— Eh bien, voilà ma question, et si c’est une question vraiment stupide, je vous prie de ne dire à personne que je vous l’ai posée. Même pas pour impressionner votre petit ami. Car le président des États-Unis ne peut pas se permettre de passer pour une idiote et, malheureusement, elle a gâché sa jeunesse à étudier le droit plutôt que la météorologie.
— Compris, dit Carla. Je ne répéterai rien – de toute façon, je n’aime pas me confier à mon prochain.
— C’est ce que me dit Harris. Bon, allons-y. Existe-t-il un principe, une méthode quelconque qui nous permette d’enrayer ce phénomène ? Étant donné que c’est un acte humain qui l’a déclenché, pouvons-nous agir de façon à nous en débarrasser ?
Carla inspire à fond pendant qu’elle réfléchit, change d’avis, inspire à nouveau, puis expire sans avoir trouvé une réponse satisfaisante.
— Nous avons affaire à un processus physique. Par conséquent, il doit pouvoir être altéré. Mais nous aurions besoin pour cela d’une énorme quantité d’énergie répartie sur une immense surface, si bien que les moyens d’intervention nécessaires sont sans doute hors de notre portée.
— Commencez par m’exposer les principes.
— Entendu. Premièrement, si nous pouvions nous débrouiller pour que le jet d’écoulement soit orienté au sud de façon permanente, nous obligerions le cyclone à foncer vers le détroit de Béring ou vers la Sibérie – à vous de choisir –, où il mourrait de froid comme un cyclone ordinaire. C’est peut-être ce qu’il fera de lui-même au bout du compte, d’ailleurs.
» Deuxièmement, si nous pouvions refroidir l’eau devant lui, il mourrait. Nous pourrions y parvenir en débarrassant l’air de son surplus de méthane, mais il nous faudrait pas mal de temps ; nous irions plus vite en supprimant la lumière du soleil.
» Et c’est à peu près tout. Pour tuer un cyclone, il faut lui refroidir les pieds. Je suppose qu’on pourrait aussi lui réchauffer la tête – avec un gigantesque miroir solaire, par exemple –, mais ce truc est si gros qu’il risquerait de franchir la tropopause et de sévir aussi dans la stratosphère. Nous risquerions alors de faire sauter toute limite à sa taille actuelle. Non, si vous voulez le tuer, vous devez vous débrouiller pour qu’il passe sur une surface froide – soit en le déplaçant vers une telle surface, soit en refroidissant celle où il se trouve. Sa trajectoire est aléatoire, vous savez, et il finira tôt ou tard par passer au-dessus d’une surface assez grande pour le refroidir.
— Mais les cyclones qui vont apparaître cette année vont avoir la même taille, n’est-ce pas ? demande Henry Pauliss. En fait, nous avons eu de la chance car on n’en a repéré qu’un seul dans l’Atlantique, qui s’est un peu moins réchauffé que le Pacifique. Nous risquons de voir apparaître un Clem numéro deux.
— Ou quelque chose comme ça, admet Carla. Vous avez raison. Vu que les cyclones ont tendance à tourner en rond… et à supposer que Clem soit typique, car il est stupide de généraliser à partir d’un exemple unique, j’ai horreur de ça mais on est bien obligés de passer par là… si Clem est typique, et si les cyclones comme lui tournent en rond, alors ils vont avoir une longévité plus grande. Et par conséquent, ils vont avoir tendance à se chevaucher – pas une semaine ne s’écoulera sans qu’on ait un ou deux cyclones en train de ravager telle ou telle partie du globe. Non, vous avez raison, si on peut faire quelque chose, on ne doit pas se contenter de les laisser mourir de leur mort naturelle.
— Je suis d’accord, dit Hardshaw. Vous pensez donc que la meilleure solution serait… je vous cite… de supprimer la lumière du soleil ?
