Elle se retrouva assise sur son siège. Rik lui étreignait la main ; le vieil homme ridé était penché au-dessus d’elle.
— N’ayez pas peur, mon enfant, lui dit-il. Ce n’est qu’une image. Une photographie, si vous voulez.
Valona tourna la tête. Le Prud’homme était toujours là. Il ne la regardait pas.
— Où est-il ? demanda-t-elle.
— C’est une projection tridimensionnel, Lona, fit brusquement Rik. Il est ailleurs mais nous pouvons le voir.
Elle hocha la tête. Si Rik le disait, elle le croyait. Mais elle baissa les yeux. Elle n’osait pas regarder des gens qui étaient là et, en même temps, étaient ailleurs.
Abel se tourna vers Rik :
— Ainsi, vous savez ce qu’est la projection tridimensionnelle ?
— Oui.
Pour Rik, les dernières vingt-quatre heures avaient également été une expérience extraordinaire mais, contrairement à Valona qui perdait de plus en plus pied, tout ce qu’il avait vu lui avait été de plus en plus familier.
— Où avez-vous appris ce que c’est ?
— Je ne sais pas. Je le savais avant… avant d’avoir oublié.
Fife, qui était resté immobile quand Valona s’était follement ruée vers le Prud’homme, jeta d’une voix acide :
— Je regrette le désordre créé par cette indigène hystérique que j’ai été obligé de faire venir. Le soi-disant spatio-analyste exigeait sa présence.
— Cela n’a pas d’importance, répondit Abel. Toutefois, je constate que votre débile mental florinien semble connaître la projection tridimensionnelle.
— Je suppose qu’on l’a bien dressé.
— A-t-il été interrogé depuis son arrivée ?
— Certainement.
— Qu’est-il résulté de l’interrogatoire ?
— Il n’a pas apporté d’éléments nouveaux.
Derechef, l’ambassadeur s’adressa à Rik.
— Quel est votre nom ?
— Rik est le seul dont je me souvienne, répondit Rik avec calme.
— Y a-t-il ici des personnes que vous connaissez ?
Le regard de Rik fit le tour des visages. Il était sans inquiétude.
— Seulement le Prud’homme, dit-il. Et Lona, bien sûr.
Abel tendit le bras vers Fife.
— Voici le plus grand des Écuyers qui aient jamais existé. Le monde lui appartient tout entier. Que pensez-vous de lui ?
— Je suis Terrien, répliqua fièrement Rik. Je ne lui appartiens pas.
Abel se tourna vers Fife et murmura en aparté :
— Je ne crois pas que l’on puisse dresser un indigène adulte au point de lui apprendre à manifester une attitude aussi provocante.
— Même s’il s’agit d’un individu dont on a lavé le cerveau ? rétorqua dédaigneusement Fife.
Abel revint à Rik.
— Connaissez-vous cet homme ?
— Non.
— C’est le Dr Selim Junz. Il occupe un poste important au sein du Bureau Interstellaire d’Analyse Spatiale.
Rik dévisagea intensément le Dr Junz.
— Alors, c’était un de mes chefs. Mais, ajouta-t-il, désappointé, je ne le connais pas. Peut-être l’ai-je oublié.
Junz secoua tristement la tête.
— Je ne l’ai jamais vu, Abel.
— Réponse intéressante, murmura Fife.
— A présent, Rik, écoutez-moi, reprit Abel. Je vais vous raconter quelque chose. Ecoutez-moi de toutes vos forces, avec toute votre attention. Et réfléchissez. Réfléchissez ! Vous me comprenez ?
Rik acquiesça.
Abel se mit à parler avec lenteur. Pendant de longues minutes, il n’y eut dans la pièce d’autre bruit que le son de sa, voix. Rik avait fermé les yeux. Les lèvres pincées, les poings serrés contre sa poitrine, le buste penché en avant, il avait l’air d’un homme à la torture.
Abel parlait. Il évoquait les événements tels qu’ils avaient été soigneusement présentés par l’Écuyer de Fife. Il parlait du premier message, annonciateur de désastres, de son interception, de l’entrevue entre Rik et X, du sondage psychique, de la découverte du jeune homme sur Florina, du médecin qui l’avait examiné et qui était mort, du voile de l’oubli qui se déchirait progressivement.
