Schwartz s’était fait à cette idée et c’était presque avec soulagement qu’il acceptait son sort.
Quand la porte s’ouvrit, il bondit sur ses pieds, vibrant d’effroi. La raison peut se résigner à la mort, mais le corps est une bête brute imperméable à la raison. Le moment était venu !
Non ! Pas encore. La mort était absente de l’attouchement que Schwartz percevait. Le nouveau venu était un garde. Il étreignait une tige de métal. L’ancien tailleur savait ce que c’était.
— Suivez-moi, ordonna sèchement le garde.
Schwartz lui emboîta le pas tout en réfléchissant à l’étrange pouvoir qui était le sien. Il pouvait frapper et exterminer le garde sans un bruit, sans avertissement bien avant que celui-ci fasse usage de son arme ou même se rende compte qu’il eût fallu s’en servir. Son esprit était dans les mains mentales de Schwartz. Il suffisait de les serrer un peu et tout serait dit.
Mais à quoi bon ? Il y avait les autres. Combien d’adversaires était-il en mesure de neutraliser instantanément ? De combien de ces mains mentales disposait-il ?
Il suivit docilement le garde.
La pièce où il fut conduit était vaste. Deux hommes et une femme était allongés sur des bancs surélevés comme des cadavres. Et pourtant ce n’étaient pas des cadavres à en juger par l’activité de leur cerveau.
Ils étaient paralysés ! Et n’avaient-ils pas quelque chose de familier ?
Schwartz fit mine de se pencher pour les examiner mais le garde l’empoigna par l’épaule.
— Etendez-vous.
Il y avait un quatrième bat-flanc inoccupé. Comme il ne décelait toujours aucune idée de mort dans l’esprit de l’autre, Schwartz s’exécuta. Il savait ce qui l’attendait.
Le garde l’effleura du bout de sa baguette d’acier. L’ancien tailleur éprouva un picotement dans les bras et dans les jambes, puis cessa de sentir ses membres. Il n’était plus qu’une tête flottant sur une mer de néant.
Il tordit le cou.
Et cria :
— Pola ! Vous êtes Pola, n’est-ce pas ? La jeune fille qui…
Elle acquiesça. Il n’avait pas reconnu son attouchement en tant que tel. Deux mois auparavant, l’attouchement n’existait pas encore. Son mental n’était alors sensible qu’aux « atmosphères ». C’était l’étape initiale de son développement. Maintenant, à la lumière de ses facultés magnifiées, il se rappelait.
Mais le contenu de ces esprits était un réservoir d’informations. L’homme qui gisait à côté de la fille était le Dr Shekt et l’autre le Dr Bel Arvardan. Schwartz enregistrait leur nom, sentait leur désespoir, ressentait l’horreur et la peur dont les vestiges hantaient l’esprit de la jeune fille.
Il eut un mouvement de pitié mais, se remémorant qui ils étaient et ce qu’ils étaient, il se cuirassa contre cette faiblesse.
Qu’ils meurent tous les trois !
Il y avait près d’une heure que les trois autres captifs étaient là. La salle où on les avait abandonnés était manifestement prévue pour contenir plusieurs centaines de personnes rassemblées et les prisonniers étaient écrasés par son immensité. Et ils n’avaient rien à dire. Arvardan, la gorge sèche et brûlante, bougeait la tête de droite à gauche avec nervosité. Ce mouvement dérisoire était le seul qu’il pouvait encore faire.
Shekt gardait les yeux fermés. Ses lèvres exsangues étaient pincées.
— Shekt ! appela Arvardan dans un murmure farouche. Shekt ! Répondez-moi !
— Hein ? Comment ?
C’était à peine un soupir.
— Qu’est-ce que vous faites ? Vous dormez ? Il faut réfléchir, mon ami !
— Pourquoi ? Et à quoi ?
— Qui est ce Joseph Schwartz ?
La voix de Pola s’éleva, sourde et lasse :
— Vous ne vous souvenez pas, Bel ? Le magasin où nous nous sommes rencontrés pour la première fois… il y a si longtemps…
Arvardan se tortilla comme un forcené et parvint péniblement à soulever la tête de cinq centimètres. De cette façon, il apercevait un fragment du visage de Pola.
