— « Mes raisons devraient être évidentes », répondit Parleur. Les marques noires, autour de ses yeux, ressemblaient à un masque de gangster dans une bande dessinée. Le Kzin n’était ni tendu ni décontracté. Et il se tenait à un endroit où il était pratiquement impossible de l’attaquer.
J’ai l’intention de donner aux miens le contrôle du Long Shot. En le prenant pour modèle, nous construirons d’autres vaisseaux semblables, lesquels nous assureront la supériorité dans la prochaine guerre Homme-Kzin, à condition que les Hommes ne possèdent pas les plans du Long Shot. Est-ce clair ? »
Louis remarqua d’une voix sarcastique : « Ce n’est pas la perspective de notre voyage qui vous effraierait, par hasard ? »
— « Non ! » L’insulte ne l’avait même pas effleuré. Comment un Kzin aurait-il pu reconnaître le sarcasme ? « Vous allez tous vous dévêtir immédiatement ; je veux m’assurer que vous n’êtes pas armés. Ensuite, je demanderai au Marionnettiste d’enfiler sa tenue spatiale. J’embarquerai avec lui sur le Long Shot. Louis et Teela, vous resterez ici. Je prends vos vêtements, vos bagages et vos tenues spatiales aussi. Je mettrai ce vaisseau hors d’usage. Soyez sûrs que les Outsiders, curieux de savoir pourquoi vous n’êtes pas repartis vers la Terre, viendront à votre secours bien avant que le système de subsistance ne vous lâche. Vous avez tous bien compris ? »
Louis Wu était détendu mais néanmoins prêt à mettre à profit la moindre faute du Kzin… Il jeta un coup d’œil en coin à Teela Brown et ce qu’il vit l’horrifia. Teela se ramassait pour bondir sur le Kzin.
Parleur la couperait en deux.
Louis devait agir le premier.
« Pas d’idioties, Louis. Levez-vous doucement et allez vous mettre contre le mur. Vous serez le premier à… à… »
Le mot s’éteignit dans une sorte de plainte.
Louis s’arrêta dans son élan, surpris par un événement qui le dépassait.
Parleur-aux-Animaux rejeta en arrière sa grosse tête orange et miaula : un glapissement presque supersonique. Il écarta les bras comme pour étreindre l’univers. La lame invisiblement fine de son épée variable sectionna sans résistance un réservoir d’eau qui se mit à dégorger de tous côtés. Parleur ne s’en aperçut pas. Ses yeux ne voyaient rien, ses oreilles n’entendaient pas.
— « Prenez son arme », dit calmement Nessus.
Louis s’en chargea. Il s’approcha prudemment, prêt à plonger au moindre mouvement de l’épée variable que Parleur balançait doucement, comme un bâton. Il retira la poignée de la main docile du Kzin. Il trouva la touche de commande, et la boule rouge vint rejoindre la poignée.
« Gardez-la », reprit Nessus. Il referma ses mâchoires sur les bras de Parleur et conduisit celui-ci vers une couchette anti-g. Le Kzin n’offrait aucune résistance. Il n’émettait plus aucun son ; ses yeux plongeaient dans l’infini et son imposante face orange ne reflétait qu’un calme immense.
— « Que s’est-il passé ? Qu’avez-vous fait ? »
Parleur-aux-Animaux, totalement détendu, fixait l’infini en ronronnant.
— « Regardez bien », dit Nessus. Il s’éloigna avec précaution de la couchette du Kzin. Il maintenait ses têtes dans une position haute et rigide, pointées dans une direction constante, sans quitter le Kzin des yeux un seul instant.
Les yeux de Parleur clignèrent soudain. Ils sautèrent de Louis à Teela, puis à Nessus. Il émit quelques grognements plaintifs, s’assit, et se remit à parler en interworld.
— « C’était très, très agréable. J’aimerais… »
Il s’interrompit, se reprenant. « Quoi que vous ayez fait », dit-il au Marionnettiste, « ne recommencez jamais. »
— « Je vous avais jugé très évolué », dit Nessus. « J’avais raison. Seul un individu très évolué peut redouter un tasp. »
— « Ah !… » S’exclama Teela.
