« Je sais que les esprits, c’est pas Ton truc, sauf le Saint-Esprit, bien sûr, mais dans un rêve, peut-être, hein ? Je sais que c’est demander beaucoup, mais… oh, mon Dieu, il y a un tel vide en moi, ce soir. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse avoir un tel vide en soi, j’ai peur de tomber dedans. Si Tu fais cela pour moi, je ferai quelque chose pour Toi. Il Te suffira de me le demander. Je T’en prie, mon Dieu, rien qu’un effleurement. Ou un mot. Même si c’est dans un rêve. » Elle eut un grand soupir enchifrené. « Merci, mon Dieu. Que Ta volonté soit faite, bien sûr. Qu’elle me plaise ou non. » Elle eut un tout petit rire. « Amen. »
Elle ouvrit les yeux et se leva, s’appuyant de la main sur le bureau. Ce faisant, elle poussa légèrement l’ordinateur et l’écran s’éclaira aussitôt. Il oubliait toujours de l’éteindre, mais au moins le laissait-il toujours branché sur le secteur, pour que la batterie reste chargée. Et son bureau était nettement mieux rangé que celui de son portable à elle — constamment encombré de fichiers qu’elle avait téléchargés et de notes électroniques. Sur l’écran de Howie, on ne voyait jamais que trois dossiers, sous l’icône du disque dur : le premier, intitulé COURANT, concernait les rapports sur les enquêtes en cours ; le deuxième, TRIBUNAL, établissait la liste de tous ceux (lui-même compris) qui devaient aller témoigner devant les tribunaux, avec le lieu et la date. Le troisième dossier, MORIN STREET, comprenait tout ce qui touchait à la maison. Il lui vint à l’esprit que si elle l’ouvrait, elle trouverait peut-être quelque chose sur le générateur ; il fallait qu’elle sache comment le faire tourner le plus longtemps possible. Certes, Henry Morrison changerait volontiers la bonbonne de propane, mais si elle n’en avait pas en réserve ? Si tel était le cas, elle allait devoir en acheter une au Burpee’s ou au Gas & Grocery avant qu’il n’y en ait plus une seule.
Elle posa un doigt sur le tapis de souris, puis s’arrêta. Il y avait une quatrième icône sur l’écran, rôdant dans le coin, en bas à gauche. Elle ne l’avait jamais vue auparavant. Brenda essaya de se rappeler à quand remontait la dernière fois qu’elle avait regardé l’écran de cet ordinateur, mais en vain.
VADOR — tel était le nom du dossier.
Il n’y avait qu’une seule personne en ville que Howie surnommait Vador, comme dans Dark Vador : Big Jim Rennie.
Sa curiosité éveillée, elle plaça le curseur de la souris dessus et fit un double clic, se demandant si le dossier ne serait pas protégé par un mot de passe.
Il l’était. Elle essaya WILDCATS, celui qui protégeait le dossier COURANT (Perkins n’avait pas pris la peine de protéger TRIBUNAL). Le dossier contenait deux fichiers. L’un avait pour titre ENQUÊTE EN COURS et l’autre était un document en PDF, une lettre intitulée SMAG. En Howie-Perkins dans le texte, SMAG était l’acronyme de State of Maine Attorney General (Procureur général du Maine). Elle cliqua dessus.
Brenda parcourut la lettre du procureur général avec une stupéfaction grandissante, tandis que les larmes séchaient sur ses joues. La première chose sur quoi tomba son œil fut la formule de politesse : non pas Cher chef Perkins , mais Mon cher Duke .
Bien que la lettre eût été rédigée en jargon judiciaire plutôt qu’en Howie-Perkins, certaines phrases lui sautèrent aux yeux comme si elles étaient imprimées en gras. Détournement de biens et de services de la villefut la première. L’implication du premier conseiller Sanders semble être certainefut la deuxième. Puis il y eut Ces malversations sont plus vastes et vont plus loin que ce que l’on aurait pu imaginer il y a trois mois.
Et près de la fin, cette fois-ci lui paraissant non pas écrit seulement en gras, mais aussi en capitales :
FABRICATION ET VENTE DE DROGUES ILLÉGALES
Sa prière n’était pas restée sans réponse, apparemment, et d’une manière totalement inattendue. Brenda s’assit dans le fauteuil de Howie, cliqua sur ENQUÊTE EN COURS dans le dossier VADOR, et laissa feu son époux lui parler.
