— C’est un miracle que les États confédérés aient tenu si longtemps. S’il n’y avait pas eu cette histoire de chemin de fer…
— Oui, je sais, s’il n’y avait pas eu un million de choses, cela ferait des années qu’ils auraient été écrasés. Mais ils ne le sont pas encore et Dieu seul sait pendant combien de temps ils continueront à tenir leur position, regretta Cly.
Briar demanda :
— Qu’est-ce que ça peut vous faire, de toute façon ?
— Pas grand-chose, répondit-il, si ce n’est que j’aimerais voir le pays intégrer Washington et qu’il y ait un peu d’argent américain qui arrive ici. Pour nettoyer le désordre qui règne dans cette ville, si possible. Il n’y a plus d’or au Klondike, si tant est qu’il y en ait jamais eu. Alors, quoi qu’il se passe, il n’y a plus assez d’argent dans cette région pour les intéresser.
Il tendit la main vers la vitre qui se trouvait à sa droite et, montrant le mur en dessous d’eux :
— Quelqu’un doit faire quelque chose. Et le Ciel m’est témoin que personne en bas n’a le début d’une idée sur la façon de régler le problème.
Son second secoua la tête.
— Mais nous en tirons un bon profit, comme beaucoup d’autres gens.
— Il existe de meilleurs moyens pour gagner sa vie, des méthodes plus honnêtes.
La voix de Cly laissait transparaître une étrange menace et ni Briar ni Rodimer n’osèrent poursuivre le sujet.
Toutefois, elle pensait avoir compris. Elle détourna la discussion.
— Qu’est-ce que vous disiez sur les pirates de l’air ?
— Rien, sauf qu’on peut en rencontrer. Mais il n’y en a pas beaucoup par ici, en général. Rares sont les aviateurs qui ont assez de cran pour plonger dans le gaz. De l’avis de certains d’entre nous, nous faisons une faveur aux Faubourgs en emportant un peu de cette substance. Vous savez, il y en a toujours qui s’échappe du trou. Il remplit la ville emmurée, comme un gros saladier. Ce que nous écrémons du dessus permet de diminuer un peu le problème.
— À condition d’oublier ce que l’on en fait, rétorqua Briar.
— Ça ne dépend pas de moi et ce n’est pas mon problème, répondit Cly, ne semblant toutefois pas énervé par sa remarque.
Elle ne dit rien, car elle était fatiguée de se battre.
— Est-ce que nous sommes bientôt arrivés ? demanda-t-elle.
Le Naamah Chérie ralentissait et se stabilisait, planant au-dessus d’une partie du mur.
— Nous y sommes. Fang ?
Fang se leva de son siège et disparut par les marches en bois. Quelques secondes plus tard, le bruit de gros objets roulant et basculant se fit entendre, puis il y eut un léger plongeon et une embardée alors que le dirigeable trouvait son équilibre. Lorsqu’il s’arrêta de bouger, Fang réapparut dans la cabine. Il portait un masque à gaz et des gants en cuir si épais qu’il pouvait à peine replier les doigts.
Il fit un signe de tête à Cly et Rodimer, qui le lui rendirent.
Le capitaine lança à Briar :
— Vous avez votre masque, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Mettez-le.
— Déjà ?
Elle attrapa sa sacoche et en sortit l’objet. Le fouillis de boucles et de sangles était encombrant, mais elle démêla le tout et le plaça sur son visage.
— Oui, déjà. Fang a ouvert les portes de la soute et nous a ancrés au mur. Le gaz est trop lourd pour monter rapidement jusqu’ici, mais il trouvera son chemin jusqu’à la cabine une fois que nous nous serons mis à bouger.
— Pourquoi est-ce que vous vous êtes ancrés au mur ?
— Pour rester stables. J’ai déjà évoqué les courants d’air. Même si le temps est calme, il y a toujours la possibilité qu’une bourrasque nous soulève et nous rabatte dans les quartiers contaminés. Alors, nous attachons le ballon avec une corde de quelques centaines de mètres. Ensuite nous dérivons au-dessus de la ville, comme un bateau qui quitterait le quai.
