Ray Bradbury - Fahrenheit 451
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- Название:Fahrenheit 451
- Автор:
- Издательство:Éditions Denoël
- Жанр:
- Год:1995
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Un jour, autrefois, Clarisse avait marché là où il était en train de marcher.
Une demi-heure plus tard, transi, alors qu’il suivait prudemment les rails, pleinement conscient de la totalité de son corps, le visage, la bouche, les yeux saturés d’obscurité, les oreilles de sons, les jambes irritées par la bardane et les chardons, il aperçut un feu droit devant lui.
Le feu disparut, puis redevint visible, à la façon d’un clin d’œil. Il s’arrêta, craignant de l’éteindre par son seul souffle. Mais il était bien là et il s’en approcha précautionneusement, d’aussi loin qu’il le voyait. Il lui fallut un bon quart d’heure pour se retrouver vraiment à proximité des flammes, et il resta là à les observer depuis le couvert. Ce frémissement, la conjugaison du blanc et du rouge… c’était un feu étrange parce qu’il prenait pour lui une signification différente.
Il ne brûlait pas; il réchauffait!
Il vit des mains tendues vers sa chaleur, des mains sans bras, cachés qu’ils étaient dans l’obscurité. Au-dessus des mains, des visages immobiles qu’animait seulement la lueur dansante des flammes. Il ignorait que le feu pouvait présenter cet aspect. Il n’avait jamais songé qu’il pouvait tout aussi bien donner que prendre. Même son odeur était différente.
Combien de temps resta-t-il ainsi, mystère, mais il y avait quelque chose d’à la fois absurde et délicieux dans l’impression d’être un animal surgi de la forêt, attiré par le feu. Il était une créature des taillis, faite d’yeux liquides, de pelage, d’un museau et de sabots, une créature toute de corne et de sang qui sentirait l’automne si on en arrosait le sol. Il resta longtemps sans bouger, à écouter le chaud pétillement du feu.
Un grand silence se pressait autour de ce feu, un silence qui se lisait sur le visage des hommes, et avec lui le temps, le temps de s’asseoir près de ces rails rouillés sous les arbres, de contempler le monde, de le tourner et de le retourner du regard, comme s’il était tout entier contenu dans le feu, telle une pièce d’acier que ces hommes se seraient tous employés à façonner. Ce n’était pas seulement le feu qui était différent. C’était le silence.
Montag s’avança vers ce silence particulier qui s’intéressait à la totalité du monde.
Alors les voix devinrent perceptibles. Il ne saisissait rien de ce qu’elles disaient, mais leurs inflexions étaient douces tandis qu’elles tournaient et retournaient le monde pour l’examiner; ces voix connaissaient la terre, les arbres et la ville qui s’étendait au bout des rails en bordure du fleuve. Elles parlaient de tout, rien ne leur était étranger; il le savait à leur intonation, leur cadence, à la curiosité et l’émerveillement dont elles vibraient continuellement.
Un des hommes leva les yeux, le vit pour la première ou peut-être la septième fois, et une voix lui lança: «Allez, vous pouvez vous montrer maintenant!» Montag réintégra les ombres.
«Tout va bien, reprit la voix. Vous êtes le bienvenu.» Montag s’approcha lentement du feu et des cinq hommes âgés assis là, vêtus de pantalons et de blousons de toile bleu foncé ou de complets dans le même ton. Il ne savait pas quoi leur dire.
«Asseyez-vous, dit l’homme qui semblait être le chef du petit groupe. Un peu de café?» Il regarda le liquide noir et fumant couler dans une tasse en fer-blanc rétractable qui lui fut immédiatement tendue. Il se mit à boire à petites gorgées prudentes et sentit qu’on le regardait avec curiosité. Il se brûlait les lèvres, mais c’était un délice. Les visages qui l’entouraient étaient barbus, mais ces barbes étaient propres, bien taillées, et les mains impeccables. Ils s’étaient levés comme pour accueillir un hôte, et voilà qu’ils se rasseyaient. Montag sirota son café. «Merci, dit-il. Merci beaucoup.
