Ray Bradbury - Fahrenheit 451
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- Название:Fahrenheit 451
- Автор:
- Издательство:Éditions Denoël
- Жанр:
- Год:1995
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Le feu était la panacée!
«Les livres, Montag!» Et les livres de sautiller et de danser comme des oiseaux rôtis, des plumes rouges et jaunes embrasant leurs ailes.
Puis il arriva au salon où les grands monstres stupides dormaient en compagnie de leurs pensées blanches et de leurs rêves neigeux. Il arrosa chacun des trois murs aveugles et le vide se rua vers lui dans un sifflement.
L’inanité émit un bruit encore plus insignifiant, un hurlement insensé. Il s’efforça de songer au vide sur lequel se produisait le néant, mais il n’y parvint pas. Il retint sa respiration pour empêcher le vide de pénétrer dans ses poumons. Il s’arracha à sa terrible inanité, recula, et gratifia toute la pièce d’une énorme fleur jaune incendiaire.
Le revêtement de plastique ignifugé se fendit et la maison se mit à frémir sous l’effet des flammes.
«Quand tu en auras fini, dit Beatty derrière lui, considère-toi en état d’arrestation.» La maison s’effondra en une masse de braises rougeoyantes et de cendres noires. Elle reposait désormais sur un lit de scories assoupies où le rose le disputait au gris, balayée par un panache de fumée qui s’éleva dans le ciel pour y flotter en un lent mouvement de va-etvient. Il était trois heures et demie du matin. Les curieux rentrèrent chez eux; le chapiteau du cirque s’était af faissé en un monceau de débris charbonneux; le spectacle était terminé.
Montag était comme statufié, le lance-flammes dans ses mains inertes, de larges auréoles de sueur sous les aisselles, le visage maculé de suie. Les autres pompiers attendaient derrière lui dans l’obscurité, les traits légèrement éclairés par les décombres fumants.
Montag s’y reprit à deux fois avant de parvenir à formuler sa pensée.
«C’est ma femme qui a donné l’alarme?» Beatty acquiesça. «Ses amies nous.avaient déjà prévenus, mais j’avais laissé courir. De toute façon, ton compte était bon. Quelle stupidité d’aller comme ça citer de la poésie à tous vents. Quel snobisme imbécile. Donnez quelques vers en pâture à quelqu’un et le voilà qui se prend pour le roi de la Création. Tu te crois capable de marcher sur l’eau avec tes bouquins. Eh bien, le monde peut très bien s’en passer. Vois où ils t’ont mené, dans la merde jusqu’au cou. Que je la remue du petit doigt, et tu te noies!» Montag était incapable de bouger. Un terrible tremblement de terre s’était joint au feu pour raser la maison, Mildred était quelque part sous les ruines, ainsi que toute son existence, et il était incapable de bouger. Il conti nuait de sentir en lui les secousses, éboulements et vibrations du séisme et il restait là, les genoux fléchis sous l’énorme poids de la fatigue, de l’ahurissement et de l’humiliation, laissant Beatty l’accabler sans même lever la main.
«Montag, espèce d’idiot, Montag, pauvre imbécile que tu es; qu’est-ce qui t’a poussé à faire ça?» Montag n’entendait pas, il était très loin, dans un rêve de fuite, parti, abandonnant derrière lui ce cadavre couvert de suie qui tanguait devant un autre fou furieux.
«Montag, fichez le camp!» dit Faber.
Montag tendit l’oreille.
Beatty lui assena un coup sur le crâne qui le fit trébucher en arrière. La balle verte dans laquelle la voix de Faber murmurait ses adjurations tomba sur le trottoir.
Beatty s’en empara, un grand sourire aux lèvres. Il l’approcha de son oreille.
Montag entendit la voix lointaine qui l’interpellait.
«Montag, ça va?» Beatty coupa le contact et fourra la balle verte dans sa poche. «Eh bien… ça va plus loin que je ne pensais.
Je t’ai vu pencher la tête, l’air d’écouter quelque chose.
D’abord j’ai cru que c’était un Coquillage. Mais quand tu t’es mis à jouer les petits malins un peu plus tard, je me suis interrogé. On va remonter à la source et coincer ton petit copain.
