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Michael Chabon: Le club des policiers yiddish

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Michael Chabon Le club des policiers yiddish

Le club des policiers yiddish: краткое содержание, описание и аннотация

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Le district de Sitka, en Alaska, est le nouvel Israël. Y vivent deux millions de Juifs parlant le yiddish. L’inspecteur Meyer Landsman, de la brigade des homicides, est chargé de faire régner la paix dans cette communauté désobéissante et encline aux mystères. Ainsi, dans un hôtel minable, Landsman découvre un junkie assassiné qui s’avère être le fils du plus puissant rabbin de Sitka, le chef des verbovers, des Juifs ultra-orthodoxes. Des ordres venant de l’étranger exigent la clôture de l’enquête mais Landsman s’obstine : ce mort lui plaît et il refuse de laisser son assassinat impuni… Le rabbin aurait-il commandité le meurtre de son fils ? Dans quel but ? Et quels liens entretient la communauté verbover avec d’étranges commandos parlant hébreu ?

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— Je vais vérifier le toit, lance-t-il. Ne laisse partir personne, et préviens-moi si les latkès se décident à venir.

Landsman prend l’elevatoro jusqu’au septième, puis gravit pesamment un escalier de marches en béton bordées d’acier menant au toit du Zamenhof. Il arpente le périmètre, observe le toit du Blackpool, l’hôtel d’en face. Il scrute les corniches nord, est et sud, reporte ses regards sur les constructions voisines, six ou sept étages plus bas. La nuit forme une macule orange au-dessus de Sitka, mélange de brouillard et de halos de réverbères à vapeur de sodium, ayant la translucidité des oignons frits dans de la graisse de poulet. Les lampes des Juifs s’étirent du versant du mont Edgecumbe, à l’ouest, sur les soixante-douze îles remblayées du Sound, jusqu’à Shvartsn-Yam, Halibut Point, Sitka-sud et Nachtasyl, et même jusqu’à Harkavy et à l’Untershtot, avant d’être mouchées à l’est par la chaîne Baranof. Sur l’île Oysshtelung, le fanal du bout de Safety Pin – unique vestige de l’Exposition universelle – clignote pour le bénéfice des avions ou des Yids. Landsman hume l’odeur de poiscaille des conserveries, le relent de graillon des cuves à friture de la Perle de Manille, les gaz d’échappement des taxis, le parfum enivrant de feutre neuf qui vient de Grinspoon’s Felting, à deux rues de là.

— C’est beau là-haut, déclare Landsman après être redescendu à la réception, avec son cendrier porte-bonheur, ses canapés jaunis, ses fauteuils et ses tables balafrées auxquelles on voit parfois deux ou trois pensionnaires en train de tuer une heure en jouant à la belote. Je devrais monter plus souvent.

— Et le sous-sol ? suggère Tenenboym. Vous allez y jeter un coup d’œil ?

— Le sous-sol, répète Landsman, dont le cœur saute dans la poitrine à la manière d’un cavalier des échecs. Je crois que je ferais bien.

Landsman est un coriace à sa façon, habitué à prendre des risques. On l’a traité de dur à cuire et de casse-cou, de mamzer, de bâtard, de sale fils de pute. Il a défié des shtarkers et des psychopathes, s’est fait tirer dessus, bastonner, congeler, brûler. Il a cavalé après des suspects entre des façades flamboyantes lors de luttes urbaines contre les incendies et jusqu’au fin fond du pays des ours. Sommets, foules, serpents, maisons en feu, chiens dressés à flairer un policier, il les a tous ignorés ou a joué son rôle malgré eux. Mais quand il se trouve dans des lieux sombres ou exigus, Meyer Landsman retourne à l’état animal. Seule son ex-femme le sait, l’inspecteur Meyer Landsman a peur du noir.

— Vous voulez que je vienne avec vous ? propose Tenenboym d’un ton dégagé, mais avec une vieille poissarde raisonnable comme Tenenboym, on ne sait jamais.

Landsman feint de mépriser son offre.

— Passe-moi juste une saleté de torche, dit-il.

Le sous-sol exhale ses effluves de camphre, de fuel et de poussière froide mêlés. Landsman secoue un cordon qui allume une ampoule nue, retient son souffle et baisse la tête.