— Vous êtes le bienvenu, Montag. Je m’appelle Granger.» Il lui tendit une petite bouteille de liquide incolore. «Buvez ça aussi. Ça va changer l’indice chimique de votre transpiration. Dans une demi-heure, vous aurez l’odeur de deux autres personnes. Avec le Limier à vos trousses, le mieux est de faire cul sec.» Montag absorba le liquide amer.
«Vous allez puer comme un lynx, mais c’est très bien ainsi, poursuivit Granger.
— Vous connaissez mon nom», observa Montag.
Granger désigna de la tête un poste de télé à piles posé près du feu.
«On a assisté à la chasse. On pensait que vous finiriez par suivre le fleuve côté sud. Quand on vous a entendu vous enfoncer dans la forêt comme un élan qui aurait trop bu, on ne s’est pas cachés comme on le fait d’habitude. On a pensé que vous étiez dans le fleuve, quand les hélicoptères-caméras ont obliqué vers la ville. Il y a là quelque chose de bizarre. La chasse continue. Mais du côté opposé. — Du côté opposé?
— Jetons un coup d’œil.» Granger mit l’appareil en marche. L’image était un cauchemar en miniature qui passa de main en main au milieu de la forêt, un vrombissement de couleurs et de mouvements. Une voix cria: «La chasse continue au nord de la ville! Les hélicoptères de la police convergent sur l’avenue 87 et Elm Grove Park!» Granger hocha la tête. «C’est de la poudre aux yeux.
Vous les avez semés au bord du fleuve. Ils n’arrivent pas à l’admettre. Ils savent qu’ils ne peuvent pas tenir le public en haleine plus longtemps. Le spectacle doit courir vers sa conclusion! S’ils se mettaient à passer ce maudit fleuve au peigne fin, ça risquerait de prendre toute la nuit. Alors ils essaient de dénicher un bouc émissaire pour finir en beauté. Regardez. Ils vont attraper Montag dans cinq minutes!
— Mais comment…
— Regardez.» La caméra à l’affût dans le ventre d’un hélicoptère plongeait maintenant sur une rue déserte.
«Vous voyez? murmura Granger. Ce sera vous; juste au bout de cette rue se trouve notre victime. Vous voyez comment la caméra procède? Elle plante le décor. Suspense. Plan d’ensemble. En ce moment, un pauvre diable est en train de faire un petit tour à pied. Une rareté.
Un original. N’allez pas croire que la police n’est pas au courant des habitudes de ces drôles d’oiseaux, ces types qui se promènent le matin, comme ça, pour rien, ou parce qu’ils souffrent d’insomnie. En tout cas, il figure dans les fichiers de la police depuis des mois, des années.
On ne sait jamais quand ce genre d’information peut se révéler utile. Et aujourd’hui, c’est le cas, elle tombe à pic. Ça permet de sauver la face. Oh, mon Dieu, regardez!» Les hommes assis auprès du feu se penchèrent en avant.
Sur l’écran, un homme apparut au coin d’une rue. Le Limier robot s’élança dans le viseur. Les projecteurs de l’hélicoptère crachèrent une douzaine de colonnes lumineuses qui formèrent une cage tout autour de l’homme.
Une voix cria: «Voilà Montag! Les recherches sont terminées!» L’innocent s’immobilisa, ahuri, une cigarette allumée à la main. Il fixa de grands yeux sur le Limier, sans savoir ce que c’était. Il ne le sut vraisemblablement à aucun moment. Il leva les yeux vers le ciel et le hurlement des sirènes. Les caméras piquèrent. Le Limier bondit avec une synchronisation et un sens du tempo d’une incroyable beauté. Son aiguillon jaillit. Il resta un instant suspendu dans le vide, comme pour permettre à la foule des téléspectateurs d’apprécier le moindre détail, le regard éperdu de la victime, la rue vide, l’animal d’acier pareil à une balle flairant sa cible.
«Pas un geste, Montag!» lança une voix venue du ciel.
La caméra s’abattit sur la victime en même temps que le Limier. Tous deux l’atteignirent simultanément. La victime fut saisie par le Limier et la caméra dans un énorme étau de pattes grêles. Et l’homme de hurler. Et de hurler. Et de hurler!
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