«… court-circuit… »
« Faisceau paralyseur… pas focalisé… »
« Sacrée veine… cadavre. »
« Mais qu’est-ce qu’ils font là à cette heure-ci ? » C’était Louise.
«… récupère le paralyseur ? »
«… la Porte revient dans cinq minutes… Tirons-nous en vitesse. »
« Sûr qu’il transpire un max. »
Là, ça ne me surprit pas. Même si je ne comptais plus transpirer longtemps. Je savais que j’étais un homme mort. J’avais mis le pied dans un truc que je n’étais pas censé connaître, une histoire d’arme paralysante. Comme je ne pouvais pas bouger les yeux, je n’avais guère pu les observer, mais j’avais le souvenir de vagues formes accrochées à leur ceinture et tout dans leur comportement évoquait le mot commando . Ils n’étaient pas ici pour s’amuser.
Donc, ils allaient sûrement me liquider.
En gros. La seule chose que je ne saisissais pas – du moins au sens tactique – c’était la raison pour laquelle Louise s’était, avant cet instant, aussi souvent montrée à moi. Avait-elle plus ou moins cherché à requérir mon aide ? Je me rappelai ses efforts pour me retenir d’aller travailler aujourd’hui. D’accord ; elle avait donc essayé de m’empêcher d’être ici pendant qu’ils procédaient à leurs recherches… sauf que moi, il y a moins d’une heure encore, j’ignorais que je serais ici. Normalement, je n’aurais jamais dû me trouver dans ce hangar à cette heure-ci.
Quelqu’un chez eux avait fait une grosse boulette, j’ignorais laquelle, mais j’étais sûr que la solution la plus simple à leur problème actuel était de m’éliminer.
Je n’en crus pas mes oreilles quand je les entendis s’éloigner.
Puis Louise fut de retour. Elle apparut si vite dans mon champ visuel que, n’eussé-je été paralysé, j’aurais bondi à trente centimètres du sol. Je sentais mon cœur cogner, les gouttes de sueur ruisseler sur les côtés de mon visage.
« Smith, dit-elle. Vous ne me connaissez pas. Je ne peux pas vous dire qui je suis. Mais ça va aller mieux. »
17. « Destination fin du monde »
Témoignage de Louise Baltimore.
Jamais je n’avais vu régner un tel calme dans la salle des opérations lorsque j’y débarquai, revenant de la chambre d’hôtel de Bill.
Tout cela est relatif, bien entendu. Je n’étais pas revenue depuis dix secondes que l’officier de garde à la synchro m’avertit de dégager le passage juste comme une centaine de soldats romains du IIe siècle déboulaient de la rampe, direction le triage.
Mais sitôt qu’ils furent passés, le coin redevint totalement calme. Les jours creux, la salle des opérations est à peu près aussi tranquille qu’un Nouvel an chinois.
Je montai au p.c. de la Porte. Lawrence était à sa console, ce qui n’avait rien d’étonnant vu qu’il ne pouvait pas la quitter. Ce qui l’était, en revanche, c’est que sur les centaines d’autres postes, ne restaient que cinq ou six gnomes en permanence. C’était un peu comme si, lors d’une expédition au Népal, vous découvriez que la moitié des sommets de l’Himalaya étaient partis faire une virée au Japon.
Un poste demeurait occupé, c’était celui du second de Lawrence, David Shanghai. Il basculait des interrupteurs, un par un, et chaque fois un voyant s’éteignait sur sa console. Il avait un vague sourire aux lèvres.
« Salut, Louise, dit Lawrence. J’espère que la mission n’a pas été trop dure.
— Lui, il l’était déjà bien assez. Mais qu’est-ce qu’il y a ?
Où sont-ils tous passés ? Je croyais qu’on suspendait les escamotages tant que le paradoxe ne serait pas résolu ? »
Il haussa les épaules.
