Il fit un pais vers elle, les bras ouverts. Elle recula, lui intimant d’un petit geste de la main de rester où il était. Puis, avec un sourire qui était comme le soleil réapparaissant après l’orage, elle fit glisser la robe blanche et transparente de ses épaules et se tint nue devant lui.
Elle paraissait si petite ; un corps mince qui arrivait à peine à la poitrine de Prestimion, une taille fine dont la courbe brusque au-dessus des hanches évasées accentuait la fragilité des formes. Malgré cela, son corps semblait ferme, vigoureux et robuste ; un corps d’athlète aux épaules larges comme celles de son frère, aux muscles longs et nerveux, un corps gracieux aux proportions élégantes. Et elle était extrêmement féminine. Les seins, petits, étaient ronds et hauts, avec de petits mamelons durs, d’aspect virginal. La peau était mate. La dense toison noire et bouclée du pubis avait le même éclat luisant que les cheveux.
Elle était parfaite. Il n’avait jamais imaginé pareille beauté.
— Nous sommes restés si longtemps des étrangers l’un pour l’autre, murmura-t-elle. « Bonjour, princesse Thismet », me disais-tu, et je répondais : « Bonjour, prince Prestimion. » C’était tout. Rien d’autre que cela pendant toutes ces années passées au Château. Quel gâchis ! Quel triste et stupide gâchis de notre jeunesse !
— Nous sommes encore jeunes, Thismet. Nous avons tout le temps pour prendre un nouveau départ.
Il fit un autre pas vers elle ; cette fois, elle ne se déroba point. Il fit courir ses mains sur le satin de la peau de Thismet. Elle plaqua les lèvres sur les siennes et il sentit la pointe ardente de sa langue, et ses ongles qui lui griffaient le dos.
— Prestimion… Prestimion…
— Oui.
Deux autres semaines s’écoulèrent dans le campement du Val de Gloyn. Puis les espions que Prestimion avait envoyés sur tout le continent rapportèrent que Korsibar était descendu du Mont avec une armée gigantesque et commençait de marcher vers l’ouest. Les fils de l’éleveur de hierax décollèrent sur le dos de leurs oiseaux géants et confirmèrent l’information : une troupe colossale de soldats se dirigeait vers eux.
Deux messages arrivèrent peu après au campement de Prestimion : ils étaient rédigés sur le raide papier-parchemin utilisé par le Coronal et portaient le sceau à la constellation.
L’un d’eux, adressé à Prestimion, lui intimait de mettre fin une fois pour toutes à la rébellion et de se constituer immédiatement prisonnier auprès des représentants de l’autorité les plus proches, afin d’être jugé pour trahison. S’il ne déposait pas les armes, lui-même et ses principaux officiers seraient condamnés à mort lorsqu’ils seraient capturés ; si Prestimion se rendait sur-le-champ, la vie des officiers serait épargnée.
L’autre message était adressé à lady Thismet. Il l’informait que, dans son auguste clémence, le Coronal lord Korsibar son frère lui pardonnait la faute qu’elle avait commise en se rendant chez l’ennemi et s’engageait à lui permettre de circuler librement sur le continent, si elle décidait de rentrer au Château pour y reprendre sa plaisante et confortable existence à la cour.
— Voilà, fit Prestimion d’un ton dégagé, après avoir lu les deux missives à ses officiers, le choix qui s’offre à nous est on ne peut plus clair. Je me mets en route dès aujourd’hui pour les provinces orientales, je trouve Korsibar et me jette à ses pieds pour implorer sa pitié. J’emmène sa sœur et je la remets à sa garde en jurant solennellement que je la lui rends dans l’état où elle est venue à moi.
Autour du feu de camp, des éclats de rire saluèrent cette déclaration, les plus bruyants venant de Thismet.
On fit encore une fois circuler le vin autour du cercle, pas un grand cru de Muldemar, mais un bon et âpre vin bleu gris de la province voisine de Chistiok, livré en longs récipients en cuir de klimbergeyst, et le silence se fit tandis qu’ils buvaient.
