— Mon bateau, dit Davos. Tous mes hommes. Quatre de mes fils.
— Puissent les… puisse le Maître de la Lumière les guider à travers les ténèbres jusque dans un monde meilleur », marmotta l’autre.
Puisse le Père les juger avec équité, et puisse la Mère leur accorder miséricorde , songea Davos, mais il préféra garder sa prière par-devers lui, les Sept étant désormais pis qu’indésirables à Peyredragon.
« Mon fils à moi se trouve en sécurité à Rubriant, s’enferra le lord, mais j’ai déploré la perte d’un neveu embarqué à bord de la Fureur. Ser Imry, le propre fils de mon propre frère, Ryam. »
C’était précisément le ser Imry Florent qui les avait aveuglément fourrés à toutes rames dans la Néra, sans seulement s’inquiéter des petites tours de pierre qui flanquaient l’embouchure de la rivière. Davos n’était pas près d’oublier sa mémoire. « Mon fils Maric était maître de nage de votre neveu. » L’ultime image qu’il conservait de la Fureur, environnée de feu grégeois, lui revint à l’esprit. « A-t-on eu vent de rescapés ?
— La Fureur a brûlé et sombré corps et biens, déclara Sa Seigneurie. Votre fils et mon neveu y ont trouvé leur perte, ainsi que d’innombrables braves de leur espèce. Nous avons également perdu la guerre ce jour-là, ser. »
C’est un vaincu. Davos se remémora l’assertion de Mélisandre selon laquelle un simple tison dans les cendres demeurait à même d’allumer un prodigieux brasier. Pas étonnant qu’on l’ait expédié croupir ici. « Jamais Sa Majesté ne fera sa reddition, messire.
— C’est de la démence, de la démence ! » Lord Alester se rassit par terre, comme si l’effort de rester un moment debout l’avait épuisé. « Stannis Baratheon n’occupera jamais le trône de Fer. Est-ce félonie que de proférer l’évidence ? Une évidence qui, si saumâtre soit-elle, n’en conserve pas moins son caractère d’évidence. Sa flotte s’est envolée en fumée, Lysiens à part, et Sladhor Saan déguerpira pour peu que s’entraperçoive un bout de voile Lannister. La plupart des seigneurs qui soutenaient sa cause sont passés à Joffrey ou morts…
— Même ceux du détroit ? Les seigneurs liges de Peyredragon ? »
Lord Alester agita piteusement sa main. « Lord Celtigar a été fait prisonnier, et il a ployé le genou. Monford Velaryon a péri avec son bateau, la femme rouge a brûlé Solverre, et, outre qu’il a quinze ans, lord Bar Emmon est aussi gras que pusillanime. Les voilà, vos seigneurs du détroit. Il ne reste à Stannis que les forces de la maison Florent, ce face à la puissance conjuguée de Castral Roc, Hautjardin et Lancehélion, sans compter maintenant la plupart des seigneurs de l’Orage. Au mieux, nous n’avons plus à espérer qu’une paix de compromis pour sauver quelque chose. A cela se réduisaient mes intentions. Comment peuvent-ils, bonté divine ! voir là de la félonie ? »
Toujours debout, lui, Davos fronça les sourcils. « Qu’avez-vous fait au juste, messire ?
— Pas trahi. Jamais de la vie. Le roi, je l’aime autant que quiconque. Il a pour reine ma propre nièce, et je lui suis resté d’une loyauté indéfectible, alors que de plus malins l’abandonnaient. Je suis sa Main, la Main de Sa Majesté, comment serais-je un traître, je vous prie ? Je ne songeais qu’à sauver nos vies et… l’honneur…, oui, l’honneur. » Il se lécha les babines. « Je me suis contenté de rédiger une belle lettre. Sladhor Saan jurait avoir un homme qui se chargerait de la délivrer à Port-Réal. A lord Tywin. Sa Seigneurie est un… – un homme raisonnable, et mes conditions…, les conditions étaient équitables…, plus qu’équitables.
— Et en quoi consistaient-elles, messire ?
— Ces lieux sont immondes ! fit lord Alester tout à coup. Et cette odeur…, c’est quoi, cette odeur ?
