur de la part des grands mages, surtout s’ils laissent effectivement les jeunes construire le fichu bidule qu’ils tiennent à installer dans le court de squash.
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