Genro s’arrêta à l’entrée principale. Le gigantesque fer à cheval de l’astrodrome – trente-six hangars, cinq silos de départ – ne l’impressionnait manifestement pas. Pour lui comme pour tout yachtman expérimenté, c’était là un spectacle banal.
Il prit une longue cigarette violette dont le bout était recouvert d’une infime couche de kyrt argenté et la glissa entre ses lèvres. L’extrémité qu’il protégeait de sa main en coupe émit une phosphorescence verdâtre quand il aspira. La cigarette brûlait lentement sans faire de cendres. Un filet de fumée couleur émeraude s’échappa des narines de Genro.
— La routine, murmura-t-il.
Un homme en costume de yachtman se porta à sa rencontre sans hâte apparente. Seules les initiales d’une discrète élégance au-dessus de l’unique bouton de sa veste indiquaient qu’il était membre du comité de direction du club.
— Tiens, Genro ! Et pourquoi pas la routine ?
— Bonsoir, Doty. J’avais craint qu’avec tout ce remue-ménage un petit malin ait eu l’idée de fermer le port. Sark en soit louée, il n’en est rien.
Le membre du comité devint grave.
— Il n’est pas exclu qu’on en arrive là, vous savez. Êtes-vous au courant des dernières nouvelles ?
Genro sourit.
— Comment peut-on savoir s’il s’agit des dernières ou des avant-dernières ?
— Il n’y a plus de problème en ce qui concerne l’indigène meurtrier.
— Voulez-vous dire qu’il est arrêté ? Je l’ignorais.
— Non, il n’est pas arrêté mais l’on sait qu’il n’est pas dans la Cité Basse.
— Ah bon ? Où se trouve-t-il donc ?
— Dans la Cité Haute. Ici.
— Allons donc !
Genro écarquilla les yeux puis plissa les paupières d’un air incrédule.
— Je vous l’affirme, fit son interlocuteur, un peu vexé. C’est une information dont on m’a garanti la véracité. Les patrouilleurs ratissent la route du Kyrt. Ils ont bouclé le Parc et se servent des Arènes centrales comme point de coordination. C’est absolument authentique.
— Peut-être bien, après tout. – Genro promena un regard nonchalant sur les navires rangés dans les hangars. – Il y a bien deux mois que je ne suis pas venu au Port 9. Vous avez de nouveaux bâtiments ?
— Non. Ah si !… la Flèche de Flamme de Hiordesse.
Genro secoua la tête.
— Je le connais. En dehors des chromes, ce n’est rien du tout. – Je sens qu’il faudra que je finisse par dessiner moi-même mon astronef et cela ne m’enchante pas du tout.
— Vous vendez le Comète V ?
— Je ne sais pas si je vais le vendre ou l’envoyer à la casse. J’en ai assez de ces modèles récents. Trop d’automatisme ! Avec leurs relais et leurs calculateurs de trajectoire, il n’y a plus de sport.
— Vous n’êtes pas le seul que j’entends dire cela. Écoutez, si j’entends parler d’une occasion intéressante – un modèle ancien en bonne condition –, je vous préviendrai.
— Merci. Ça ne vous fait rien si je jette un petit coup d’œil ?
— Bien entendu ! Allez…
Le membre du comité sourit à Genro, agita la main et s’éloigna d’un pas vif.
Sa cigarette à moitié consumée pendant au coin de la bouche, Genro déambula autour des hangars, examinant les yachts d’un air entendu. Celui qui occupait le hangar 26 parut l’intéresser tout particulièrement.
— Messire ! appela-t-il, penché au-dessus de la barrière basse.
Il attendit quelques instants et appela à nouveau sur un ton un petit peu moins poli et un petit peu plus péremptoire.
L’Écuyer qui parut à sa vue ne payait pas de mine. D’abord, il n’était pas en tenue de yachtman. De plus, il avait besoin de se raser et l’atroce calotte qu’il portait était enfoncée sur son crâne de la façon la plus inélégante qui fût. Enfin, son attitude était empreinte de méfiance et de suspicion.
— Je m’appelle Markis Genro. Ce bâtiment est à vous ?
