— Non. Et puis, c’était un petit couteau.
— Ainsi, tu t’y connais en couteaux, dit-il d’un ton acerbe. Voilà qui me rassure ! Et qui est cette Mélanie Ryton ? Elle est de la famille de Michael ?
— C’est sa sœur.
McLeod secoua la tête. Encore un Ryton. Ne serait-il jamais débarrassé de cette fichue famille ?
— Tu es sûre que ça va ? s’inquiéta Joanna.
— Très bien, maman. Juste un peu secouée.
— Qu’est-ce qui t’a pris de te mêler de cela ? fit McLeod.
Kelly lui lança un regard révolté.
— D’après toi, j’étais censée faire quoi ? Rester là et admirer le spectacle ?
Ce qui eut pour effet de mettre McLeod en fureur.
— Kelly, tu aurais pu être blessée. Et je ne suis pas loin de penser que tu l’aurais peut-être mérité.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Je veux dire que tu cherches les ennuis. Toujours à traîner avec des mutants. Tu vois ce que ça te rapporte ? Tu n’as pas d’autres amies ?
— Bill ! s’écria Joanna visiblement choquée.
Kelly s’appuya contre le mur, mains dans les poches.
— Papa, Mélanie est inoffensive. Elle n’a même aucun pouvoir, contrairement aux autres. Des yeux bizarres, mais c’est tout. Tout le monde la traite comme un chien parce que c’est une mutante. Et moi, je n’aime pas ça.
— Mais naturellement, reconnut Joanna. Nous t’avons toujours dit d’agir selon tes idéaux, n’est-ce pas, Bill ?
McLeod hocha la tête d’un air impatient.
— Oui, bien sûr, nous l’avons dit. Mais là n’est pas la question. Combien de fois faudra-t-il te répéter de ne pas aller fourrer ton nez dans leurs histoires ? Tu n’as rien à faire avec ces mutants. Pourquoi ne te trouves-tu pas des amies convenables, avec des yeux normaux ?
Kelly lui jeta un regard indigné.
— Parfait. Première chose demain, dis à Cindy qu’elle n’a plus le droit de voir Reta. On va décréter un moratoire sur les mutants. Nous serons désormais les McLeod, les célèbres McLeod, ennemis farouches de tous les mutants. (Sa voix était devenue perçante.) Je me fiche de ce que tu penses des mutants. Moi, je les aime bien.
— Bill, tout ça me donne mal à la tête, intervint Joanna d’un ton irrité. Si tu arrêtais un instant ?
Bientôt, pensa McLeod, on va dire que tout ça est de ma faute.
— Je n’arrêterai pas, fit-il, sur la défensive. Kelly, je ne veux pas t’interdire de voir ces mutants, mais je serais très heureux que tu passes davantage de temps avec d’autres gens. Et que tu mettes un terme à cette idylle avec Michael Ryton. Tu as toujours eu l’embarras du choix pour ce qui est des garçons. Pourquoi faut-il que tu ailles fréquenter un mutant ?
— Bon Dieu, la moitié du temps j’ai l’impression d’en être un dans cette famille ! répliqua Kelly. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de les aimer ? Je n’ai pas l’intention de cesser de voir Michael. Il est plus intéressant que tous les autres types que j’ai jamais rencontrés. C’est un mutant ? Eh bien, et après ?
— Kelly, calme-toi, dit Joanna. Ton père est simplement contrarié à cause de cette bagarre au couteau. Comprends-le. Tu arrives le visage couvert de bleus, les vêtements pleins de sang…
— Juste quelques éclaboussures.
— … et tu viens nous raconter que tu t’es battue dans un bar.
— Oui, je sais, dit Kelly en se dandinant d’un pied sur l’autre, l’air gêné. Je suis désolée. Vous auriez peut-être préféré que je vous mente ?
— Non, bien sûr que non. Et c’est bien d’avoir pris la défense de Mélanie. Je suis fière de toi. Ton père aussi, d’ailleurs.
McLeod sentit sa fureur revenir.
— Jo, ne parle pas de moi comme si je n’étais pas là.
— Papa, elle cherche simplement à te calmer.
