— Je n’arrive pas à croire que nous allons tenter une pareille folie, dit-elle en pressant la plaque d’ouverture de l’antre des aviens pour la deuxième fois.
Leur première tentative avait donné lieu à une fin de non-recevoir. Richard s’avança pour crier dans le puits d’une voix menaçante :
— Écoutez-moi, bande de piafs ! J’ai à vous parler. Tout de suite ! Rappliquez ici, et au trot !
Nicole dut faire un effort pour ne pas rire. Il jeta des objets noirs dans le vide.
— Tu vois, je savais bien que ces machins nous serviraient un jour.
Ils entendirent finalement des signes d’activité au fond du conduit vertical. Les deux aviens qu’ils connaissaient grimpèrent vers le sommet de leur abri et les invectivèrent, sans prêter attention au moniteur que Richard leur présentait. Lorsqu’ils eurent fini de piailler, ils passèrent au-dessus du char-sentinelle et la trappe se referma.
— C’est inutile, Richard, déclara Nicole lorsqu’il lui demanda de retourner presser la commande. Même nos amis nous rejettent. Que ferons-nous, s’ils décident d’attaquer ?
— Ils ne s’en prendront pas à nous, répondit-il en lui faisant signe d’appuyer sur la plaque. Mais il est plus prudent que tu restes où tu es. Je me charge de ces emplumés.
Ils entendirent jacasser dès que la trappe se rouvrit pour la troisième fois. Richard cria et lança des boules et des cubes noirs dans le puits. Un de ces objets atteignit la sentinelle mécanique et il se produisit une petite explosion accompagnée d’une détonation.
Leurs vieilles connaissances montèrent jusqu’à l’ouverture pour l’assourdir avec leurs cris de reproche, suivis par trois ou quatre de leurs congénères. Le vacarme était impensable, mais Richard ne recula pas. À force de vociférer lui aussi et de désigner l’écran de l’ordinateur, il réussit à attirer leur attention.
Ils regardèrent cette illustration graphique d’un survol de la mer Cylindrique et Richard leur montra un des harnais qu’ils avaient confectionnés pendant que la démonstration recommençait. Il s’ensuivit un échange frénétique de jacassements et Richard comprit que c’était sans espoir. Alors que deux autres aviens franchissaient le niveau du char-sentinelle, il descendit malgré tout jusqu’à la première corniche de leur antre.
— Fermez-la ! hurla-t-il à pleins poumons.
Le compagnon de l’être de velours noir plongea vers lui pour le menacer de son bec, à moins d’un mètre de son visage. Le vacarme était assourdissant. Richard ne se laissa pas intimider et descendit au niveau inférieur en dépit des protestations des maîtres des lieux. Désormais, il n’aurait pas le temps de ressortir si la trappe se refermait.
Il montra à nouveau le harnais et désigna le moniteur. Un chœur de cris aigus lui fournit la réponse. Puis un autre son se fit entendre, comme une sirène annonçant un exercice d’évacuation dans une école ou un hôpital. Les créatures ailées se turent aussitôt. Elles allèrent se poser sur les corniches et baissèrent les yeux vers le char-sentinelle.
L’antre était étrangement silencieux. Quelques secondes plus tard Richard entendit des battements d’ailes puis vit un nouvel avien s’élever dans le passage vertical. Il ne s’arrêta qu’une fois à sa hauteur et voleta sur place juste en face de lui. Il avait un corps de velours gris, des yeux perçants assortis et deux larges bandes rouge cerise autour du cou.
Il dévisagea Richard puis se posa sur la corniche située du côté opposé du puits. La créature qui occupait ce perchoir s’envola aussitôt. Quand l’être de velours gris parla, ce fut distinctement et avec douceur. À la fin de son discours, son semblable noir vint se poser à son côté, sans doute pour lui expliquer les raisons du tumulte. Ils regardèrent Richard en hochant la tête et, pensant que c’était peut-être une invitation, ce dernier montra à nouveau le harnais et lança le programme de démonstration graphique. L’oiseau aux colliers rouges approcha pour regarder de plus près.
