Au sommet, Lhoste s’agenouilla, s’attacha à l’échelle par un filin de sécurité. Je regardai en bas ; les lampes à l’éclat douloureux semblaient loin en dessous. La voix tranquille de Lhoste dans mon oreille : « Il y a des fissures. » Il me regardait monter ; je constatai qu’il avait le visage empourpré et trempé de sueur. J’étais moi-même pris de frissons, comme si nous étions dans un courant d’air.
« Il y a un bouchon de glace qui ferme le puits. Il est de niveau avec la surface, je ne sais pas comment nous allons le sortir. » Il donna l’ordre d’envoyer une autre échelle. Bien que je ne visse pas grand monde, des tas de gens parlaient sur la bande générale. Je m’attachai aussi à l’échelle et me hissai, suivi de Jones, au sommet du monolithe. C’était un grand rectangle plat, mais je craignais qu’il ne soit glissant.
En fin de compte, nous fixâmes une poulie à deux sections d’échelle, puis enfonçâmes des crochets chauffés dans le bouchon. Nous y attachâmes un câble et, lorsque l’équipe au sol tira, la trappe – un bloc carré de trois mètres sur trois, et deux d’épaisseur, taillé en biseau afin de fermer hermétiquement – se souleva facilement. Les blocs de glace étaient trop froids pour adhérer l’un à l’autre. Jones, Lhoste et moi, debout sur les échelles, avançâmes la tête au-dessus du trou noir. Le puits était cylindrique et de diamètre légèrement inférieur à l’ouverture. Un puissant projecteur nous permit de distinguer, loin en dessous, le fond, ou un coude, du puits.
« Apportez-nous encore de la corde, demanda Lhoste. Quelque chose qui puisse servir de harnais et quelques vérins télescopiques. Si nous utilisions des pitons, le monolithe se retrouverait par terre avant que nous ayons pu entamer ce truc. » Le bloc fut déposé, les cordes montées, nous nous sanglâmes dans nos harnais de sécurité et reçûmes des lampes. Lhoste se laissa glisser dans le puits et dit : « Faites-moi descendre lentement. » Je le suivis, la respiration précipitée. Jones se balançait au-dessus de moi comme une araignée.
Les parois du puits luisaient à la lumière de nos lampes. Nous examinions la glace au fur et à mesure de notre descente.
Lhoste releva la tête. « Vous feriez sans doute mieux d’attendre que je sois arrivé au fond. » Les gens qui se trouvaient en haut de l’échelle l’entendirent et nous ralentîmes, Jones et moi. Lhoste continua à descendre rapidement.
Notre descente dura longtemps. Nos lampes faisaient étinceler la glace autour de nous, mais au-dessus et au-dessous elle était noire. La glace fit place à du roc noir et lisse. Nous étions en dessous du niveau du sol.
Nous posâmes enfin le pied sur un sol gravillonneux. Lhoste nous attendait, accroupi à l’entrée d’un tunnel qui – je dus faire un effort pour m’orienter – se dirigeait vers l’extérieur de l’anneau… donc vers le nord. Il descendait en pente douce. Plus loin régnait un noir d’encre.
« Envoyez quelqu’un ici pour servir de relais radio », dit Lhoste, puis il s’enfonça dans le tunnel, sa lampe à bout de bras.
Jones et moi le suivions de près. Nous marchâmes un long moment dans un tunnel cylindrique. Si les parois n’avaient pas été de roc – le tunnel était creusé dans le basalte massif – nous aurions aussi bien pu nous trouver dans une conduite d’égout. J’étais pris de frissons incontrôlables et j’avais plus froid que jamais. Jones n’arrêtait pas de se prendre dans mes pieds et de baisser la tête pour éviter d’imaginaires saillies du plafond.
Lhoste s’arrêta. Je regardai devant lui et aperçus une luminosité bleue. Je le dépassai et me mis à courir.