Louis s’enquit : « Un tasp ? »
Le Marionnettiste continuait à s’adresser à Parleur-aux-Animaux. « Sachez que j’utiliserai à nouveau le tasp si vous m’y forcez. Je l’utiliserai chaque fois que votre attitude m’inquiétera. Si vous vous montrez trop violent, ou si vous m’effrayez trop souvent, vous ne pourrez bientôt plus vous en passer. Comme il est implanté en moi chirurgicalement, vous ne pourriez vous en emparer qu’en me tuant. Et vous n’en seriez pas moins ignoblement asservi par le tasp lui-même. »
— « Très astucieux », reconnut Parleur. « Tactique inorthodoxe mais brillante. Je ne vous importunerai plus.
— « Tanj ! Quelqu’un va-t-il me dire ce qu’est un tasp ? »
L’ignorance de Louis sembla surprendre tout le monde. Ce fut Teela qui répondit. « Il stimule le centre du plaisir dans le cerveau. »
— « À distance ? » Louis ne savait même pas que c’était théoriquement possible.
— « Mais oui. Ça a le même effet qu’un choc électrique sur un planaire ; mais on n’a pas besoin de s’enfoncer une électrode dans le cerveau. Un tasp est en général assez petit pour être manié d’une seule main. »
— « As-tu déjà été touchée par un tasp ? Ça ne me regarde pas, bien sûr. »
Teela eut un sourire de dérision pour sa délicatesse. « Oui. J’en connais l’effet. Un instant de… ah ! C’est impossible à décrire. Mais on n’utilise pas un tasp sur soi-même ; on l’utilise sur quelqu’un qui ne s’y attend pas. Et c’est là que ça devient drôle. La police arrête continuellement des taspeurs dans les parcs. »
— « Vos tasps », remarqua Nessus, « induisent moins d’une seconde de courant. Le mien en induit environ dix secondes. »
L’effet sur Parleur-aux-Animaux avait dû être formidable. Mais Louis y voyait d’autres implications. « Oh ! Mais c’est fantastique. C’est merveilleux ! Qui d’autre qu’un Marionnettiste utiliserait une arme qui produit sur l’ennemi un effet agréable ? »
— « Qui d’autre qu’un orgueilleux très évolué craindrait l’excès de plaisir ? Le Marionnettiste a parfaitement raison », dit Parleur-aux-Animaux. « Je ne veux pas risquer le tasp à nouveau. Trop de chocs feraient de moi l’esclave consentant du Marionnettiste. Moi, un Kzin, esclave d’un herbivore ! »
— « Embarquons sur le Long Shot », conclut Nessus avec grandeur. « Nous avons perdu assez de temps en futilités. »
Louis monta le premier à bord du Long Shot.
Il ne fut pas surpris lorsque ses pieds esquissèrent un pas de danse sur la surface rocheuse de Néréide. Il savait comment se déplacer sous une faible pesanteur. Mais son subconscient avait stupidement escompté un changement de gravité dans le sas du Long Shot . Paré pour une transition qui ne se produisit pas, il trébucha et faillit tomber.
« Je sais qu’ils utilisaient autrefois la gravité artificielle », grommela-t-il en entrant dans la cabine. « … Oh ! »
L’aménagement de la cabine était vraiment primitif. Il y avait partout des angles vifs où se cogner les coudes et les genoux. Tout était plus volumineux qu’il n’eût fallu. Les cadrans étaient mal placés…
Mais, plus que primitive, la cabine était petite. Le Long Shot avait été construit sous gravité artificielle ; pourtant, même dans un vaisseau large de trois cents mètres, il n’y avait pas eu assez de place pour les appareils nécessaires. Il y en avait à peine pour un pilote.
Le tableau de bord, un indicateur de masse, une autocuisine et un espace, derrière la couchette, où un Homme pouvait se rencogner, la tête baissée à cause du plafond bas.
Louis se ramassa dans cet espace et ouvrit l’épée variable du Kzin à un mètre.
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