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Francis Carsac: Sur un monde stérile

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Francis Carsac Sur un monde stérile

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Au premier abord, éblouis, ils ne virent rien. Puis leurs yeux s’habituèrent à la lumière, et ils virent la scène dans ses moindres détails. Contrairement à ce qui se passait dans les autres cavernes, les détails étaient nets, non noyés dans la brume. Ils surplombaient un vaste espace plat où une furieuse bataille se déroulait. D’un côté une armée de martiens rouges, située à l’opposée d’eux, se défendait énergiquement contre un nombre bien supérieur de martiens noirs, appuyés par leurs crabes et par une sorte d’artillerie faite de canons de très gros calibre, à tube court. Les rouges, eux, n’avaient qu’un petit nombre de machines analogues aux kryoxi, et employaient des engins utilisant la force centrifuge et lançant des projectiles discoïdes ; ils planaient assez longtemps dans l’air et tombaient sans bruit. Là où ils touchaient le sol une flamme blanche s’élevait, silencieuse, et toute vie cessait dans un rayon de vingt mètres. Pour le moment, les rouges avaient nettement le désavantage. Leur troupe était presque coupée en deux, et ils étaient acculés à une paroi sans issue. Les noirs les accablaient de projectiles, et se gardaient bien d’entrer en corps à corps, où la force décuplée des rouges, et leurs mandibules tranchantes les auraient vite avantagées.

Les martiens rouges que l’expédition avait délivrés semblaient atterrés. Sig dit alors :

— Nous avons une position excellente pour intervenir. Nous allons mettre les fulgurants en batterie. Je pense que l’armée noire proprement dite est hors de portée, mais leurs canons sont à moins de 150 mètres de nous. Kni et Elior étaient déjà couchés sur le bord, visant. Anaena et Loi les imitèrent. Au signal, les quatre fulgurants crachèrent. Ce fut en plus petit la répétition du combat avec les crabes : jet de flamme, étoiles vertes tombées parmi les batteries noires. Bernard vit avec ahurissement un canon à proximité des points de chute rougir et se liquéfier comme du beurre à la chaleur. Il y eut un moment de désarroi chez les noirs. Mais rapidement quelques artilleurs s’employèrent à retourner un canon parmi les plus éloignés.

— Vite, cria Bernard. Ou nous sommes fichus !

À nouveau, les fulgurants fonctionnèrent. Au même moment, le canon tira. L’obus-fusée, assez, lent, se dirigeait nettement vers eux. Ils bondirent en arrière. Il y eut une détonation terrible, et ils furent culbutés, roulés et meurtris, parmi un fracas d’éboulement. Ils lâchèrent leurs lampes qui s’éteignirent.

Chapitre VI

La soif

Le premier, Sig reprit ses esprits. Il fit aussitôt l’appel.

— Ingrid ?

— Elle est là, répondit la voix de Bernard. Elle ne doit être qu’évanouie, car son cœur bat.

— Ray ?

— I’m here.

— Anaena ? Anaena ?

Silence.

— Elior ?

— Oui.

— Kni ?

— Je suis blessé.

— Loi ?

Un gémissement se fit entendre. Une faible lumière vacillante apparut. Bernard venait de craquer une allumette. À sa lueur, il aperçut une de leurs lampes. Elle fonctionnait. Il eut un soupir de soulagement.

— Voyons, dit Ray, où est Anaena ?

Bernard projeta autour d’eux le rayon lumineux. Le désastre était complet. Non seulement la voûte s’était écroulée du côté de la caverne, mais encore de l’autre côté. Ils étaient emmurés. Ingrid était étendue, toujours sans connaissance à côté de Bernard. Kni tenait son avant-bras gauche cassé, Loi était couvert du sang qui ruisselait d’une blessure à la tête. Les autres étaient indemnes, sauf quelques estafilades. Les martiens rouges manquaient. Soudain ils entendirent appeler de l’autre côté de l’éboulis. C’était la voix d’Anaena.

— Je suis vivante, disait-elle. Mais j’ai une jambe prise entre deux pierres. Simplement coincée, les os doivent être intacts. Mais je ne peux pas me dégager.