Soudain, le tunnel s’élargit et je me retrouvai dans une salle, une chambre bleue. Bleu cobalt ! Elle était ovoïde, on se serait cru à l’intérieur d’un œuf de dix mètres de haut sur sept de large. La lampe de Lhoste qui se balançait dans sa main faisait naître des bandes et des points de lumière rouge sous la surface des murs bleus. On aurait dit du verre bleu ou un revêtement de céramique. Je tendis ma main gantée pour en caresser la surface ; elle était vitreuse mais irrégulière. Les reflets rouges provenaient de facettes en profondeur… Lhoste éleva la lampe à hauteur de sa tête et pivota lentement en regardant le plafond voûté de la salle. Sa voix stimulait tout juste l’intercom. « Qu’est-ce… »
Je secouai la tête et m’assis, le dos au mur bleu, sidéré.
« Qui a mis ça là ? demanda Lhoste.
— Pas Davydov, répondis-je. Il lui aurait été impossible de creuser ceci.
— Pas Holmes, non plus », avança Jones.
Lhoste balança sa lampe et des points rouges scintillèrent. « Nous en discuterons plus tard. »
Nous restâmes donc à contempler en silence les murs bleus piquetés de rouge. Les figures continuellement changeantes donnaient l’impression d’un vaste espace, la salle semblait devenir plus grande à mesure que nous regardions… Je ressentais de la peur, peur d’Holmes, peur d’avoir été en son pouvoir. Qui était-elle, pour avoir créé cela ? L’avait-elle pu ?
Questions, doutes, pensées s’effacèrent et seuls restaient nous trois, hypnotisés par la lumière.
Au bout d’un moment, des éclats de lumière blanche dans le tunnel, et des voix à l’intercom, nous réveillèrent en sursaut. Notre air s’épuisait. D’autres arrivaient par le tunnel, se pressaient dans la chambre, et nous sortîmes pour les laisser s’émerveiller à loisir.
Derrière sa visière. Jones avait l’air abasourdi. Sa bouche était grande ouverte. Il secouait la tête et marmottait en remontant lentement la pente douce du tunnel : « … Étrange verre bleu sous Icehenge… chambre étoilée, lumière rouge… un espace… souterrain. »
Puis on nous hissa hors de l’étroite cheminée du monolithe creux. Arrivé en haut, debout, je levai les yeux vers la vaste étendue étoilée.
Cela donna beaucoup de travail supplémentaire aux savants.
Ils déterminèrent bien vite que la salle était située juste sous le pôle… ou plutôt l’axe de rotation passait à travers la chambre. Les parois étaient recouvertes d’un revêtement de céramique déposé à chaud sur le rocher.
Le D r Hood et son équipe découvrirent rapidement des traces des forets utilisés pour creuser le tunnel dans le rocher… petits résidus d’un alliage exactement semblable à celui utilisé dans les foreuses destinées à percer des tunnels dans les astéroïdes. Cette machine avait été mise sur le marché en 2514… par les Métaux joviens de Caroline Holmes !
Et Brinston était extatique. « De la céramique ! s’était-il écrié. De la céramique ! Quand ils ont porté ce verre à la température de fusion, ils ont mis en route une horloge. Ils ont mis dessus une date aussi visible que les encoches du monolithe de l’inscription… et sans possibilité de mentir, en plus. »
Il se trouvait que la mesure de la thermoluminescence était une méthode utilisée depuis des siècles pour dater les poteries terrestres. Des échantillons de céramique sont chauffés à blanc, et la quantité de lumière libérée permet de mesurer la dose totale de radiations à laquelle a été exposée la céramique depuis la précédente fusion. Cette méthode peut déterminer l’âge du matériau – même pour de courts laps de temps – avec une précision de plus ou moins dix pour cent.
Au bout d’une semaine, Brinston divulgua triomphalement les résultats de ses tests. La Chambre Bleue était âgée de quatre-vingts ans. « Nous la tenons ! s’écria-t-il. C’est Holmes ! Doya, vous aviez raison. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, elle a fait ça, mais je sais que c’est elle. »
C’était un grand jour pour les reporters. Icehenge était de nouveau l’attraction du jour. Mais cette fois la grande nouvelle était qu’il s’agissait d’une mystification récente. Les spéculations allaient bon train, mais le nom d’Holmes revenait le plus souvent, dans la bouche de plus de gens qu’elle n’en pouvait poursuivre – ou écraser. Ils appelaient cela l’explication Holmes… ou la théorie de Doya.
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