— Voilà toute l’histoire, Rik, conclut-il. Je vous l’ai intégralement rapportée. Est-ce que certains détails évoquent un écho en vous ?
— Je me rappelle la dernière partie, répondit Rik. – Son débit était haché et douloureux. – Les premiers jours… Je me souviens aussi de certaines choses antérieures. Le médecin, peut-être. L’époque où j’ai commencé à parler. C’est vague… mais il n’y a rien d’autre.
— Mais vous vous souvenez d’un danger menaçant Florina ?
— Oui ! Oui ! C’est le premier souvenir qui me soit revenu.
— Et ensuite ? Vous êtes arrivé sur Sark et vous avez rencontré quelqu’un ?
Rik poussa un gémissement.
— Non… je ne me rappelle pas.
— Essayez de vous souvenir. Essayez !
Rik leva la tête. Son visage était couvert de sueur.
— Je me rappelle un mot.
— Lequel, Rik ?
— Il n’a aucun sens.
— Dites quand même.
— Je revois une table. C’est loin, très loin. Et très flou. J’étais assis. Je crois qu’il y avait quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui était également assis. Et puis l’homme était debout. Je le voyais au-dessus de moi. Il me regardait. Et il a prononcé ce mot.
Abel était patient.
— Quel mot ?
Rik serra les poings et fit dans un souffle.
— Fife !
Tout le monde, excepté Fife, bondit sur ses pieds.
— Je vous l’avais bien dit ! s’écria Steen.
Et il éclata d’un rire strident et saccadé.
CHAPITRE XVII
L’ACCUSATRICE
— Finissons-en avec cette farce, dit Fife, dominant sa fureur.
Le regard dur, les traits impassibles, il avait attendu pour intervenir que les autres, le choc passé, se fussent rassis. La tête baissée, les paupières closes, Rik luttait contre la migraine. Valona s’approcha de lui, s’efforçant de poser le front du jeune homme sur son épaule. Doucement, elle lui caressa la joue.
— Pourquoi ce mot de farce ? demanda Abel d’une voix mal assurée.
— N’en est-ce pas une ? J’ai accepté de participer à cette conférence uniquement sous la pression d’une menace que vous agitiez au-dessus de moi. J’aurais quand même refusé si j’avais su que je devais comparaître devant un tribunal de renégats et d’assassins, tout à la fois procureurs et jurés.
Abel fronça les sourcils et répondit avec une raideur glaciale :
— Ce n’est pas un tribunal, messire. Le Dr Junz est ici pour qu’on lui remette un membre du B.I.A.S. C’est son droit et son devoir. Je suis ici pour défendre les intérêts de Trantor en cette période de crise. Je ne doute pas que Rik soit le spatio-analyste disparu. Nous pouvons mettre immédiatement un terme à cette partie de notre conférence si vous vous déclarez prêt à confier cet homme au Dr Junz aux fins d’examens complémentaires, examens comprenant une vérification anthropologique. Nous vous demanderons naturellement de nous aider à retrouver celui qui s’est rendu coupable d’exercice illégal du psychosondage, et à préparer des mesures destinées à empêcher que se renouvellent à l’avenir des pratiques de ce genre à l’encontre du personnel d’une agence interstellaire qui, après tout, s’est toujours tenue en dehors de la politique régionale.
— Admirable discours ! Mais l’évidence reste l’évidence et vos plans sont transparents. Que se passera-t-il si j’accède aux vœux du Dr Junz ? J’ai comme une idée que le B.I.A.S. découvrira exactement ce qu’il veut découvrir. Il prétend être une agence interstellaire politiquement neutre, mais le fait est là : Trantor souscrit les deux tiers du budget annuel du Bureau. Je doute qu’un observateur puisse raisonnablement considérer que l’attitude du Bureau soit neutre. Il est certain que ce qu’il découvrira par le canal de cet homme sera conforme aux visées impérialistes de Trantor.
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