« On n’en avait effectivement pas programmé. Et puis cette situation s’est présentée en Afrique du Nord et on a tout simplement décidé d’y aller. Je suppose que les vieilles habitudes sont tenaces. Nous avons repêché quatre-vingt-treize centurions en excellente condition. Voilà qui fera un “bataillon perdu”, comme ils disent, je crois. »
Le tableau de David était presque entièrement éteint, à présent. Quand ne lui resta plus qu’un seul voyant encore allumé, il se tourna pour regarder Lawrence.
« Adieu », dit-il et il me fit un petit signe de tête. Il éteignit la dernière lumière.
Ses yeux se fermèrent et il s’effondra sur son siège.
« Adieu », répondit Lawrence sans même le regarder. Il était trop tard, de toute façon. David était déjà mort. Il avait éteint son cœur, son cœur situé quelque part sous son siège.
« Voilà donc où ils sont tous partis…
— Eh oui. Tu auras encore besoin de moi ?
— Ta gueule. Quelle question ! Où est Sherman ?
— Chez toi. Il m’a dit de te rappeler que ta seconde capsule temporelle attendait que tu l’ouvres d’ici une demi-heure. D’après lui, quand tu l’auras lue, tu sauras quoi faire. »
Je considérai Lawrence. Il ne me rendit pas mon regard, laissant simplement ses yeux errer sur la salle des opérations déserte.
« Es-tu vraiment prêt à te couper le jus ?
— Rien ne presse. Je peux attendre jusqu’à ce que tu aies vu Sherman.
— Venant de moi, c’est un sacré truc de te demander ça, mais… enfin, j’aimerais bien, oui. Le temps simplement que je puisse voir s’il n’aurait pas une autre idée derrière la tête.
— Tu sais où me trouver. »
Je me rendis au vestiaire pour prendre quelques vêtements. Trois de mes filles étaient là, mortes, main dans la main.
« Gommez-moi ce sourire. Ça risque de faire mauvais effet dans votre dossier. »
Elles n’eurent pas l’air d’apprécier mon humour outre mesure. Je me dirigeai vers mon vestiaire, l’ouvris et fouillai dedans. Vous parlez d’une garde-robe : j’avais là-dedans des tenues qui allaient de la peau de léopard mal tannée à la combinaison spatiale qui, pliée, tenait dans une poche-revolver. Mais ma dernière paire de jeans avait été bousillée, il y a peut-être un million d’années, par le légume qui l’avait portée et qui avait également mon visage.
Qu’est-ce que vous mettriez pour aller assister à la fin du monde ? Quelle est la tenue convenable pour une extinction ?
Je choisis la robe que j’avais quand on avait embarqué le Titanic . C’était le bon temps.
J’entendis les coups de feu comme j’approchais de la station de métro qui devait me conduire au Bâtiment fédéral. Une cascade de rires ponctuait les détonations. Apparemment, les drones étaient partis pour se massacrer joyeusement.
Je ralentis le pas. Les armes que le G.O. permet aux drones de porter sont assez puissantes pour vous faire sauter la cafetière – pour peu que vous vous mettiez le canon dans la bouche – mais elles étaient sans comparaison avec ma puissance de feu ! Et je n’étais pas d’humeur à liquider une troupe de drones – même à tendance suicidaire.
Les bruits s’éloignèrent et j’entrai dans la station. Il y avait six ou sept corps. L’un d’eux bougeait encore. Je m’approchai de la fille et la retournai. Elle avait pris quatre ou cinq pruneaux, était couverte de sang et quelque peu surprise.
« Ça fait mal », dit-elle. J’acquiesçai.
« Il se pourrait bien que tu tiennes encore deux heures.
— Oh, j’espère que non. »
J’acquiesçai encore et pris sa tête entre mes mains. Elle leva les yeux vers moi et sourit.
« J’aime bien votre robe », dit-elle.
Je lui rompis le cou.
Cette fois, il n’y avait pas un chat au Féd. J’allai m’asseoir sur l’unique chaise de la salle. Ma seconde capsule temporelle m’attendait sur la table en face.
« Enfin te voilà, Louise, dit le G.O. Je constate que tu y es arrivée.
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