Non ! C’était justement la réaction qu’ils espéraient de lui ! Ils essayaient de gagner sa confiance avec leurs stratagèmes. Mais quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, il était décidé à ne pas abandonner sa résolution de s’évader, de trouver Della et de fuir la Radiation avec elle.
Il ouvrit les yeux, mais ne s’attarda qu’un instant sur l’impression de Thorndyke. À côté de cette impression centrale, il pouvait voir la fenêtre, dont les rideaux étaient tirés sur le côté. Au-delà s’élevait l’immense mur de pierre avec le trou obscur qui indiquait l’entrée du passage.
Son intérêt s’accrut lorsque les impressions de la lumière atteignirent une netteté encore plus grande. Au loin, il y avait des dizaines de silhouettes qui bougeaient – des silhouettes qui, il en était sûr, étaient ou des survivants ou des monstres ; mais ils n’étaient pas plus grands que son petit doigt ! Et il remarquait aussi, maintenant, que l’ouverture du passage qui menait à son monde était de la taille d’un de ses ongles !
Caseman dut percevoir une impression de son visage tordu par l’épouvante, car il s’exclama :
— Thorndyke ! Qu’est-ce qu’il a ?
L’autre se contenta de rire.
— Ses premières expériences avec les perceptions visuelles. N’ayez pas peur, Fenton. Vous vous habituerez à voir les objets rapetisser quand ils s’éloignent. Après tout, les voix proches sont plus fortes que celles qui viennent de loin, n’est-ce pas ?
— Il voit rudement bien pour un débutant, remarqua Caseman.
— Je dirais qu’il a pas mal d’avance sur les autres. Ce n’est sans doute pas la première fois qu’il met le nez dehors. N’est-ce pas, Fenton ?
Mais Jared ne répondit pas. Les yeux clos, il se lamentait, car les horreurs de l’infini étaient encore bien pires que tout ce à quoi il s’était attendu. Il devait regagner ses mondes !
Thorndyke interrompit ses pensées angoissées.
— À propos du Complexe n° 11… quand ses habitants quittèrent leur camp de base, ils y abandonnèrent toutes leurs connaissances ainsi que leur raison. Nous nous en sommes aperçus dès notre première incursion dans vos « passages ». Au fait, nous sommes les membres d’une expédition du Complexe de Survie n° 7, nous avons quitté nos abris il y a presque une génération. Comme je le disais, nous sommes tombés dans un de vos couloirs sur un survivant isolé. Après nous être cassé la tête jusqu’à en devenir à moitié cinglés, nous avons fini par deviner ce qui se passait.
— C’était un habitant du Niveau Supérieur, dit Caseman. Il a bien fallu deux semaines pour faire pénétrer un peu de raison dans son crâne. Nous nous sommes alors rendu compte que, pour vous faire sortir au soleil, il ne suffisait pas d’arriver en disant : « Bonjour, nous voilà ! Ça, c’est la lumière. Allons, venez avec nous. »
— En effet ! confirma Thorndyke. Il a fallu procéder lentement jusqu’à ce que nous ayons étudié la situation à fond. Nous avons mis la main sur des survivants isolés, en attendant d’avoir une idée du tableau d’ensemble. Nous ne pouvions pas pénétrer en masse avant de connaître tous les recoins et fissures où vous seriez allés vous cacher si nous vous avions chassés de vos habitations.
Comme ce récit ne semblait pas entièrement dénué de sens, Jared se força à s’allonger et à écouter.
Thorndyke se leva et eut un rire bref.
— Nous avions l’intention d’éduquer quelques survivants ; nous voulions vous les envoyer, sans lumière, pour qu’ils vous fassent part des nouvelles en douceur.
— Mais cela n’a pas marché, révéla Caseman. Dès qu’un de vos amis a appris à se servir de ses yeux, il découvre qu’il ne peut plus aller dans l’obscurité sans lumière. La plupart ont même peur de retourner en bas !
Thorndyke se frotta les mains.
