Walter ne répondit pas. Il écoutait les chants captés sur le faisceau dense.
Un cinq-orteils aime à courir en liberté,
Son corps est immunisé.
Il s’accouple en passant et vit en solitaire.
Il mange la viande rouge et la moelle des os.
Son cœur et sa charpente sont ceux du Bronco ;
Bien pourvus en calcium et en collagène.
Il a la couleur arc-en-ciel de ses gènes.
Son système sympathique et son Gamma À
Le préservent d’habiter là-bas,
Dans la fourmilière où l’âme se peint en gris.
La mélanine pigmente sa peau-lui,
Le Bronco Hors-les-Murs.
Walter ne put saisir tous les mots à la première audition. Ils étaient débités à toute vitesse, au rythme vif des tambourins, avec un accompagnement soutenu à la guitare. Il demanda qu’on lui en donne l’imprimé, y jeta un regard, et referma les yeux.
« Nous savons tous que les Broncos sont différents de nous. Pourquoi en faire une chanson ?
— C’est peut-être une machine chantante », suggéra Walter.
Le chant suivant était beaucoup plus bref :
O l’heureux jour !
O l’heureux jou
Celui où Olga viendra
Nous montrer la voie !
Le gros Walter toussa et se redressa. Olga ?
« Cette machine chantante m’a tout l’air d’un D.O., un Disciple d’Olga. »
Val termina le montage du poste et se recula.
« Tu te rappelles cette Moissonneuse qui avait écrasé deux travailleurs ? Elle tuait au nom de quelqu’un ou de quelque chose qu’on ne pouvait transcrire. Tu te souviens ? »
Walter acquiesça.
« Est-il possible que ce fût au nom… d’Olga ? » demanda Val. « Cet espèce de sorcier bronco, avec sa boule de cristal, pourrait-il être un Disciple d’Olga ? »
Le visage de Walter s’assombrit tandis qu’il cherchait la boîte où il rangeait les artefacts broncos. Les perles étaient à présent des reliques sacrées à ses yeux, virtuellement au moins, car elles pouvaient le mener vers Olga. Ses lèvres prirent une coloration bleue, et il demanda à l’écran de lui projeter la carte indiquant la position des planètes. Une table astronomique apparut.
« Non, non… c’est le thème astrologique que je veux. Le système zodiacal géocentrique. »
Cette fois, il put voir les symboles planétaires se déplacer de signe en signe tandis que le calendrier s’effeuillait. On n’accordait à ces données qu’un très faible taux de probabilité. La Grande S.T. n’avait que faire de tels renseignements, et on ne les avait pas remis à jour depuis des années. Les planètes se déplacèrent dans l’espace et dans le temps, mais Walter ne trouva nulle trace de la conjonction de quatre planètes dans les prévisions futures. Il se tassa sur lui-même, visiblement déprimé.
Val regarda par-dessus son épaule, et lui tapota le dos.
« Nous avons déjà essayé cela, rappelle-toi. Si Olga attend que les planètes aient la même disposition que ces perles, elle en a pour des siècles. »
Walter n’en fut pas apaisé pour autant. « Je veux voir Olga de mes yeux… Peut-être, si on considère que cette perle est notre satellite lunaire… et qu’on ajoute sur la carte les principaux astéroïdes… Où est Pluton ? Et Neptune ? »
Les images sautaient sur l’écran qui essayait de trouver des réponses à ces questions ignorées de la Grande S.T. Il ne put que projeter à nouveau les anciennes tables.
« Ce sont des colliers fabriqués par les Broncos, »
rappela Val. « Ils doivent se baser sur les planètes visibles, six tout au plus. Les globes. »
Les deux techs étaient debout derrière Val, qui mit en marche le faisceau dense. L’écran s’illumina, le volume de la musique augmenta. Val fit pivoter l’antenne, des cercles concentriques apparurent. Il essaya de mettre au point le champ magnétique modifié.
« Si je peux les amener à établir un faisceau dense avec nous, cela nous permettrait de connaître leur emplacement précis… Bon sang ! D’où sort toute cette fumée ? » sacra Val.
