Feric abaissa la Grande Massue d’acier à hauteur de ceinture, et, la tendant devant lui, s’approcha de Stag Stopa toujours agenouillé. « Debout ! » dit-il.
Stopa leva les yeux sur la Massue étincelante que Feric présentait devant son visage, avec la pointe sculptée en forme de poing de héros, le majeur orné d’un anneau à l’emblème du svastika. Il tenta d’obéir à l’ordre de Feric, hésita, puis appuya ses lèvres sur le svastika ornant l’extrémité de la Grande Massue. Puis il se mit sur ses pieds.
Profondément touché par ce geste spontané d’allégeance, Feric laissa d’abord Bogel, puis chaque Vengeur baiser l’emblème du svastika de l’arme héroïque. Un à un, ayant accompli cet acte de soumission, les Vengeurs se relevèrent, brandissant à nouveau fièrement leurs torches, les yeux brillants comme autant de charbons ardents.
Quand tous furent hardiment debout devant lui, Feric parla.
« Me suivrez-vous sans poser de question, et mettrez-vous toute votre loyauté et votre fanatisme au service de la cause de Heldon et de la pureté génétique, au besoin jusqu’à la mort ? »
La réponse fut un rugissement massif d’approbation. C’étaient là, en vérité, de magnifiques gaillards, éléments de choix pour la troupe d’assaut qu’il avait conçue.
« Parfait, déclara Feric, vous n’êtes plus les Vengeurs Noirs. Je vous rebaptise d’un nom dont vous devrez mériter la noblesse ; veillez à ne rien faire pour le souiller. »
Feric pointa la Grande Massue vers ses hommes ; le poing d’acier, avec son svastika noir sur fond blanc cerclé de rouge, brillait, tel un soleil levant, à la lumière du feu.
« Vous êtes maintenant les Chevaliers du Svastika ! » cria Feric. Il lança son bras libre à l’horizontale à la hauteur des yeux, reproduisant ainsi l’ancien salut royal. « Vive Heldon ! cria-t-il. Vive le Svastika ! Vive la Victoire ! »
Presque instantanément, Feric put contempler une forêt de bras tendus, et la troupe de choc nouvellement baptisée rugit spontanément : « Vive Jaggar ! » Le corps de Feric se raidit d’orgueil, alors qu’il était là, au cœur de la terre ancestrale, silhouette à la noblesse résolue, plus grande que la vie elle-même, héros transcendant au profil modelé par le feu.
Dès l’abord, Feric avait décidé qu’il ne serait ni sage ni astucieux pour lui de se glisser incognito à Walder comme n’importe quel voyageur ; il ne devait entrer dans la ville qu’avec un panache suffisant, et au milieu des acclamations. Cela signifiait qu’il lui fallait avant tout assurer sa position de chef incontesté du Parti, puis introduire les changements dans la terminologie et le style, et finalement organiser cette troupe de motocyclistes débraillés. Elle devait être judicieusement entraînée et dotée de nouveaux uniformes du Parti, de couleurs suffisamment frappantes. Cela fait, il entrerait dans Walder à la tête des Chevaliers du Svastika.
Il avait ordonné à Bogel de louer un local isolé, de dimensions suffisantes pour y rassembler les notables du Parti. Bogel avait trouvé un pavillon de chasse inoccupé situé sur la crête rabotée d’une petite montagne, à l’intérieur de la Forêt d’Émeraude, près de la limite septentrionale, à deux heures de vapeur de Walder, dans la région vallonnée du Nord. Pour atteindre le pavillon, les chefs du Parti devraient emprunter un long chemin en lacet qui escaladait la crête à travers des bois épais et de sauvages ravines, parcours susceptible de déterminer un impact psychologique important. Le pavillon lui-même était un édifice simple mais impressionnant : une construction d’un étage en granit, longue, basse, dotée d’une entrée d’apparat en madriers et entourée d’arbres et de massifs naturels, face à une cour non entretenue où se terminait le chemin boueux. De la façade, la vue s’ouvrait sur une mer ininterrompue de bois verdoyants qui reposait l’œil autant que l’esprit.
