« Avez-vous aidé l’assassin de Dundas ?
— Non.
— Avez-vous proposé votre aide ? »
Elle hésita… se rappelant qu’elle avait offert de désigner une victime si les autres patients étaient épargnés. C’est ce qu’elle tenta d’expliquer. Les tracés bio-électriques étaient contradictoires. Josephson lorgna avec lubricité sa courbe de résistance cutanée.
« Moïse vous a-t-il jamais touchée ?
— Seulement pour me faire du mal ! » cracha-t-elle.
La courbe de résistance s’infléchit, mais l’aiguille resta dans la zone V. La Cour et Josephson étaient perplexes devant ces indications.
Dans sa cellule, Moïse était inquiet. Des heures s’étaient écoulées depuis que le Méditech lui avait fait une prise de sang. Josephson frappa à la porte.
« Puis-je entrer, Moïse ? Je suis l’Assistant chargé de votre défense… enfin, si vous voulez un défenseur. D’après la reconstitution faite par la Cour, le facteur de probabilité est de 6 ; c’est un facteur assez élevé pour qu’on vous exécute sur les simples preuves matérielles. Cependant, le facteur 6 laisse une possibilité d’acquittement pour différents motifs. Voulez-vous que nous en discutions ? »
Moïse regarda la porte massive. Ses muscles se contractèrent. Les senseurs placés dans la cellule enregistrèrent le flux d’adrénaline.
« Allons, allons, du calme ! le mit en garde Josephson. Votre encéphalogramme est surveillé de près par la Cour. Le seul moyen de vous en sortir, c’est par la voie légale, par mon intermédiaire. »
Moïse essaya de se maîtriser.
« Entrez » grommela-t-il.
Une porte se ferma derrière Josephson avant que celle de la cellule ne s’ouvrît. Moïse ne vit pas de gardes. La geôle cybernétique était sans doute sous le contrôle de la Cour. Moïse recula, dans un geste ostensible.
« Inutile de faire montre de votre soumission, dit Josephson. Je n’ai pas peur de vous. Je suis sûr que vous êtes innocent. Nous allons nous asseoir là, juste en face de l’écran, et présenter ensemble votre défense. Tout ce que nous voulons, la Cour et moi-même, c’est la vérité. Et la vérité vous rendra la liberté. »
Josephson repoussa les plats et plaça sur la table plusieurs des formulaires réglementaires. La Cour localisa sur lui l’optique qui se trouvait au plafond. Moïse s’assit sur sa couchette sans un mot. Josephson prit la chaise.
« Vous êtes accusé de massacre gratuit : notre système de défense reposera sur le Syndrome du Massacre Gratuit ; c’est une psychose reconnue, provoquée par le surpeuplement. Bien. Vous étiez autrefois un citoyen. Il y a moins de quatre ans de cela, vous viviez dans une cité-puits ordinaire, où la population se montait à cinquante mille habitants. Exact ? »
Moïse acquiesça.
« Et cet homme vous a envoyé faire une Escalade ? »
Le visage carré de J.D. Birk apparut sur l’écran. Il s’agissait d’une communication en direct, et non d’un enregistrement. Birk sourit à Moïse, timidement.
« Je vous croyais mort, murmura-t-il.
— Pourquoi avez-vous envoyé Moïse Dehors ? » interrogea la Cour.
Birk entreprit de répondre, d’une voix dolente.
« Il montrait des signes de déviation de neuvième catégorie : excès de zèle dans l’accomplissement de sa tâche, vanité, enthousiasme égoïste… »
La Cour consulta ses mémoires concernant le passé professionnel de Moïse.
« Il a même essayé de s’approprier l’ Amorphus, essayé de lui donner son nom, bien qu’il l’eut découvert au cours d’une patrouille de routine, ajouta Birk.
— Le Melon de Moïse… dit la Cour. Sans aucun doute, une preuve d’égoïsme. Il ne partage pas l’âme collective. »
Moïse réagit avec colère à cet échange de propos entre son patron et le cyberjuriste… et ses courbes bio-électriques vinrent confirmer la véracité de ces affirmations.
