Candy découvre Bill sous un nouveau jour. Rassurée par la force tranquille de sa voix, elle se sent désormais en parfaite sécurité. Elle regrette de s’être un peu affolée, car il se préparait sans doute à la câliner et elle en a bien besoin. De sorte qu’elle lui lance une œillade et lui dit :
— Enfin, puisque tout le monde est parti, on n’a plus besoin de baisser les stores si j’ai soudain envie de te montrer quelque chose…
— Quoi donc ? demande-t-il.
Porter repasse sur Bill et constate sans grande surprise que son petit numéro de macho a eu raison de sa trouille. Ils vont le faire. Putain, c’est formidable. Passionet va toucher le jackpot.
Lentement, d’un air presque timide, elle soulève sa nuisette pour exhiber sa toison pubienne soigneusement taillée. Porter s’assure que les deux fiches sont en mode transmission – il aura besoin d’une version homme et d’une version femme de ce qui va suivre – et sent le pénis de Bill se dresser.
Bill se montre un peu brutal avec Candy, ce qui convient parfaitement à Porter – il n’a pas besoin d’amplifier les sensations, ce qui occasionnerait une légère distorsion –, et pour une raison inconnue, elle adore ça. Il lui semble plus fort que jamais lorsqu’il empoigne ses seins étonnamment moelleux et la plaque contre le mur. Il glisse un pénis frémissant entre ses cuisses, rate sa cible, pousse un petit cri lorsque son membre heurte une fesse rebondie, et elle s’empare de sa virilité pour la glisser dans son vagin déjà mouillé et détendu. Il entame alors un brusque mouvement de va-et-vient, haletant sous l’effort.
Porter, qui prépare la version Bill, la version Candy et la version couple sur trois pistes différentes, est un homme blasé qui n’a pas de temps à perdre, mais cette fois-ci c’en est trop, même pour lui. Il lui est impossible de se libérer la main pour se branler, mais ça ne l’empêche pas de jouir dans son slip dès le premier orgasme de Candy.
Et en plus de cela, nos deux tourtereaux émettent sans discontinuer un montage complexe d’émotions et de pensées, comme si…
… comme s’ils voyaient leur existence défiler devant eux, se dit Porter en recouvrant sa lucidité. Ils sont toujours en train de baiser, la tête de Candy ne cesse de heurter le mur (ça expliquera sa prochaine migraine, se dit Porter), et Bill pousse tellement fort qu’il manque la hisser dans les airs.
Assez de ces idées morbides. Leur existence ne défile pas devant leurs yeux, c’est impossible : Porter a produit plusieurs bandes se concluant par la mort de l’émetteur et il sait bien que ce truc relève de la légende.
Il se concentre sur les souvenirs qui lui parviennent afin d’en composer un montage plus cohérent. Qui aurait cru que ces deux connards avaient vécu tant de choses ? Un mélange d’Amérique profonde et de porno hard…
Candy glande dans un bar d’étudiants lorsque Bill la voit pour la première fois, et quand elle se tourne vers lui, il prend simultanément en pleine poire ses cheveux, ses nichons et son cul, une pose que toutes les femmes de la planète ont apprise grâce au ciné, à la TV et à la XV… et ce pauvre con réagit comme s’il n’avait jamais rien vu d’aussi beau…
Une longue promenade romantique dans le parc par l’une de ces journées d’octobre où le soleil joue avec le rouge des feuilles de l’Ohio, ils se tiennent par la main, ils ont une envie folle d’aller baiser dans un coin tranquille, mais ils se retiennent tous les deux pour savourer cet instant, et surprise, c’est vraiment un instant à savourer… la lumière métamorphose en casque d’or la chevelure plutôt terne de Candy.
