Giskard entra le premier dans l’établissement et Daneel étendit le bras pour empêcher Baley de le suivre.
Naturellement ! Giskard partait en reconnaissance.
Daneel épiait aussi, d’ailleurs. Ses yeux observaient le paysage avec une intensité dont aucun être humain n’aurait été capable. Baley était certain que rien n’échappait à ces yeux robotiques.
Il se demanda pourquoi les robots n’étaient pas équipés de quatre yeux également distribués tout autour de la tête, ou d’une bande optique qui l’entourerait complètement. Pour Daneel c’était impossible, bien entendu, puisqu’il devait avoir une apparence humaine, mais pourquoi pas Giskard ? A moins que cela ne provoque des complications de la vision que les circuits positroniques ne pourraient pas rectifier ? Baley eut un instant un vague aperçu des complexités accablant la vie d’un roboticien.
Giskard reparut sur le seuil et fit un signe de tête. Le bras de Daneel exerça une pression respectueuse et Baley s’avança. La porte était entrouverte.
Il n’y avait pas de serrure à celle de Vasilia mais (Baley s’en souvint brusquement) il n’y en avait pas non plus à celles de Gladïa ou du Dr Fastolfe. Une population clairsemée et la séparation assuraient l’intimité et, sans aucun doute, la coutume de non-ingérence aidait aussi. De plus, tout bien réfléchi, l’omniprésence des gardes robots était plus efficace que n’importe quelle serrure.
La pression de la main de Daneel sur son bras arrêta Baley. Giskard, devant eux, parlait à voix basse à deux robots à peu près du même modèle que lui.
Une brusque froideur frappa Baley au creux de l’estomac. Et si une rapide manœuvre substituait un autre robot à Giskard ? Serait-il capable de reconnaître la substitution ? Distinguer l’un de l’autre deux de ces robots ? Se retrouverait-il avec un robot sans instructions particulières de le protéger et qui pourrait innocemment le mettre en danger et réagir ensuite avec une rapidité insuffisante quand une aide deviendrait nécessaire ?
Maîtrisant sa voix, il dit calmement à Daneel :
— Ces robots sont remarquablement semblables, Daneel. Peux-tu les distinguer ?
— Certainement, camarade Elijah. Leurs vêtements sont différents et leur numéro de code aussi.
— Je ne les trouve pas différents.
— Vous n’avez pas l’habitude de remarquer ce genre de détails.
Baley regarda attentivement les robots.
— Quels numéros de code ?
— Ils ne sont pas facilement visibles, camarade Elijah, sauf quand on sait où regarder et quand, de plus, les yeux sont plus sensibles aux infrarouges que les yeux des êtres humains.
— Dans ce cas, j’aurais bien des ennuis si je devais les identifier, n’est-ce pas ?
— Pas du tout, camarade Elijah. Vous n’auriez qu’à demander son nom entier et son numéro de série à un robot. Il vous les donnerait.
— Même s’il avait reçu l’ordre de donner un faux nom et un faux numéro ?
— Pourquoi un robot recevrait-il un tel ordre ? Baley préféra ne pas donner d’explications.
D’ailleurs, Giskard revenait. Il annonça à Baley :
— Vous allez être reçu, monsieur. Par ici, s’il vous plaît.
Les deux robots de l’établissement prirent les devants. Derrière eux venaient Baley et Daneel, ce dernier ne relâchant pas son étreinte protectrice.
Giskard fermait la marche.
Les deux robots s’arrêtèrent devant une porte à deux battants qui s’ouvrit, automatiquement sembla-t-il. La pièce était baignée d’une lumière tamisée grisâtre, celle du jour filtrant à travers d’épais rideaux.
Baley distingua, pas très clairement, une petite silhouette humaine au centre, à demi assise sur un haut tabouret, un coude reposant sur une table occupant toute la longueur du mur.
Baley et Daneel entrèrent et Giskard derrière eux. La porte se referma, plongeant la pièce dans une pénombre encore plus prononcée.
Une voix féminine dit sèchement :
— N’approchez pas davantage ! Restez où vous êtes !