— Oui, répondit l’Écuyer d’une voix basse et tendue.
Genro n’en tint pas compte. Levant la tête, il étudia attentivement la carène. D’une chiquenaude, il se débarrassa de ce qui restait de sa cigarette. Avant d’avoir atteint le sommet de sa parabole, celle-ci s’évanouit en jetant un pâle éclair.
— M’autorisez-vous à entrer ?
L’autre hésita, puis s’effaça et Genro pénétra à l’intérieur du hangar.
— Qu’est-ce que vous avez comme moteurs ? s’enquit-il.
— Pourquoi cette question ?
Genro était grand. Son épiderme était foncé et ses yeux noirs. Ses cheveux étaient coupés court. il dominait son interlocuteur d’une demi-tête et son sourire découvrait des dents blanches et régulières.
— Pour être franc, je songe à acquérir un nouveau yacht.
— Le mien vous intéresse ?
— Je ne sais pas. Je me laisserais peut-être tenter par un modèle de ce genre si le prix n’était pas trop élevé. Mais, n’importe comment, j’aimerais regarder les contrôles et les moteurs.
L’Écuyer garda le silence.
— Comme il vous plaira, ajouta Genro avec un rien de froideur.
Et il fît demi-tour.
— Je peux envisager de le vendre, dit alors l’Écuyer. – Il se fouilla. – Tenez… voici ma licence.
Genro y jeta un rapide coup d’œil, un coup d’œil d’habitué, et la lui rendit.
— Vous êtes Deamone ?
L’Écuyer fit un signe d’assentiment.
— Donnez-vous la peine d’entrer.
Genro consulta la grosse horloge chronométrique du port, ses aiguilles luminescentes qui brillaient même en plein jour indiquaient que le soleil s’était couché depuis plus d’une heure.
— Je vous remercie. Vous me montrez le chemin ?
L’Écuyer fouilla à nouveau ses poches pour en extraire un trousseau de clés d’argent.
— Après vous, messire.
Genro saisit le trousseau en forme de dépliant et se mit à la recherche de l’étui frappé du petit signe symbolique. L’autre ne faisait pas mine de l’aider.
— Je suppose que c’est cette clé ? fit-il enfin.
Il gravit la rampe inclinée conduisant au sas et étudia avec soin la mince rainure qui se trouvait à droite du tambour.
— Je ne vois pas !… Ah ! voilà !
Il fit un pas de côté et passa à gauche.
Le sas s’ouvrit lentement et sans bruit. Genro entra. Il faisait noir dans le caisson. Le voyant rouge s’alluma automatiquement quand la porte se referma derrière les deux hommes tandis que le tambour intérieur s’ouvrait à son tour. Ils le franchirent et un flot de lumière blanche baigna le navire.
Myrlyn Terens n’avait pas le choix. Il ne se rappelait plus l’époque lointaine où ce qui s’appelait « un choix » existait.
Pendant trois longues et terribles heures, il était resté à côté du yacht de Deamone à attendre sans rien pouvoir faire, persuadé qu’il n’y aurait d’autre dénouement à l’aventure que sa capture.
Et puis cet individu avait fait son apparition : l’acheteur éventuel. C’était de la folie que de lier conversation avec lui.
Terens ne pouvait pas soutenir son imposture sur un terrain aussi brûlant. Mais il ne pouvait davantage demeurer là où il était.
Peut-être, au moins, y aurait-il des vivres à bord. C’était bizarre mais cette idée ne lui était pas encore venue.
Il y en avait.
— C’est bientôt l’heure de dîner, fit-il. Voulez-vous prendre quelque chose ?
Ce fut à peine si l’autre se retourna.
— Un peu plus tard, peut-être, je vous remercie.
Terens n’insista pas. Il le laissa aller et venir à sa guise et attaqua une terrine de viande et des fruits sous emballage de cellulose. Il but avec avidité. Il y avait une douche en face de la cuisine. Il s’y enferma et se baigna. Quel plaisir d’enlever cette calotte, même momentanément ! Terens découvrit même un placard contenant tout un choix de vêtements.
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