Il n’éprouvait aucune colère. Il était déçu, c’est tout. Marty avait promis d’attendre son retour, n’est-ce pas ? Est-ce qu’ils n’avaient pas tout prévu ensemble ? Comme deux amants ? Non, vraiment, ça ne lui ressemblait pas de l’abandonner comme ça après tout ce qu’ils avaient vécu ensemble.
Mais il savait ce qu’il devait faire.
Il la prit dans ses bras bandés et grimaça. Elle était pourtant si légère, et si blanche. Toute vêtue de blanc. En ouvrant la porte, il faillit tomber. Difficile de se déplacer dans l’espace avec un seul œil.
— Tu sais, lui dit-il, ça ne fait rien. Je vais porter un bandeau, comme un vrai pirate. Tiens bon.
En titubant, il la porta jusqu’au planeur sur lequel on avait remis les filets de camouflage. L’appareil avait perdu une béquille et un bout d’aile. Mais un engin gravito-magnétique n’avait pas vraiment besoin d’ailes pour voler. En tout cas, il était en assez bon état pour les emmener là où ils voulaient aller.
Anna-Maria l’aperçut l’instant où il hissait Martha dans l’habitacle. Elle se précipita vers lui, ses robes flottant autour d’elles.
— Richard ! Arrêtez !
« Oh, non ! se dit-il. Je fais ce que j’ai promis. Après tout, vous me devez bien ça, les gars ! »
Le planeur était incliné et il eut de la difficulté à bien installer Martha. Puis il posa la Lance dehors. Peut-être qu’un jour il se trouverait un petit malin pour réussir à la recharger. Alors, madame Guderian trouverait un autre planeur et elle irait liquider toutes les autres cités Tanu et libérer l’humanité de la Terre du Pliocène, le Pays Multicolore, l’Exil.
— Richard !
Il agita la main et s’installa à son tour devant les commandes. Habitacle fermé. Contact. Trame extérieure. Camouflage grillé. Oh, oh ! Système d’environnement dans le rouge ! Peut-être à cause de l’éclair… Ma foi, il tiendrait le coup.
A l’instant où l’appareil décolla, il lui sembla que son vrombissement apaisait son cerveau. Il jeta un coup d’œil à Martha pour voir si elle allait bien. Son image lui parut trembloter, devenir rouge. Puis elle se rétablit et il dit :
— Je vais aller doucement. Après tout, nous avons tout notre temps.
Anna-Maria regarda l’oiseau à l’aile brisée monter dans le ciel doré du matin. Elle fit le signe de croix. La brume s’était levée. La journée serait merveilleuse. Loin dans l’est, le nuage de fumée était toujours aussi épais mais les vents l’entraînaient dans la direction opposée.
L’appareil n’était plus qu’un petit point dans le ciel. Anna-Maria cligna des yeux dans la lumière et le point disparut.
Fin de la deuxieme epoque
A propos du « Chant des Tanu »
Le Chant des Tanu
paroles de Julian May Ancienne mélodie celtique
Adaptation et arrangement de Julian May
pour quatre voix basses
Les paroles anglaises du Chant des Tanu sont librement adaptées de Gods and Fighting Men : The Story of the Tuatha de Danaan and of the Fianna of Ireland , un compendium de la mythologie celte traduit et adapté par Lady Augusta Gregory (New York, Charles Scribner’s Sons, 1904). On y trouve le récit des aventures d’une race de dieux, le Peuple de Dana, ou les Hommes de Dea, qui seraient venus en Irlande « depuis le Nord » bien avant l’ère chrétienne. Ces récits font partie de la mythologie celte telle qu’elle se développa en Europe continentale bien auparavant.