— La tinette, répondit Davos avec un geste éloquent. Nous ne possédons pas de cabinet d’aisances, ici. »
Son Excellence lorgna la tinette avec horreur. « Que lord Stannis renoncerait à toutes prétentions au Trône de Fer et retirerait ses allégations quant à la bâtardise de Joffrey, sous réserve qu’on le réintègre dans la paix du roi et qu’on le confirme dans ses titres et possessions de Peyredragon et d’Accalmie. Je m’engageais sur ma foi à agir de même pour obtenir la restitution de Rubriant et de la totalité de nos terres. Je me flattais… que lord Tywin se montrerait sensible au bon sens de mes ouvertures. Il a toujours à régler leur compte aux Stark, et aux Fer-nés par-dessus le marché. J’offrais de sceller l’affaire en mariant Shôren au frère de Joffrey, Tommen. » Il secoua la tête. « Ces conditions…, nous n’en saurions obtenir de meilleures. Même vous, vous devez vous en rendre compte, je gage ?
— Oui, dit Davos, même moi. » A moins que Stannis ne parvînt à engendrer un fils, pareil mariage impliquait qu’Accalmie et Peyredragon écherraient un jour à Tommen, perspective qui n’était sans doute point faite pour déplaire outre mesure à lord Tywin. D’ici là, les Lannister auraient toujours Shôren en otage pour leur garantir que Stannis ne fomente pas de nouvelle rébellion. « Et comment réagit Sa Majesté quand vous Lui fîtes part de ces conditions ?
— La femme rouge ne lâche pas le roi d’une semelle, et… et il n’a pas toute sa raison, je crains. Ces contes à dormir debout de dragons de pierre…, de la démence, je vous dis, de la démence pure et simple. N’avons-nous donc rien appris des mésaventures d’Aerion le Flamboyant, des neuf mages ou des alchimistes? Lestival ne nous a-t-il donc rien appris ? Ces rêves de dragon, jamais il n’en est rien sorti de bon, je l’ai dit et redit à Axell. Ma démarche était meilleure. Plus sûre. Et Stannis m’avait remis son sceau, donné toute licence pour gouverner… Lorsque la Main parle, c’est la voix du roi qu’on entend.
— En l’occurrence, non. » N’ayant rien d’un courtisan, Davos n’envisagea même pas de moucheter ses mots. « Stannis n’est pas homme à se rendre, alors qu’il sait fondées ses revendications. Et il ne saurait davantage se rétracter à propos de Joffrey, quand il croit dur comme fer à ce qu’il avance. Quant au mariage, comme Tommen est né du même inceste abominable que Joffrey, il aimerait mieux voir Shôren morte qu’unie de la sorte. »
Une veine palpita au front de Florent. « Il n’a pas le choix.
— C’est ce qui vous trompe, messire. Il peut choisir de mourir en roi.
— Et nous avec lui ? Est-ce là ce que vous désirez, chevalier Oignon ?
— Non. Mais je suis l’homme du roi, et je ne conclurai pas de paix sans sa permission. »
Lord Alester le dévisagea longuement d’un air désemparé, puis il éclata en sanglots.
La dernière nuit tomba, noire et sans lune, mais du moins le ciel était-il limpide, pour une fois. « Je vais voir sur la colline si je trouve Fantôme », dit-il aux Thenns postés à la bouche de la caverne et, non sans maugréer, ils le laissèrent passer.
Tant d’étoiles , songea-t-il tout en ahanant le long de la pente parmi les pins, les frênes et les sapins. Mestre Luwin lui avait enseigné, tout gosse, à Winterfell, ses constellations, et il savait depuis le nom des douze maisons du ciel et de chacun de leurs gouverneurs ; il découvrait aisément les sept marcheurs consacrés à la Foi ; ils étaient, lui et le Dragon de Glace et le Lynx, la Vierge de Lune et l’Epée du Matin, de vieux copains. Toutes celles-là, il les partageait avec Ygrid, mais pas certaines des autres. Ce sont bien les mêmes que nous regardons, mais nous y voyons des choses si différentes… ! Pour elle, la Couronne du Roi était le Berceau, l’Etalon le Seigneur aux Cornes ; le Marcheur rouge que les septons déclaraient consacré au Ferrant, les sauvageons l’appelaient le Voleur. Et quand le Voleur se trouvait dans la Vierge de Lune, l’époque était propice à qui se proposait de ravir une femme, affirmait Ygrid. « Comme la nuit où tu m’as ravie. Le Voleur étincelait, cette nuit-là.
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