— Je crois que cela suffit pour aujourd’hui, Fenton. Pensez à ce que nous avons dit. Je suppose que vous aurez des questions à nous poser la prochaine fois. Pour aider à y répondre, nous amènerons plusieurs personnes que vous connaissez et en qui vous avez confiance.
Jared ouvrit les yeux juste à temps pour les voir sortir. Il remarqua avec consternation que, du moins en ce qui concernait cette histoire de perspective, ils avaient dit vrai : plus ils s’éloignaient, plus ils devenaient petits.
Après s’être débattu en vain contre ses liens, il se détendit pour reprendre des forces et tourna la tête de l’autre côté. Instantanément, un flot de lumière intense pénétra dans ses yeux et lui arracha un cri de douleur et d’épouvante. Rugissant dans sa direction d’un des coins de la fenêtre, il y avait un bord de ce grand disque qui, selon Thorndyke, n’était pas Hydrogène ! Se dirigeait-il vers la cabane, essayait-il de l’atteindre ?
Avec la force du désespoir, il essaya encore une fois de se libérer. Les lanières cédèrent, juste au moment où la chaleur de ce… « soleil », avait dit Thorndyke, devenait de plus en plus vive sur son dos.
Il courut vers la porte et s’escrima sans résultat contre le rideau solide jusqu’à se briser les ongles. Après une courte hésitation, il traversa la pièce en courant et sauta par la fenêtre.
Il atterrit sur ses pieds et vit que le soleil n’était pas aussi près qu’il l’avait craint. Mais il y avait d’autres complications. Les impressions qui pénétraient ses yeux lui indiquèrent que sa cabane faisait partie d’une rangée d’habitations toutes semblables. Seulement, chacune était un peu plus petite que la précédente, jusqu’à la dernière qui n’était pas plus grande que sa main !
De plus, tous ces gens qu’il avait vus et entendus au loin s’étaient mis à crier et couraient vers lui. Et, bien qu’ils fussent plus petits que son index, ils grandissaient en approchant !
Déconcerté, il se mit à gravir en courant le grand remblai de terre qui entourait l’entrée du passage.
— Un survivant en fuite ! Un survivant en fuite ! criait-on derrière lui.
Il culbuta sur un obstacle qu’il n’avait pas entendu et se releva avec peine, complètement étourdi. La chaleur de la grande chose nommée « soleil » tapait sans pitié sur ses épaules et sur son dos nus pendant qu’il gravissait la pente. Il s’approchait de plus en plus de l’ouverture du passage.
Le trou obscur et béant se divisa en deux parties qui s’écartèrent de plus en plus ; à force d’attention il finit par contrôler les muscles de son visage ; les deux ouvertures se réunirent de nouveau. Hors d’haleine, il l’atteignit enfin.
Mais il ne pouvait pas y entrer !
L’obscurité était trop épaisse, trop menaçante.
Peut-être une fauve-souris l’attendait-elle au premier tournant ? Ou pouvait-il tomber dans un puits insondable qu’il ne pourrait ni voir ni entendre ?
Ses poursuivants étaient maintenant tout près de lui. Impulsivement, il se mit à courir le long de l’immense paroi rocheuse. Il tomba à plusieurs reprises et, à un moment, il dévala une pente assez raide ; il se retrouva au milieu d’une épaisse végétation de plantes de petite taille, rêches au toucher.
Il se fraya un chemin à travers les plantes et continua, courant la moitié du temps les yeux fermés, se heurtant contre les larges troncs des plantes du Paradis qui se trouvaient sur son chemin. Heureusement, les voix de ceux qui le poursuivaient devenaient de plus en plus lointaines, et la chaleur d’Hydrogène était de moins en moins forte sur ses bras et sur sa poitrine.
Il courut, puis s’arrêta pour reprendre son souffle et courut, encore et encore, jusqu’à ce qu’il s’écroule à terre et se mette à rouler à travers d’autres plantes incroyablement fines qui couvraient entièrement le sol. Il se releva et s’enfonça encore plus dans l’épaisse végétation puis s’allongea, épuisé, le visage contre la terre humide.
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