— Qui est Andrew Martin ?
— Etait, pas est, répondit Fastolfe. Vous n’avez jamais entendu parler de lui ?
— Jamais !
— Comme c’est bizarre ! Toutes nos anciennes légendes ont la Terre pour décor et pourtant elles ne sont pas connues sur Terre… Andrew Martin était un robot qui, progressivement, pas à pas, était censé devenir humaniforme. Il est certain qu’il y a eu des robots humaniformes avant Daneel, mais c’était de simples jouets, guère mieux que des automates. Néanmoins, on a raconté des histoires fantastiques sur les facultés et les talents d’Andrew Martin, un signe indiscutable de la nature légendaire du récit. Il y avait une femme, qui faisait partie des légendes, et qu’on appelait généralement Petite Miss. Les rapports sont trop compliqués à décrire maintenant, mais je suppose que toutes les petites filles d’Aurora ont rêvé d’être Petite Miss et d’avoir Andrew Martin comme robot. Vasilia en rêvait et Giskard était son Andrew Martin.
— Et alors ?
— J’ai demandé à son robot de lui dire que vous seriez accompagné par Giskard. Il y a des années qu’elle ne l’a pas vu et j’ai pensé que cela pourrait la décider à vous recevoir.
— Mais ça n’a pas réussi, je présume ?
— Hélas non.
— Alors nous devons trouver autre chose. Il doit bien y avoir un moyen de la persuader de me voir.
— Peut-être en trouverez-vous un. Dans quelques minutes, vous la verrez à la télévision et vous aurez cinq minutes pour la convaincre qu’elle doit vous recevoir personnellement.
— Cinq minutes ! Qu’est-ce que je peux faire en cinq minutes ?
— Je ne sais pas. C’est mieux que rien, après tout.
Un quart d’heure plus tard, Baley se plaça devant l’écran de télévision, prêt à faire la connaissance de Vasilia Fastolfe.
Le savant était parti en déclarant, avec un sourire ironique, que sa présence rendrait certainement sa fille encore plus difficile à convaincre. Daneel n’était pas là non plus. Il ne restait que Giskard derrière Baley, pour lui tenir compagnie.
— La chaîne de télévision du Dr Vasilia est ouverte pour la réception. Etes-vous prêt, monsieur ?
— Aussi prêt que je peux l’être, répondit aigrement Baley.
Il avait refusé de s’asseoir, pensant qu’il serait plus imposant s’il restait debout. (Mais dans quelle mesure un Terrien pouvait-il être imposant ?)
L’écran devint lumineux alors que le reste de la pièce s’assombrissait et une femme apparut, assez floue au début. Elle était debout face à Baley, la main droite appuyée sur une table de laboratoire jonchée de tableaux et de graphiques. (Sans nul doute, elle cherchait elle aussi à être imposante.)
Quand l’image se précisa, les bords de l’écran parurent se fondre et disparaître ; l’image de Vasilia (comme si c’était elle-même) prit du relief et devint tridimensionnelle. Elle était là debout dans la pièce, avec toutes les apparences de la réalité, à cette différence près que le décor de la salle où elle se trouvait ne concordait pas avec celui de la pièce où était Baley et la coupure était très distincte.
Elle portait une jupe marron qui devenait une sorte de pantalon bouffant, à demi transparent, si bien que ses jambes étaient visibles, des pieds jusqu’à mi-cuisse. Elle avait un corsage serré, sans manches, laissant les bras nus jusqu’à l’épaule, et très décolleté. Ses cheveux blonds étaient coiffés en boucles serrées.
Elle n’avait rien hérité de la laideur de son père, surtout pas les grandes oreilles. Baley supposa que sa mère avait été très belle et qu’elle avait eu de la chance dans la répartition des gènes.
Elle était petite et Baley ne put éviter de remarquer sa ressemblance frappante avec Gladïa, mais elle avait une expression plus froide qui paraissait être la marque d’une personnalité dominatrice.
— C’est vous le Terrien qui venez résoudre le problème de mon père ? demanda-t-elle sèchement.