Ils virent vite qu’une simple dalle plate, posée de champ, les séparaient d’elle. Ils le firent culbuter avec précautions, et dégagèrent la martienne. Bernard dressa le bilan :

— Trois blessés, dont deux graves. Kni et Loi. Anaena n’a que des meurtrissures. Comme vivres ce que nous avons dans nos musettes. Très peu d’eau, la majorité des bidons étant crevées. Comme armes, nos revolvers, nos grenades et un fulgurant sur quatre. Heureusement que le matériel de pansement a été retrouvé en même temps qu’Anaena.

Il s’occupa immédiatement, aidé de Sig, à faire revenir Ingrid à elle. Elior et Ray s’occupèrent des blessés. Une fois les pansements faits, ils examinèrent la situation. Elle n’était pas brillante. Toutes les tentatives pour trouver une issue échouèrent. Ils étaient murés. Ils n’avaient de l’eau que pour quelques jours, une dizaine environ. Ils n’avaient qu’un bidon de 6 litres, mais les aliments martiens, assez désaltérants par eux-mêmes, ne suscitaient que très peu la soif. Il est vrai qu’il fallait compter avec la fièvre des blessés. Ils installèrent ceux-ci de leur mieux. Ce ne fut pas très confortable. Loi gémissait continuellement et semblait avoir une commotion cérébrale.

Bernard allait et venait, tâtant les murs, incrédule. Il sentait que tous ses compagnons, même Sig, comptaient sur lui, l’homme de la terre, pour les tirer de là.

— Si seulement nous avions un pic, un levier. Nous sommes dans un calcaire stratifié. Une ou deux strates se sont éboulées, mais elles ne sont pas épaisses, et je suis sûr qu’au-dessus ça fait voûte !

Il se meurtrissait les poings aux saillies rocheuses. Sig réfléchissait. Ray examinait son précieux appareil. Les martiens semblaient prostrés.

Anaena massait doucement sa cheville enflée. Ingrid se leva et s’approcha de Bernard.

— Tu crois qu’il y a de l’espoir ?

Il la regarda avec amour et dit, en haussant les épaules :

— Tant qu’on est vivant, il y a de l’espoir. Sig, Ray, venez m’aider.

À trois, ils poussèrent et tirèrent alternativement un bloc qui lui avait semblé remuer.

— Hardi ! Il vient !

Il y eut un craquement, un éboulement. Ils n’eurent que le temps de sauter en arrière. Enfin le chaos s’immobilisa. En haut se dessinait une ouverture noire.

— Hourrah !

Il se hissa, passa la tête et la lampe par le trou, et poussa un cri de désappointement. L’ouverture donnait bien sur un espace libre, mais un peu plus loin un éboulement massif, d’un seul bloc, fermait la galerie. Ils n’avaient fait qu’agrandir leur prison !

Ils passèrent cependant de l’autre côté de la barrière, où le sol de la galerie, couvert d’un sable fin, leur parut plus confortable.

Bernard se réveilla, consulta sa montre, et marqua rageusement un trait de plus sur le mur. Il y avait 13 jours qu’ils étaient là ! Depuis la veille, ils n’avaient plus d’eau. Depuis 13 jours, ils n’avaient plus bu à leur soif. Tolérable au début, la soif commençait à les obséder. Un des blessés, brûlé par la fièvre, gémissait. Si Anaena commençait à marcher, et si Kni ne souffrait pas trop de son avant-bras, l’état de Loi était inquiétant. Il restait hébété, ne reconnaissant qu’à peine sa sœur et ses amis, et pas du tout les terrestres.

À côté de Bernard, Sig remua. Un peu plus loin, Ingrid rêvait tout haut, en suédois. Quoique physiquement intacte, c’était elle qui souffrait le plus de la soif. Pourtant c’était elle et Anaena qui avaient bu les dernières gorgées d’eau. Il avait du reste fallu les leur faire boire de force. Ils se mirent à parler à voix basse.

— Non, c’est trop idiot, dit Bernard. Si cela m’était arrivé sur Terre, j’aurais trouvé ça normal. Mais parcourir 70 millions de kilomètres pour crever comme un rat dans un trou ! Quand je pense à toutes les grottes que j’ai explorées et sans jamais un incident !

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