— C’est évident. Si on pouvait pourvoir la Terre d’une lune en orbite géosynchrone et inclinée, de sorte qu’elle puisse se déplacer au-dessus des deux hémisphères, en se débrouillant pour qu’elle passe le jour dans l’hémisphère Nord… et si cette lune était assez grosse pour que son ombre portée fasse quelques centaines de kilomètres de diamètre… au bout d’un certain temps, on disposerait d’une ceinture d’eau froide qui aurait raison de ce pauvre Clem. Mais il nous faudrait une lune foutrement grande. L’orbite géosynchrone est dix fois moins éloignée que celle de la Lune… de notre satellite naturel, je veux dire… et il nous faut une ombre portée cinquante fois plus grande que celle de la Lune lors d’une éclipse totale… notre lune artificielle serait énorme, au moins sept fois plus grande que la pleine lune. Son diamètre devrait être supérieur à celui de la Terre.
— Donc un ballon en mylar…
— Ferait l’affaire, à condition de le maintenir en position. Et de pouvoir gonfler un ballon de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre. C’est ce que vous avez l’intention de faire ?
Le président Hardshaw ferait un redoutable adversaire au poker. Elle ne cille pas, ne grimace pas, ne jette même pas un coup d’œil à Diem pour voir s’il a réagi – il est resté impassible, mais Pauliss a frémi et ce pauvre Di, qui n’a jamais été doué pour les intrigues, s’est redressé sur son siège. De toute évidence, Mme le Président leur a fait jurer sur l’honneur de ne rien dire de leurs plans à Carla, et c’est elle-même qui vient de lâcher le morceau.
La seule chose que Carla apprécie chez les puissants, c’est qu’il est ridiculement facile de les mettre dans l’embarras.
— Okay, dit Hardshaw après une longue pause, le pot aux roses est découvert. Oui, nous envisageons d’utiliser des ballons en mylar, mais pas de la façon dont vous le pensez.
— Je suis météorologiste, pas spécialiste de poids utile en charge.
— On nous propose d’en placer plusieurs milliers en orbite elliptique, d’une période de vingt-quatre heures, de façon que leur périgée les amène au-dessus du Pacifique nord pendant la journée. Ils feront deux cents kilomètres de diamètre, mais comme ils descendront jusqu’à une altitude de cent cinquante kilomètres, ils ne pourront effectuer que deux ou trois passages avant de brûler en rentrant dans l’atmosphère. Mais si le minutage est correct…
— Il va vous en falloir beaucoup, dit Carla.
— C’est entendu. Mais est-ce que ça peut marcher ?
— Si la quantité est suffisante et si la coordination est parfaite.
Carla s’avoue relativement impressionnée par Hardshaw, mais pourquoi celle-ci lui pose-t-elle toujours la même question ?
— Souhaitez-vous que j’étudie le problème plus à fond ? lui demande-t-elle.
— Sur ce point, il faudra que nous vous recontactions, répond Hardshaw. Nous avons déjà reçu une proposition, et je souhaiterai certainement avoir votre opinion à son sujet. Pouvons-nous vous en envoyer une copie ?
— Bien sûr.
— Parfait. Il me tarde d’entendre votre rapport – et j’ai bien dit entendre ; quand vous serez prête, contactez Harris Diem et il vous organisera une conférence avec moi. Permettez-moi de vous remercier, Carla, le pays vous doit déjà beaucoup et je pense qu’il vous devra bien davantage avant que cette crise n’ait pris fin.
Ouais, mais que devient mon compte bancaire dans tout ça ? souffle une petite voix dans le crâne de Carla. Mais elle se contente de dire :
— Je suis flattée, madame le Président.
Elle a à peine raccroché que Louie la rappelle. Ce pauvre chéri souffre de son absence. Aujourd’hui, tout le monde a envie de parler à Carla.
Elle n’est pas sûre que ça lui plaise.
Après avoir pris congé de Carla Tynan, de Di Callare et de Henry Pauliss, le président Hardshaw se tourne vers Harris Diem et lui dit :
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