C’est la veille de Noël et Bill est terrifié : il ne retrouve plus la bague de fiançailles dans sa poche et se demande comment il va expliquer à Candy la modestie de ses autres cadeaux… quel soulagement lorsque ses doigts se posent sur le bijou ! Et il se rend compte que le pire est passé, qu’il n’est pas paralysé par la peur lorsqu’il lui pose la question… et ensuite, ils vont ensemble à l’église méthodiste pour y chanter des cantiques à la lueur des cierges, puis ils dégustent un bon chocolat chaud (tout ça est si ringard que Porter a envie de vomir, mais il sait que les branchés vont adorer)… et bingo ! Bill embrasse Candy et trouve sur ses lèvres le goût de son propre sperme…
Candy est secouée par un orgasme aux proportions carrément sismiques, et avant qu’elle soit redescendue Bill s’est déjà répandu en elle. Porter s’empresse d’enregistrer le tout. Cette bande rapportera du fric à Passionet pendant une bonne centaine d’années.
Ils s’effondrent doucement sur la moquette, toujours tendrement enlacés, sentent la fatigue s’emparer de leurs corps. Bill prend le visage de Candy en coupe et l’embrasse ; sa bouche est grande ouverte et, lorsque Porter zappe sur elle, il constate qu’elle est encore en train de jouir, que des vaguelettes de plaisir montent encore de sa vulve endolorie.
La bourrasque choisit cet instant pour frapper. Le vent cyclonique est susceptible de doubler, voire de tripler sa vitesse initiale. Cette bourrasque venue de la mer brise simultanément toutes les fenêtres de l’hôtel. Les deux tourtereaux ont à peine le temps de voir la baie vitrée se fracasser contre le mur ; Candy ouvre la bouche pour hurler.
Ed Porter est terrifié lorsqu’il capte sa peur, puis se ressaisit et réalise qu’il enregistre du sensationnel.
Le hurlement de Candy et les gémissements de Bill sont étouffés par le bruit de la porte qui s’envole dans le couloir – on entend un coup de tonnerre lorsque toutes les portes de l’hôtel sont arrachées de leurs gonds.
L’impact du vent sur une structure dépend de deux facteurs : le carré de la vitesse du vent et la rugosité de la surface qu’il attaque. Tout ce qui augmente la turbulence du courant aérien accroît la force du vent. C’est pour cette raison qu’une voiture roulant les vitres ouvertes consomme plus d’essence pour maintenir une vitesse égale à celle d’une voiture roulant les vitres fermées – l’air pénétrant dans l’habitacle se divise en plusieurs courants, ce qui crée des turbulences.
La vélocité de notre bourrasque a diminué pour atteindre une valeur normale, mais il est trop tard pour Bill et Candy. La force s’exerçant sur le Royal Hawaiian Hotel a diminué d’un facteur de six par rapport à l’instant de leur jouissance… mais l’air circule désormais librement dans les nombreux couloirs de l’édifice. Ce surcroît de turbulence augmente considérablement le facteur de couplage – le pourcentage d’énergie éolienne qui s’engouffre dans l’immeuble plutôt que de se disperser à l’air libre.
Avant que leurs poumons aient pu se vider, la façade rose du Royal Hawaiian se lézarde et se brise, la grande tour centrale commence à fléchir, les murs et les plafonds, frappés par des courants aériens divergents, se disloquent et le toit du bâtiment s’envole dans les airs, tel un puzzle perdant ses pièces d’ardoise sur sa route.
C’en est trop pour les murs porteurs, et le Royal Hawaiian s’effondre, réduit en pièces aussi grandes que des automobiles, lesquelles vont s’écraser sur les boutiques et les restaurants du quartier, échouant parfois sur les greens du Golf Ala Wai.
Bill et Candy n’ont pas le loisir de constater les dégâts. Ils sont pris en sandwich par le plancher qui se soulève et le plafond qui leur tombe dessus ; Bill n’a même pas le temps d’être horrifié lorsque la tête de Candy est aplatie comme une crêpe par le plafond, car il est projeté à l’autre bout de la chambre – il n’a pas lâché le corps de sa femme – et se brise le crâne en heurtant le mur.
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