Des jets de vapeur fusaient de l’accumulateur géant dont les isolateurs fondaient. Il y eut un jaillissement d’étincelles, et une fumée acre monta du radiateur. L’un des techs y versa de l’eau, ce qui produisit un bruit chuintant.
« Il était à sec !
— Manifestement, grommela Val. L’écran s’est brouillé. Nous ne pourrons rien faire d’autre tant que nous n’aurons pas les pièces de rechange.
— Pouvons-nous encore les recevoir ? demanda Walter d’une voix faible.
— Oh ! je crois !… Mais ce n’est pas comme ça qu’on arrivera à mettre la main sur eux ! »
Walter se renfonça dans son siège, les yeux fermés. Il écoutait…
O l’heureux jour !
O l’heureux jour
Celui où Olga viendra
Nous montrer la voie !
Chapitre VI
L’épisode de Dundas
LE Bricoleur marchait vers L4est, en tête des villageois. Depuis qu’ils avaient abandonné leur refuge montagnard, il se chargeait de repérer les senseurs broncos et de les mettre hors service. Il opérait avec beaucoup de soin et de subtilité : un écrou desserré, des feuilles de chou ou de la boue sur les lentilles, c’était assez pour protéger les villageois, pas assez pour donner l’alerte au Contrôle des Chasses.
Deux lanceurs de javelots se tenaient auprès de Mu Ren et de Junior, tandis que le Bricoleur s’enduisait de boue et de feuilles. Il risqua un coup d’œil à travers la rhubarbe pour examiner la lisière opposée. Deux cents mètres de synthésol fraîchement labouré le séparaient de la tour du détecteur de Bronco.
« Je connais ce type de D.B. Ses lecteurs optiques doivent être bien décrépits. Si j’avance lentement, en rampant, il ne pourra sans doute pas me repérer. »
Mu Ren étreignit son fils. Ils le suivirent du regard cependant qu’il se dirigeait presque désinvoltement vers la tour. Le globe de neurocircuits et de senseurs poursuivit sa rotation monotone. Son camouflage semblait efficace. Une Laboureuse travaillait la terre, au pied de la tour. L’énorme machine s’écarta poliment afin qu’il puisse examiner le câble. Il retira la fiche de connexion et recouvrit les contacts de boue. Puis il remit la fiche en place et partit, avec un geste à l’adresse de la Laboureuse.
« Avec ça, la réception devrait être suffisamment brouillée pour que nous soyons en sécurité », dit-il, en faisant signe aux villageois de traverser.
Moïse suivit les traces de la Moissonneuse jusqu’à la face aveugle du chapeau de puits : une muraille de dix mètres sans autre interruption que les sinistres optiques et les immenses portes du Garage à Agrimaches. La grille qui la surmontait était sombre. Curedent s’adressa silencieusement à la porte, usant de son autorité de classe six. Rien ne se produisit. Moïse serra plus fort le cyber.
« Soupçonnent-elles quelque chose ?
— Elles sont paresseuses, tout simplement. Nous ne sommes pour elles que des données à stocker dans leurs mémoires, tant que nous n’occasionnons pas de pertes en vies humaines ou en matériel. »
La porte s’ouvrit. Moïse pénétra dans l’antre des machines.
« Essaie de trouver une porte qui donne sur la spirale, dit Curedent. Mais fais attention aux petits robots de service. Certains sont aveugles. L’endroit n’est pas très sûr pour un humain à la peau tendre. »
Les puissantes Agrimaches dormaient dans leurs boxes, tandis que de petites Servomaches s’affairaient. Les unes se balançaient au plafond, au bout d’un câble, d’autres se tenaient sur le sol, entourées d’organes neufs et usagés. Contre le mur donnant sur l’extérieur s’empilaient des éléments cassés et des débris végétaux. Moïse progressa prudemment jusqu’à ce qu’il parvienne à un box désaffecté qu’il pouvait traverser sans danger.
Читать дальше