Josephson repassa le film montrant le premier Melon de Moïse alors qu’on le déchargeait du sub du Service des Egouts. Il sourit. La vérité, c’était tout ce qu’il voulait.
« Voilà qui nous est d’un grand secours, dit-il. Cela prouve que votre excursion Au-Dehors est liée à une psychose de neuvième catégorie, la plus courante chez ceux qui font de l’excès de zèle. Mais rien qui puisse présager de l’affaire qui se produisit ultérieurement à Dundas. »
La Cour entérina cette déduction. Josephson poursuivit.
« Moïse est né avec le germe d’un cinquième orteil : il était porteur du gène de l’immunoglobuline A. Il a fortement réagi au facteur de nidification en fabriquant des anticorps qui ont altéré le métabolisme de la sérotonine de son cerveau. »
Des organigrammes apparurent sur l’écran ; on voyait un cinq-orteils vivant dans les débris ectodermiques : poussière volante de squames, de cheveux et de sécrétions grasses. Ces déchets alimentaient les dermatophagoïdes. Il s’ensuivait une réaction anticorps-antigène, et une sensibilisation du sujet. Les anticorps bloquaient les centres sérotoniques, ce qui entraînait une altération de la personnalité, et un Comportement Inadapté. Le Massacre Gratuit était une manifestation de comportement très inadapté.
« C’est la société qu’il faut blâmer. Le surpeuplement est responsable de ce crime. Moïse n’agissait plus de sa propre volonté, à partir du moment où le C.I. a pris le dessus », conclut Josephson.
La Cour attendit la fin du plaidoyer, puis déclara d’un ton pédant : « Les test faits sur Moïse étaient négatifs en ce qui concerne les anticorps. Son taux d’immunoglobuline A est celui d’un cinq-orteils, mais celui des anticorps contre le facteur de nidification n’est pas supérieur à la normale. Avez-vous autre chose pour votre défense ? »
Josephson était dans l’embarras.
« Autre chose ? » répéta l’écran.
Il fallut un moment à Moïse pour comprendre que la Cour s’adressait directement à lui. La vérité. Les gaz toxiques rempliraient la pièce si ses réactions établissaient sa culpabilité. Il chercha une version des faits qui présentât le maximum de sûreté.
« Je n’ai jamais tué personne. »
Aiguille dans la zone V. Jusque-là, tout allait bien.
« J’ai passé plus de trois ans Au-Dehors. Je reconnais avoir piétiné les récoltes et avoir déserté la Grande S.T. »
Toujours dans la zone V. Josephson et la Cour semblaient satisfaits.
« J’ai voyagé avec un vieil homme et un chien qui sont morts à présent. J’avais également pour compagnon un cyber vieux de deux mille ans ; c’est un classe six et il se nomme…
— Une mache renégate ? questionna la Cour en compulsant les archives.
— Je ne suis pas sûr qu’il s’agissait d’un renégat. Il m’a dit qu’il avait perdu contact avec ceux qui le contrôlaient. Peut-être était-il égaré. »
Zone V ; la Cour lui demanda de poursuivre son récit.
« Curedent, mon cyber, a tué, effectivement ; mais je suis persuadé qu’il avait une bonne raison pour…
— On ne trouve aucune trace d’un cyber de classe six dans vos périgrinations, dit la Cour. Où se trouve à présent votre Curedent ?
— Il est resté dans les grottes sous-marines. Je l’ai laissé dans une douille au poste de contrôle de la Maintenance Vitale. Il ne peut se déplacer par ses propres moyens. Il doit être entre les mains des hommes de la Sûreté, je pense. »
Il y eut une longue pause, pendant laquelle on vérifia tous ces nouveaux détails. L’écran montra ensuite un atelier. Josephson se leva et regarda la scène en louchant : un groupe de techs étaient penchés sur un segment de tube ouvert dans le sens de la longueur. On découvrait trois cylindres semblables, comme des pois dans une cosse : un blanc, un noir et le troisième transparent. Un tech leva la tête.
Читать дальше