— Pola ! Pola !
Le sourire qu’elle lui adressait était pâle comme un sourire de statue.
— Nous gagnerons finalement la partie, Pola. Vous verrez.
Mais elle secoua le menton dans un signe de dénégation et, Arvardan, les tendons de son cou tendus à craquer, incapable de conserver plus longtemps cette position, laissa retomber sa tête.
— Shekt, appela-t-il à nouveau. Ecoutez-moi. Comment avez-vous connu ce Schwartz ? Etait-ce un de vos patients ?
— Il s’est présenté comme volontaire pour l’amplificateur synaptique.
— Et vous l’avez traité ?
— Oui.
Arvardan médita sur cette réponse.
— Pourquoi est-il venu vous voir ? Je ne sais pas.
— Mais… c’est peut-être un agent de l’empire.
(Schwartz suivait parfaitement le cheminement de la pensée d’Arvardan. Il sourit intérieurement mais garda le silence. Et il était bien décidé à continuer de le garder.)
Le physicien bougea la tête.
— Un agent de l’empire ? Vous dites cela parce que le secrétaire du grand prêtre le prétend, mais c’est ridicule. D’ailleurs, qu’est-ce que cela changerait ? Il est tout aussi impuissant que nous. Ecoutez, Arvardan, si nous leur, sortions une histoire quelconque, nous obtiendrions un sursis. Et qui sait si, au bout du compte, nous n’aurions pas…
Arvardan éclata d’un rire caverneux qui lui déchira la gorge.
— Si nous n’aurions pas la vie sauve ? C’est ce que vous voulez dire ? Alors que la galaxie sera morte et la civilisation détruite ? Je préfère la mort.
— Je pense à Pola.
— Moi aussi. Posez-lui donc la question ! Pola, devons-nous baisser pavillon et essayer de survivre ?
— J’ai choisi mon camp, répondit la jeune fille d’une voix ferme. Je n’ai pas envie de mourir mais si mon camp périt, je périrai avec lui.
Arvardan éprouva comme un sentiment de triomphe. Peut-être ses compatriotes la traiteraient-ils de Terrienne quand il l’amènerait à Sirius, mais elle était leur égale et ce serait avec un immense plaisir qu’il ferait sauter les dents du premier qui…
Puis il se rappela qu’il y avait peu de chances pour qu’il l’emmène à Sirius – elle ou n’importe qui d’autre. Sirius serait vraisemblablement rayé de la carte.
Pour ne plus penser à cela, il hurla :
— Eh, vous ! Comment encore ?… Schwartz !
L’interpellé souleva un instant la tête et le lorgna du coin de l’œil mais n’ouvrit pas la bouche.
— Qui êtes-vous ? reprit Arvardan. Comment êtes-vous mêlé à tout cela ? Quel est votre rôle ?
A cette question, Schwartz se sentit brusquement accablé par l’injustice de son sort. Le contraste entre l’innocence de son passé et l’horreur sans fond du présent éclata en lui, et ce fut avec fureur qu’il répondit :
— Moi ? Comment je me suis trouvé mêlé à tout cela ? Je vais vous le dire. Autrefois, j’étais un homme de rien, un honnête et laborieux tailleur. Je ne faisais de mal à personne, je n’embêtais personne, je m’occupais de ma famille. Et puis, sans raison, sans aucune raison, je suis arrivé ici.
— A Chica ? interrogea Arvardan qui suivait difficilement.
— Non, non, pas à Chica ! s’exclama Schwartz avec une âpre dérision. Je parle de ce monde délirant. Que vous me croyiez ou pas, je m’en moque. Mon monde à moi appartient au passé. Il avait de la terre, de la nourriture et deux milliards de gens y vivaient. Et c’était le seul qui existait.
Restant coi devant tant d’impétuosité, Arvardan se tourna vers Shekt.
— Comprenez-vous quelque chose à ce qu’il raconte ?
— Savez-vous qu’il possède un appendice vermiculaire de plus de huit centimètres de long ? fit le vieux savant non sans un certain émerveillement. Tu te rappelles, Pola ? Et une dent de sagesse. Et il avait la figure velue.
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