— Non!» fit Montag.
Il libéra le cran de sûreté du lance-flammes. Le regard de Beatty se fixa aussitôt sur les doigts de Montag et ses yeux se dilatèrent légèrement. Montag y lut de la surprise et baissa lui-même les yeux sur ses mains pour voir ce qu’elles avaient encore fait. En y repensant plus tard, il ne parvint jamais à décider si c’étaient ses mains ou la réaction de Beatty à leur mouvement qui lui avait donné le coup de pouce final sur la voie du meurtre. Le dernier roulement de tonnerre de l’avalanche qui avait grondé à ses oreilles, sans le toucher.
Beatty arbora son sourire le plus charmeur. «Ma foi, voilà un bon moyen de s’assurer un public. Mettre un homme en joue et le forcer à vous écouter. Fais-nous ton petit laïus. Qu’est-ce que ce sera cette fois? Pourquoi ne pas me sortir du Shakespeare, pauvre snobinard d’opérette? "Je ne crains pas tes menaces, Cassius, car ma probité me fait une telle armure qu’elles passent sur moi comme un vent futile auquel je ne m’arrête point!" Qu’en dis-tu? Allez, vas-y, littérateur d’occasion, presse la détente.» Il fit un pas vers Montag.
Qui déclara simplement: «Nous n’avons jamais brûlé ce qu’il fallait…
— Donne-moi ça, Guy», dit Beatty sans se départir de son sourire.
Puis il ne fut plus qu’une torche hurlante, un pantin désarticulé, gesticulant et bafouillant, sans plus rien d’humain ni de reconnaissable, une masse de flammes qui se tordait sur la pelouse tandis que Montag continuait de l’arroser de feu liquide. Il y eut un sifflement pareil à celui d’un jet de salive lancé sur un poêle chauffé au rouge, un grouillement de bulles, comme si l’on venait de saupoudrer de sel un monstrueux escargot noir pour lui faire dégorger l’horreur d’une écume jaunâtre.
Montag ferma les yeux, se mit à hurler et se débattit pour plaquer ses mains sur ses oreilles. Beatty se contorsionnait interminablement. Enfin il se recroquevilla comme une poupée de cire carbonisée, s’immobilisa, et le silence se fit.
Les deux autres pompiers étaient statufiés.
Montag réprima sa nausée le temps de braquer son lance-flammes sur eux. «Retournez-vous!» Ils obtempérèrent, le visage livide, ruisselant de sueur; il leur assena un grand coup sur la tête, faisant sauter leur casque, et ils s’écroulèrent, assommés.
Chuchotis d’une feuille d’automne poussée par le vent.
Il pivota. Le Limier était là.
Ayant déjà atteint le milieu de la pelouse, surgi de l’ombre, il se déplaçait avec une telle légèreté que l’on aurait dit un nuage solidifié de fumée noirâtre en train de flotter silencieusement vers lui.
Le monstre fit un dernier bond, s’élevant à plus d’un mètre au-dessus de la tête de Montag avant de retomber sur lui, ses pattes d’araignée tendues pour le saisir, l’aiguille de procaïne pointant furieusement son unique dent. Montag le piégea dans une fleur de feu, une merveilleuse éclosion de pétales jaunes, bleus et orange qui enveloppa le chien de métal, le dota d’une nouvelle parure tandis qu’il s’abattait sur lui, l’expédiant à trois mètres, lui et son lance-flammes, contre un tronc d’arbre. Il sentit la chose jouer des griffes, lui saisir la jambe et y planter un instant son aiguille avant que le feu ne le projette en l’air, désarticule son ossature métallique et fasse exploser ses entrailles en un ultime rougeoiement, comme une fusée à baguette plantée dans la rue.
Allongé par terre, Montag regarda la créature à demi morte battre l’air et mourir. Même en l’état, elle avait l’air de vouloir revenir à la charge pour achever l’injec tion dont il commençait à sentir les effets dans sa jambe.
Il éprouvait le mélange de soulagement et d’horreur de qui s’est garé d’un chauffard juste à temps pour n’avoir que le genou heurté par le pare-chocs, craignant de ne pouvoir de se tenir debout avec une jambe anesthésiée.
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