Il fit un mouvement brusque. L’homme sursauta de frayeur et manqua basculer dans le puits. Ce qui était peut-être un rire fut interrompu par un cri du chef qui resta ensuite muet plus d’une minute, comme pour réfléchir. Finalement, il tendit une de ses serres pour désigner l’intrus, déploya ses larges ailes et prit son envol. Il sortit de son antre.
Richard demeura immobile. La grande créature ailée monta haut dans le ciel, suivie par les deux aviens du début. Nicole pencha la tête dans l’ouverture.
— Tu viens, chéri ? lui demanda-t-elle. Je ne sais pas comment tu t’y es pris, mais j’ai la nette impression que nos amis sont parés au décollage.
Richard ajusta le harnais autour de la taille et des fesses de Nicole.
— Tes pieds pendront dans le vide et au décollage, quand les cordes s’étireront, tu auras l’impression de faire une chute.
— Et si je touche l’eau ?
— Il faut espérer que nos amis voleront assez haut. Je les crois très intelligents, surtout celui aux bandes rouges.
— Tu penses qu’il est leur roi ? demanda Nicole.
Elle régla la tension afin d’être un peu plus à son aise.
— Il porte sans doute un titre équivalent. Il a tout de suite fait clairement comprendre qu’il voulait voler au milieu de la formation.
Richard gravit les marches abruptes de la muraille avec les trois filins. Les aviens s’étaient regroupés et regardaient la mer. Ils restèrent passifs lorsqu’il noua une corde autour de leur corps, juste derrière les ailes, puis ils regardèrent le moniteur pour assister à une nouvelle simulation graphique de leur envol. Ils devraient décoller tous ensemble, lentement, tendre les suspentes à l’aplomb de la femme puis la soulever à la verticale avant de partir vers le nord.
Richard vérifia la solidité des nœuds puis retourna auprès de Nicole qui l’attendait au bas de l’escalier, à environ cinq mètres des flots.
— Ne m’attends pas trop longtemps, car rien ne prouve qu’ils reviendront me chercher, lui dit-il. Sitôt après avoir rejoint les secours, assemblez le voilier et venez me récupérer. Vous me trouverez en bas, dans la salle Blanche. Il inspira à fond avant d’ajouter :
— Sois prudente, ma chérie. N’oublie pas que je t’aime.
Les battements de son cœur rappelaient à Nicole que le moment du départ était arrivé. Elle lui donna un baiser interminable.
— Je t’aime moi aussi, lui murmura-t-elle.
Ils se séparèrent et Richard fit un signe aux aviens juchés sur les remparts. Celui de velours gris s’éleva prudemment, aussitôt imité par ses deux compagnons. Ils firent du surplace à l’aplomb de la femme qui sentit les trois filins se tendre puis fut soulevée dans les airs.
Quelques secondes plus tard l’élongation des cordes la faisait redescendre. Les aviens prirent de l’altitude et partirent au-dessus de la mer. Nicole avait l’impression d’être un yo-yo : elle montait et descendait au bout des suspentes élastiques alors que les oiseaux continuaient de grimper.
C’était enivrant. Elle ne toucha les flots qu’une fois, à proximité du rivage, et encore ne fit-elle que les effleurer. Elle eut peur mais remonta aussitôt et seules ses semelles furent mouillées. Dès que les câbles atteignirent leur élongation maximale, le voyage s’effectua en douceur. Elle n’eut qu’à rester assise dans son harnais, les mains agrippées à deux des filins, les pieds à environ huit mètres de la crête des vagues.
Au large, la mer était calme. Approximativement à mi-chemin, elle vit deux grosses silhouettes sombres suivre son parcours et elle sut avec certitude qu’il s’agissait de requins biotes. Elle remarqua également les représentants de deux ou trois autres espèces aquatiques, dont une sorte d’anguille qui se dressa à la surface pour la regarder passer. Whew, je suis heureuse de ne pas avoir dû faire la traversée à la nage, se dit-elle.
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