— As-tu l’intention d’attendre ici que Korsibar vienne à nous, demanda Gialaurys à Prestimion, ou préfères-tu porter la guerre ailleurs, là où nous le trouverons ?
— Ailleurs, répondit Prestimion sans hésiter. Ce plat pays n’est pas un bon endroit pour livrer une grande bataille. Nous ne ferions que courir stupidement en tous sens.
— Et cela paniquerait les animaux qui vivent dans ces plaines, ajouta Septach Melayn. Nous les avons assez dérangés comme cela. Prestimion a raison : il faut aller à l’ennemi.
— Y a-t-il des objections ? reprit Prestimion en parcourant le groupe du regard. Personne ? Très bien : nous lèverons le camp demain, à l’aube.
C’était une lourde tâche, car l’armée rassemblée dans le paisible Val de Goyn était d’une importance considérable. Il fallut plus d’une journée pour démonter les tentes, charger les flotteurs et les roulottes, regrouper les bêtes de somme et commencer le grand voyage vers l’est.
L’armée qui faisait marche vers eux, d’après les rapports des agents de Prestimion, était beaucoup plus puissante encore. Non seulement Korsibar avait mobilisé l’armée régulière des provinces entourant le Mont, mais il pouvait compter sur le soutien de celle que Dantirya Sambail avait levée à Zimroel et placée sous le commandement de ses frères Gaviad et Gaviundar, sans compter les milices privées contrôlées par Oljebbin, Gonivaul et Serithorn.
— Même Serithorn, soupira Prestimion. Pour Gonivaul, je comprends : nous n’avons jamais été très liés. Oljebbin, lui, est le cousin du père de Korsibar. Mais Serithorn… Serithorn…
— C’est l’œuvre de Dantirya Sambail, fit Septach Melayn. Depuis la catastrophe du barrage, il est resté au Château et jette le trouble dans les esprits à la cour. Tout le monde doit avoir peur de s’opposer à lui. S’il a décidé de s’unir à Korsibar, comment pourrait-on ne pas le suivre ?
— Ce qui en dit long sur le pouvoir des liens du sang, observa Svor. Le Procurateur, si je ne me trompe, est un cousin à toi, Prestimion.
— Un cousin éloigné, répliqua Prestimion. Plus éloigné à mesure que le temps passe. Quoi qu’il en soit, quelques milices privées ne changeront pas grand-chose à l’affaire. Le peuple est avec nous, n’est-ce pas ? Les difficultés se sont multipliées depuis que Korsibar s’est proclamé Coronal, tout le monde le sait. Des citoyens dressés les uns contre les autres, des récoltes perdues parce que les hommes partent à la guerre au lieu de labourer les champs, un gouvernement frappé de paralysie… Un Coronal inepte et un Pontife dépassé par les événements…
— C’est ce qu’il y a de plus déplorable, glissa Gialaurys. Le vieux Confalume, qui fut un si grand Coronal, reste terré dans le Labyrinthe où il n’est plus que l’ombre de lui-même pendant que son fils indigne répand la désolation autour de lui ! Que doit-il penser ? Je suis si peiné de voir un règne mémorable s’achever dans un grand chambardement.
— Peut-être n’a-t-il pas véritablement conscience de ce qui se passe, fit Svor. J’aime à croire qu’un des mages de Korsibar, Sanibak-Thastimoon, selon toute vraisemblance, a jeté sur son esprit un voile perpétuel et que le Pontife passe ses jours et ses nuits comme dans un rêve. Mais quelle tristesse pour ceux d’entre nous qui ont gardé le souvenir du Confalume d’antan !
— Tu as raison, Svor, fit Prestimion. Quelle route chaotique nous avons parcourue depuis ce temps-là !… Oui ?
Un messager venait d’arriver, un rouleau de parchemin à la main. Il le remit à Prestimion qui le lut attentivement.
— Encore un décret de lord Korsibar ? demanda Septach Melayn.
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