Le discours du Président — disert en propos rassurants, maigre en informations — se termina à minuit vingt et un. Rusty Everett le suivit depuis la salle de garde, au deuxième étage de l’hôpital, consulta une dernière fois les graphiques et rentra chez lui. Il avait terminé certaines journées encore plus fatigué, au cours de sa carrière médicale, mais jamais aussi découragé ou inquiet pour l’avenir.
La maison était plongée dans l’obscurité. Il avait discuté avec Linda de l’éventuel achat d’un générateur, l’année dernière (et les années précédentes), car Chester’s Mill connaissait quatre ou cinq pannes de courant chaque hiver, sans parler d’une ou deux de plus, en général, pendant la belle saison ; Western Maine Power n’était pas une compagnie d’électricité des plus fiables. Le résultat de ces discussions avait toujours été le même : ils n’en avaient pas les moyens. Si Linda prenait un poste de flic à plein temps, cet achat serait peut-être possible, mais elle ne le voulait pas tant que les filles étaient petites.
Au moins, nous avons un bon poêle et une sacrée réserve de bois. Si nécessaire.
Il avait une lampe torche dans la boîte à gants ; mais lorsqu’il l’alluma, elle n’émit qu’un rayon faiblard qui mourut au bout de cinq secondes. Rusty marmonna une obscénité et nota de se procurer des piles neuves demain — ou plutôt aujourd’hui. En supposant que les magasins soient ouverts.
Si je suis pas fichu de trouver mon chemin ici au bout de douze ans, c’est que je suis un singe.
Oui, tiens. Il se sentait un peu comme un singe ce soir — un singe qui viendrait d’être capturé et jeté dans la cage d’un zoo. Et il en avait incontestablement l’odeur. Peut-être que s’il prenait une douche avant de se coucher…
Mais non : pas d’électricité, pas de douche.
La nuit était claire et, en l’absence de lune, il y avait un milliard d’étoiles au-dessus de la maison, des étoiles qui avaient le même aspect que d’habitude. La barrière n’existait peut-être pas au-dessus de leurs têtes. Le Président n’avait pas abordé cette question, si bien que les responsables de l’enquête ne le savaient peut-être pas eux-mêmes. Si Chester’s Mill se trouvait au fond d’un puits récemment créé et non pas complètement sous cloche — une cloche de verre démentielle —, les choses pourraient peut-être s’arranger. Le gouvernement pourrait les approvisionner par la voie des airs. Un pays qui avait les moyens de dépenser des centaines de milliards de dollars pour renflouer ses banques devait tout de même pouvoir larguer un peu de bouffe et quelques foutus générateurs.
Il escalada les marches du porche et sortit ses clefs, mais lorsqu’il arriva à la porte, il vit quelque chose pendre au loquet. Il se pencha, plissant les yeux, et sourit. C’était une mini-lampe torche. Lors des grands soldes de fin d’été, au Burpee’s, Linda en avait acheté six pour le prix de cinq. Il avait trouvé sur le moment que la dépense n’avait pas de sens, et se rappelait même avoir pensé, Les femme achètent des trucs en solde pour la même raison que les hommes escaladent les montagnes — parce qu’ils sont là .
Il y avait un petit anneau métallique à l’autre extrémité de la lampe torche. Un lacet provenant d’une de ses vieilles paires de tennis était passé dedans. Un mot était accroché au lacet. Il le prit et braqua le rayon de la torche dessus.
Salut beau gosse. J’espère que tu vas bien. Les deux J sont finalement au lit. Étaient inquiètes et bouleversées toutes les deux, mais elles ont fini par s’écrouler. Je suis de service demain toute la journée, et quand je dis toute la journée, c’est de 7 à 19 h, d’après Peter Randolph (notre nouveau chef, GRRRR). Marta Edmunds est d’accord pour prendre les filles demain — Dieu bénisse Marta. Essaie de ne pas me réveiller. Sauf que pas sûr que je dorme. On va avoir des journées difficiles, mais on surmontera ça. On a plein de réserves, Dieu merci.
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