— Oui, docteur Fastolfe, répondit Baley sur le même ton sec.
— Vous pouvez m’appeler Dr Vasilia. Je ne veux pas qu’on me confonde avec mon père.
— Docteur Vasilia, je dois absolument avoir une chance de vous parler, en personne et face à face, pendant un temps peut-être assez long.
— Nul doute que vous le souhaitiez. Vous êtes un Terrien, et une source certaine de contagion.
— J’ai été médicalement traité et ne suis absolument pas contagieux, je ne représente un danger pour personne. Votre père a été constamment avec moi pendant plus d’une journée.
— Mon père prétend être un idéaliste et il est obligé de commettre des idioties pour soutenir cette prétention. Je ne tiens pas à l’imiter.
— Je suppose que vous ne lui voulez pas de mal. Vous lui en ferez beaucoup si vous refusez de me recevoir.
— Vous perdez votre temps. Je ne peux pas vous voir, sauf de cette manière et la moitié du temps que je vous ai accordé est passée. Si vous voulez, nous arrêterons là cet entretien, si vous le trouvez non satisfaisant.
— Giskard est ici, docteur Vasilia, et il aimerait vous persuader de me recevoir.
Giskard avança dans le champ visuel.
— Bonjour, Petite Miss, dit-il à voix basse.
Pendant quelques instants, Vasilia eut l’air gênée et, quand elle parla, ce fut sur un ton quelque peu radouci.
— Je suis très heureuse de te voir, Giskard, et je te recevrai quand tu voudras, mais je refuse de voir ce Terrien, même à ta prière.
— Dans ce cas, déclara Baley en jouant désespérément le tout pour le tout, je serai contraint de porter l’affaire Santirix Gremionis à la connaissance du public, sans avoir eu l’occasion de vous consulter à ce sujet.
Les yeux de Vasilia s’arrondirent et elle leva sa main de la table en serrant le poing.
— Que signifie cette histoire de Gremionis ?
— Simplement qu’il est un beau et séduisant jeune homme et qu’il vous connaît bien. Devrai-je m’occuper de cette affaire sans avoir entendu ce que vous avez à en dire ?
— Je peux vous dire tout de suite que…
— Non, interrompit Baley d’une voix forte. Vous ne me direz rien à moins que ce soit face à face, en personne.
Elle fit une grimace.
— Eh bien, je vous recevrai, mais je ne resterai pas avec vous une seconde de plus que je ne le voudrai. Et amenez Giskard.
La communication télévisée prit fin avec un déclic sec et Baley fut soudain pris de vertige alors que toute la pièce revenait à son état normal. Il chercha un siège à tâtons et s’assit.
Giskard lui avait pris légèrement le coude, pour s’assurer qu’il atteindrait le fauteuil sans encombre.
— Puis-je vous aider en quelque chose, monsieur ? demanda-t-il.
— Merci, ça va aller, murmura Baley. J’ai simplement besoin de reprendre haleine.
Le Dr Fastolfe était entré.
— Encore une fois, mes excuses pour avoir manqué à tous mes devoirs d’hôte. J’ai écouté sur un poste annexe équipé pour recevoir et non pour transmettre. Je voulais voir ma fille, même si elle ne me voyait pas.
— Je comprends, dit Baley en haletant un peu. Si la bonne éducation veut que ce que vous avez fait exige des excuses, alors je vous pardonne volontiers.
— Mais quelle est cette affaire Santirix Gremionis ? Ce nom ne me dit strictement rien.
Baley leva les yeux vers le savant.
— Docteur Fastolfe, son nom a été prononcé ce matin par Gladïa. Je sais très peu de choses sur lui mais j’ai quand même pris le risque de parler de lui à votre fille. Je n’avais aucune chance, apparemment, mais j’ai pourtant obtenu le résultat que je cherchais. Comme vous pouvez le constater, je suis capable de faire d’utiles déductions même quand j’ai très peu de renseignements, alors je vous conseille de me laisser continuer en paix. Je vous en conjure, collaborez entièrement avec moi à l’avenir et ne me parlez plus de sondage psychique.
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