À l’intérieur, une grande pièce commune était flanquée de chaque côté d’un nombre suffisant de chambres à coucher pour recevoir plusieurs dizaines de personnes. Ce pavillon de chasse, vide en cette saison, convenait parfaitement aux projets de Feric : assez proche de la ville pour faciliter les préparatifs nécessaires, mais surtout suffisamment isolé pour en assurer le secret. De surcroît, le fait même de rassembler ces citadins dans une installation aussi rustique témoignait du degré de loyauté inconditionnelle qu’exigeait d’eux leur chef. Cela les privait aussi de l’avantage psychologique dont ils auraient pu bénéficier en rencontrant Feric sur leur propre terrain. Une autorité sans faille devrait être établie dès le début.
Feric avait choisi de recevoir les chefs du Parti dans la grande salle aux murs de pierres nues et dont le plancher se composait de grossières lattes de bois. Un cercle de torches à la base de la haute voûte de pierres ajoutait sa clarté à la lumière de l’après-midi et un feu clair flambait dans la grande cheminée creusée dans le mur ouest. Les murs eux-mêmes se paraient d’andouillers, de têtes de cerfs, de fusils, d’arcs, de lances, de massues, toute une variété d’accessoires de chasse.
Au centre de la pièce, une grande table de chêne était couverte d’un dessus de velours rouge sur lequel trônait dans sa sublime splendeur la Massue de Held ; des rangées de simples chaises étaient disposées de part et d’autre de la table. Feric présidait en bout de table, face à l’entrée de la salle, sa chaise légèrement plus élevée que les autres. Derrière lui, les portes qui donnaient sur un balcon rudimentaire avaient été ouvertes, révélant une admirable vue sur la partie nord du bois et la plaine vallonnée qui étalait très loin son échiquier de fermes aux divisions parfaitement nettes : Walder miroitait, telle une cité fantôme, à l’extrême limite de la visibilité.
Une douzaine de Chevaliers du Svastika, dans leur intacte splendeur barbare, montaient la garde aux points stratégiques de la salle tandis que Bogel, Stopa et six autres ex-Vengeurs accueillaient le vapeur dans la cour. Feric, quant à lui, avait endossé une tunique de chasse brune d’une austérité provocante, certain de trancher ainsi, par l’absence évidente d’ornements, sur la tenue de tous les autres.
Bref, il lui semblait avoir préparé un accueil parfait.
Exécutant le cérémonial convenu, Stopa frappa avec vigueur sur la lourde porte de bois pour demander solennellement l’entrée. Feric donna un ordre, et l’un des Gardes-Chevaliers ouvrit la porte avec une raideur relative plus ou moins conforme à ce que devait être l’esprit de cette réception. Bogel et Stopa introduisirent une petite troupe bigarrée d’individus d’âge moyen, vaguement blêmes et soigneusement mis, six personnes en tout. Ces nababs du Parti de la Renaissance Humaine étaient de parfaits exemples du génotype humain pur, dégageant une aura de détermination opiniâtre bien qu’un peu entamée cependant. À côté de Stopa et des six vigoureux et fougueux ex-Vengeurs qui fermaient la marche, les chefs du Parti faisaient piètre figure. Lorsque les hommes furent proches, Feric ressentit quelque contrariété à la vue des spécimens qu’il allait être appelé à diriger.
Mais son humeur s’éclaira soudain quand Stopa, un sourire de camaraderie, un peu trop marqué peut-être, sur le visage, s’arrêta au bout de la table dans un beau claquement de talons, étendit son bras pour l’ancien salut royal et cria : « À Jaggar ! » Instantanément, tous les ex-Vengeurs claquèrent des talons, saluèrent avec la vigueur qui convenait, et le cri résonna dix-huit fois. Ils palliaient par l’enthousiasme leur manque de précision et de panache.
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