Au bas des marches, il traverse la réserve des objets trouvés, tapissée de plateaux perforés et munie d’étagères et de niches contenant le millier de choses abandonnées ou oubliées à l’hôtel. Chaussures orphelines, chapkas, une trompette, un zeppelin gonflable. Une collection de cylindres de gramophone en cire représentant la totalité des productions enregistrées de la chorale Orfeon d’Istanbul. Une hache de bûcheron, deux bicyclettes, un bridge fragmentaire dans un verre d’hôtel. Perruques, cannes, un œil de verre, mains d’exposition semées par un représentant en mannequins. Livres de messe, châles de prière dans leurs sacs à fermeture Éclair en velours, une idole exotique au corps de bébé grassouillet et à tête d’éléphant. Il y a un cageot en bois pour sodas rempli de clés, un autre avec tout l’assortiment des ustensiles de coiffure, des fers à friser aux recourbe-cils. Photos de famille idylliques encadrées. Un mystérieux tortillon de caoutchouc – peut-être un jouet sexuel ou un moyen contraceptif, ou encore le secret breveté d’une gaine. Un Yid a même laissé derrière lui une marte empaillée, luisante et lubrique, son œil de verre pareil à une perle d’encre durcie. Landsman sonde le cageot de clés au moyen d’un crayon. Il regarde à l’intérieur de chaque chapeau, cherche à tâtons le long des étagères derrière les livres de poche abandonnés. Il entend battre son cœur et reconnaît l’odeur d’aldéhyde de son haleine ; au bout de quelques minutes de silence, le bourdonnement du sang dans ses oreilles lui rappelle un bruit de voix. Il vérifie derrière les cumulus d’eau chaude, encordés l’un à l’autre par des liens d’acier tels des compagnons dans une aventure vouée à l’échec.

Ensuite, la buanderie. Quand Landsman tire sur le cordon pour allumer, il ne se passe rien. Il fait dix fois plus noir là-dedans ; il n’y a rien à voir, à part des murs nus, des patères cassées, des trous d’évacuation dans le sol. Le Zamenhof n’a pas fait sa propre lessive depuis des années. Landsman jette un coup d’œil dans les trous d’évacuation, où les ténèbres sont épaisses et graisseuses. Il sent une palpitation, comme un ver dans son ventre. Il fléchit les doigts et fait craquer ses vertèbres cervicales. À l’autre bout de la buanderie, une porte, c’est-à-dire trois planches clouées ensemble par une quatrième en travers, condamne un passage bas. Le battant de fortune présente un nœud de corde en guise de loquet et un taquet pour l’accrocher.

Un vide sanitaire. L’expression à elle seule suffit à terroriser l’inspecteur.

Il évalue la probabilité qu’un certain type de tueur – pas un professionnel, ni un véritable amateur, ni même un maniaque ordinaire – puisse se cacher dans cet espace. Possible, mais il serait très difficile à ce cinglé d’avoir attaché de l’intérieur la corde au taquet. Cette déduction suffit presque à le persuader d’oublier le vide sanitaire. À la fin, Landsman allume sa torche, la coince entre ses dents. Il remonte ses jambes de pantalon, puis se met à genoux. Rien que pour se mortifier. Parce que se mortifier, mortifier les autres, mortifier le monde entier, est le passe-temps et le seul héritage de Landsman et de ses pareils. D’une main, il dégaine son énorme petit S & W et, de l’autre, décroche le nœud de corde. D’un coup sec, il ouvre la porte du vide sanitaire.

— Sors de là, dit-il, les lèvres sèches, haletant comme un vieux chnoque effarouché.

L’euphorie qu’il a ressentie sur le toit s’est refroidie tel un filament grillé. Ses nuits sont gâchées, sa vie et sa carrière une succession d’erreurs, sa ville une ampoule près de s’éteindre.

Il plonge la moitié supérieure de son corps dans le vide sanitaire. L’air y est glacé, empreint d’une âcre odeur de crottes de souris. Le rayon de sa lampe de poche dégoutte sur tout, noyant d’ombre autant de choses qu’il en révèle. Des murs de parpaing, un sol de terre battue, le plafond horriblement enchevêtré de fils électriques et de mousse isolante. Au milieu du sol, tout au fond, un disque de contreplaqué brut est encastré dans un cadre métallique circulaire, à ras de terre. Décidé à rester en bas autant qu’il peut, Landsman retient sa respiration, nage à contre-courant de sa panique. La terre autour du cadre est intacte. Une couche égale de poussière recouvre le bois comme le métal. Ni marque ni traînée. Il n’y a aucune raison de penser qu’un intrus l’ait tripoté. Landsman glisse les ongles entre le contreplaqué et le cadre, fait levier pour ouvrir la trappe rudimentaire. Sa torche illumine une tubulure d’aluminium fileté vissée dans la terre et hérissée d’échelons en acier. Le cadre s’avère être l’orifice même de la tubulure. Juste assez large pour un psychopathe adulte. Ou pour un flic juif souffrant de moins de phobies que Landsman. Il se cramponne à son sholem comme à une poignée, luttant contre la folle envie de tirer dans la gueule des ténèbres. Avec fracas, il rabat le disque de contreplaqué dans son cadre. Pas question de descendre là-dedans.

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