Une partie du livre de Lady Gregory conte les exploits du dieu Manannan le Preux qui aurait disparu d’Irlande après y avoir établi les autres membres de sa race pour ne se manifester que par intervalles en composant de la musique et en jouant des tours aux hommes. Le chapitre 10 de Gods and Fighting Men raconte comment Manannan envoya une fée pour convoquer Bran, fils de Febal, en sa demeure du Pays des Femmes, également appelé Emhain (l’Aven) de l’Hospitalité Multicolore. Et voici le chant par lequel la fée attira Bran :
Il y a en dessous des pieds de bronze blanc, qui brillent à travers la vie et le temps ; un pays avenant pour toute la durée du monde, et toutes les fleurs qui pleuvent.
Il y a un arbre ancien tout couvert de bourgeons et d’oiseaux qui s’appellent ; ici toutes les couleurs sont vives, le délice est de chaque jour et il y a de la musique dans la Plaine des Voix Douces et dans la Plaine du Nuage d’Argent, là-bas au sud.
Il n’y a pas de lamentations, pas de trahison dans le pays familier ; rien de rude, rien de dur, mais de la musique douce aux oreilles.
Sans peine ni chagrin, sans mort et sans mot, sans faiblesse ; telle est Ehmain ; et cette merveille est peu commune.
Rien n’égale ses brumes ; la mer jette ses vagues sur la terre ; une pluie brillante tombe de ses cheveux.
Il y a des richesses, il y a des trésors de toutes les couleurs dans le Pays Doux, le Pays d’Abondance. De la musique et le meilleur vin.
Des chariots d’or dans la Plaine de la Mer, partant vers le soleil avec la marée ; des chariots d’argent et des chariots de bronze dans la Plaine des Jeux.
Des chevaux dorés sur la grève, et des chevaux cramoisis, et d’autres couverts d’une toison bleue comme le ciel.
C’est un jour de temps clément, l’argent tombe sur la terre ; au bord de la mer, une falaise du blanc le plus blanc se réchauffe au soleil.
Les hommes sont en multitude dans la Plaine des Jeux. Ils sont beaux et sans faiblesse. Jamais la marée ni la mort ne viendront les trouver dans le Pays Multicolore.
Voici que le jour se lève et qu’un homme survient, il monte des terres basses ; il chevauche la terre battue par les vagues et remue la mer jusqu’à ce qu’elle soit comme du sang.
Une armée vient de la mer claire, une armée rame vers la pierre, et cent musiques s’élèvent.
Ce chant est pour l’armée ; jamais il ne sera triste, pas jusqu’au bout du Temps ; il peut être chanté par des centaines ; par ceux qui ne cherchent ni la mort ni la marée descendante…
C’est à partir de ce fragment (qui est suivi des aventures plutôt ternes de Bran et des siens à Emhain, qui s’achèvent par un désastre) et des trois premiers paragraphes du premier chapitre de l’ouvrage de Lady Gregory, qui mentionne les noms et les attributs des principaux dieux celtes, que j’ai construit le squelette fragile du Pays Multicolore et de la suite. Le scénario de la Saga du Pliocène, il va sans dire, ne repose aucunement sur le folklore, mais les étudiants en mythologie identifieront des éléments empruntés non seulement aux Celtes mais également aux légendes d’une dizaine de nations européennes. Les noms des Exotiques sont tous inspirés de divinités héroïques. Les personnages humains tels que Aiken Drum, Felice Landry et Mercy Lamballe viennent aussi du folklore celte, avec l’appoint de Jung, Joseph Campbell et quelques autres. Les citations des différents folklores faites par Bryan Grenfell sont authentiques, en particulier celles qui portent sur le thème quasi universel de l’anima menace, la femme qui s’empare des hommes mortels et assouvit sur eux sa passion jusqu’à les vider. Ainsi apparaît-elle des Baléares à la Russie.
La musique du Chant des Tanu est une adaptation personnelle et simplifiée de cette mélodie mystérieuse qu’est « Londonderry Air ». La version reproduite ici, pour quatre voix humaines, diffère bien sûr sensiblement de la version exotique. La voix des Tanu possède un registre plus étendu que la voix humaine et ils apprécient particulièrement les dissonances et autres violations de l’harmonie telle que les humains la conçoivent. Je n’ai conservé que quelques rares bizarreries dans cet arrangement.
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