Il se détacha de son siège et repoussa le levier pour libérer ses genoux. Il se releva, s’étira et, au dernier moment, pensa à ne pas se redresser entièrement pour ne pas se cogner le front contre la vitre.
— Bien, dit-il. Nous allons descendre les sacs vides et lancer les propulseurs à plein régime. Ils vont nous renvoyer vers le mur en tirant les sacs derrière nous. Ces derniers se rempliront à une vitesse impressionnante. La puissance des moteurs nous permettra de remonter car, comme je l’ai déjà dit, le gaz est plus lourd qu’il n’y paraît. Il nous faudra une forte poussée pour pouvoir nous élever à une bonne altitude.
Briar régla son masque, maintenu sur son crâne grâce à des lanières, puis elle le releva au-dessus de ses yeux pour pouvoir parler.
— Donc, en gros, vous dérivez à la surface du gaz, descendez les sacs et vous propulsez à nouveau hors de la ville.
— En gros, oui, répondit-il. Lorsque nous aurons fini de dériver, je vous placerai au-dessus des conduits d’aération. Vous devrez soit descendre, soit vous laisser glisser à l’intérieur. Je vous recommande une combinaison des deux. Sortez les pieds et les mains pour ralentir votre chute. Ils sont assez longs et je n’ai aucune idée de ce que vous allez trouver en bas.
— Aucune idée du tout ?
Elle tenait toujours la protection au-dessus de ses yeux, réticente à se couper des autres en s’en recouvrant le visage.
Il se frotta la tempe et enfila un gros masque noir qui couvrait son nez et sa bouche. Une fois qu’il eut serré les sangles et ajusté la position, sa voix se transforma en un murmure étouffé.
— J’imagine que, si je vous fais glisser par un tube, il y a de grandes chances pour que vous atterrissiez dans une salle de pompage de l’air. Je ne sais pas à quoi ça ressemble, je n’en ai jamais vu personnellement. Tout ce dont je suis sûr, c’est que c’est ainsi qu’ils aspirent l’air frais.
Rodimer avait lui aussi enfilé son masque sur son visage rond et Briar était donc la seule à ne pas être protégée. Elle pouvait déjà sentir le Fléau, puissant et âpre, monter par la trappe, et elle savait qu’il fallait se prémunir. Ce qu’elle fit.
Mais le masque était horrible. Il lui allait, mais pas très bien. Le joint autour de son visage s’enfonçait dans sa chair et le poids de l’objet qui tirait sur son front et ses joues la surprit. Elle régla la sangle par-dessus ses cheveux, en évitant le plus possible que celle-ci lui fasse mal en tirant sur des mèches. À l’intérieur, il y avait une odeur de caoutchouc et de brûlé. Chaque bouffée d’air était difficile à respirer et avait un mauvais goût.
— Qu’est-ce que c’est ? Un vieux MP80 ? demanda Cly en désignant le masque.
Elle acquiesça de la tête.
— Il date de l’évacuation.
— C’est un bon modèle, observa-t-il. Vous avez des filtres à charbon de rechange ?
— Non. Mais ces deux-là n’ont pas été utilisés très longtemps, ça devrait aller.
— Ça ira pendant un moment, une journée entière si vous avez de la chance. Attendez une minute.
Il glissa la main sous la console et en retira un carton rempli de disques de divers formats.
— Quelle taille font-ils ?
— Environ sept centimètres.
— Nous en avons. Voilà, prenez-en quelques-uns. Ils ne sont pas très lourds et ils peuvent vous être utiles très bientôt.
Il en choisit quatre et les contrôla en les plaçant l’un contre l’autre, puis en les inspectant sous la lumière qui traversait le parebrise. Satisfait de leur solidité, il les donna à Briar. Pendant qu’elle les rangeait dans sa sacoche, Cly poursuivit :
— Maintenant, écoutez. Ils ne vous permettront pas de tenir jusqu’à mardi. Je n’en ai pas assez pour vous équiper autant de temps. Vous allez devoir trouver des zones cloisonnées et remplies d’air. Il y en a. J’en suis certain. Mais je ne sais pas comment les trouver.
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