McLeod se demanda depuis quand sa fille usait avec lui de ce ton condescendant. Ça ne lui plaisait pas du tout.
— Tu comprends notre point de vue, n’est-ce pas ? poursuivit Joanna. Cela peut être dangereux de trop fréquenter les mutants.
Kelly haussa les épaules.
— Oui, je comprends ce que tu essaies de me dire, maman. Mais si c’était moi qui m’étais trouvée à la place de Mélanie, tu aurais bien voulu que mes amies viennent à mon aide ?
— Naturellement.
— Alors, où est la différence ? Qu’est-ce que ça fait que Mélanie soit une mutante ? C’est mon amie. D’autant qu’elle n’est même pas capable de faire ce que font les autres mutants.
— Je n’ai jamais rien entendu de la sorte, dit sèchement McLeod.
— Pourtant, c’est la vérité.
— Ce doit être dur pour elle, remarqua Joanna en fronçant le sourcil.
Un instant, la mauvaise humeur de McLeod retomba. Pauvre petite Mélanie, coincée entre deux univers. Puis, il pensa à son père, le froid et distant James Ryton, et sa colère revint.
— Écoute, je suis bien conscient que ce ne doit pas être facile pour elle à l’université. Mais c’est le lot d’un tas d’autres personnes. Dont certaines ne sont même pas des mutants. Elle a d’autres amies. Des amies mutantes. Fais donc un meilleur usage de ta compassion, Kelly.
— J’aurais aimé être une mutante un petit quart d’heure, là-bas, dans les toilettes. J’aurais envoyé valser Tiff Seldon dans les cabinets et lui aurais administré un bon shampooing, dit Kelly avec un gloussement.
Comprenant qu’elle cherchait à le dérider, McLeod se força à sourire. Mais une image se forma dans son esprit, celle du visage de Kelly, celui qu’il lui connaissait, sauf pour les yeux qui revêtaient une teinte dorée. Il réprima un frisson. Sa colère s’était consumée, ne laissant que les braises vacillantes de l’accablement.
— Oublions ça, d’accord ? Si tu allais te changer ?
Il se détourna des deux femmes et, allumant l’écran du salon, il sélectionna les finales de basket-ball en apesanteur. Il n’avait qu’une envie, celle de penser à autre chose qu’aux mutants.
La maison était plongée dans une semi-obscurité, éclairée par les seuls lumignons qui jalonnaient le sol de ce bleu et ce vert doux aux yeux des mutants. Un chant guttural flotta jusqu’à Mélanie depuis les haut-parleurs tubulaires en cuivre du salon. Le psaume de la détermination, tiré du troisième livre des Chroniques ; c’était l’une des invocations préférées de son père. Hormis cela, le silence régnait dans la maison, un silence pesant. Le monde extérieur semblait totalement absent. Banni.
— Je suppose que tu as une explication ? dit James Ryton en voyant entrer sa fille les vêtements en désordre.
Le ton était glacé. Mélanie rasa le mur, comme si elle voulait se fondre dans la pénombre. Elle connaissait trop bien son père pour s’attendre à un réconfort de sa part. Si seulement Kelly avait pu l’accompagner jusque chez elle !
— Eh bien ? Qu’as-tu à dire, jeune fille ?
Mélanie lança un regard vers sa mère, pelotonnée sur le canapé comme une chatte. Celle-ci lui adressa un sourire encourageant. Mélanie respira un grand coup et se jeta à l’eau.
— Deux filles m’ont sauté dessus dans les toilettes. L’une d’elles avait un couteau. Elle avait bu. Elle voulait me taillader le visage.
— Ces salauds de normaux ! Ils ne seront contents que lorsqu’ils nous auront tous supprimés !
— James ! s’exclama Sue Li en lui décochant un regard sévère. Continue, ma chérie, dit-elle en se tournant vers sa fille. Que s’est-il passé ensuite ?
— Kelly McLeod est arrivée et m’a aidée à m’en défaire.
— La fille de McLeod t’a aidée ? Une non-mutante ? s’étonna son père.
— Euh… oui.
— Comment se fait-il que tu la connaisses ? demanda sa mère d’une voix calme.
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