Sur ce, la salle fut illuminée par la lumière de midi.
Baley cligna des yeux. Le plafond était vitré et, au travers, il vit le soleil. Mais ce soleil paraissait curieusement atténué et l’on pouvait le regarder en face, même si cela ne semblait pas diminuer l’éclairage intérieur. Il pensa que le verre (ou toute autre substance transparente) diffusait la lumière sans l’absorber.
Il abaissa les yeux sur la femme, qui gardait la même position sur le tabouret, et demanda :
— Docteur Vasilia Fastolfe ?
— Dr Vasilia Aliena, si vous voulez un nom complet. Je n’emprunte pas le nom des autres. Vous pouvez m’appelez simplement Dr Vasilia. C’est par ce nom que je suis couramment connue à l’Institut, dit-elle, et sa voix assez dure se radoucit. Comment vas-tu, mon vieil ami Giskard ?
Giskard répondit, sur un ton curieusement éloigné de sa voix habituelle :
— Je vous salue… (Il s’interrompit et se reprit :) Je te salue, Petite Miss.
— Et voici, je suppose, le robot humaniforme dont j’ai entendu parler ? Daneel Olivaw ?
— Oui, docteur Vasilia, répondit vivement Daneel.
— Et, finalement, nous avons le… le Terrien.
— Elijah Baley, docteur.
— Oui, je sais que les Terriens ont des noms et qu’Elijah Baley est le vôtre, dit-elle froidement. Vous ne ressemblez absolument pas à l’acteur qui jouait votre rôle dans ce spectacle en Hyperonde.
— Je le sais pertinemment, docteur.
— Celui qui jouait Daneel était assez ressemblant, cependant, mais je suppose que nous ne sommes pas ici pour parler de cette émission.
— Non, en effet.
— Si je comprends bien, Terrien, nous sommes ici pour parler de Santirix Gremionis. Quoi que vous ayez à dire, finissons-en. D’accord ?
— Pas tout à fait, dit Baley. Ce n’est pas la principale raison de ma visite, mais nous y viendrons sans doute.
— Vraiment ? Auriez-vous l’impression que nous sommes réunis pour nous livrer à une longue discussion compliquée sur tous les sujets qu’il vous plairait d’aborder ?
— Je pense, docteur Vasilia, que vous feriez mieux de me laisser procéder à cet entretien comme je l’entends.
— C’est une menace ?
— Non.
— Ma foi, je n’ai encore jamais rencontré de Terrien et ce sera peut-être intéressant de voir à quel point vous ressemblez à l’acteur qui a joué votre rôle… je veux dire autrement qu’en apparence. Etes-vous l’homme autoritaire et sûr de lui que dépeignait cette dramatique ?
— L’émission, dit Baley avec une répugnance manifeste, était outrageusement dramatisée et exagérait ma personnalité à tous les égards. J’aimerais mieux que vous m’acceptiez tel que je suis et me jugiez uniquement d’après ce que je vous parais en ce moment.
Vasilia éclata de rire.
— Au moins, je ne semble pas trop vous impressionner. C’est un bon point en votre faveur. A moins que vous ne pensiez que cette affaire Gremionis que vous avez à l’esprit vous mette en mesure de me donner des ordres ?
— Je ne suis pas venu pour autre chose que pour découvrir la vérité sur la mort du robot humaniforme Jander Panell.
— La mort ? Il était donc vivant ?
— J’emploie une seule syllabe de préférence à une locution telle que « rendu non fonctionnel ». Le mot « mort » vous dérouterait-il ?
— Vous êtes bon escrimeur, observa Vasilia. Debrett ! Apporte un siège au Terrien. Il va se fatiguer à rester debout ainsi, si notre conversation doit être longue. Et ensuite, retire-toi dans ta niche. Et tu peux t’en choisir une aussi, Daneel… Giskard, viens près de moi.
Baley s’assit.
— Merci Debrett… Docteur Vasilia, je n’ai aucune autorité pour vous interroger, je n’ai aucun moyen légal de vous forcer à répondre à mes questions. Cependant, la mort de Jander Panell a mis votre père dans une situation assez…
Читать дальше