— C’est parfait, répéta-t-il avec surexcitation. Nous allons envoyer le prince Hal et Falstaff en éclaireurs. Modifier leurs programmes ne me prendra que quelques minutes.
Il avait déjà installé son ordinateur de poche à côté des robots. Nicole s’assit sur le sol et s’adossa à la paroi, entre deux pointes. Elle jeta un coup d’œil à Richard. C’est vraiment un oiseau rare, se dit-elle avec admiration en pensant aux heures qu’ils venaient de passer ensemble. Un génie, avec une droiture et une franchise peu communes, ainsi qu’une curiosité d’enfant.
Elle se sentit soudain très lasse et, alors qu’elle observait son compagnon absorbé par sa tâche, elle s’autorisa à fermer un instant les paupières.
* * *
— Je suis désolé d’avoir été si long, disait Richard. De nouvelles instructions qui pourraient s’avérer utiles me venaient constamment à l’esprit et je devais en outre modifier le système de communication…
Elle s’éveilla, progressivement.
— Depuis combien de temps sommes-nous là en bas ? s’enquit-elle en bâillant.
— Un peu plus d’une heure. Mais tout est prêt. Je vais envoyer nos petits amis faire un tour.
Elle regarda autour d’eux.
— Les deux voitures sont toujours à quai, commenta-t-elle.
— Elles doivent fonctionner sur le même principe que les lumières et je parie que la grosse ne quittera pas la station tant que nous serons dans les parages. Nicole se leva et s’étira.
— Voilà quels sont mes projets, expliqua Richard. J’ai un émetteur-récepteur de contrôle. Hal et sir John sont dotés de systèmes audio, vidéo et I.R. qui fonctionnent en permanence. Nous pouvons capter tous les canaux qui nous intéressent et donner tous les ordres que nous voulons.
— Les ondes pourront-elles traverser ces parois ? demanda Nicole qui n’avait pas oublié sa récente expérience.
— Oui, tant que leur épaisseur n’est pas trop importante. Ce système est conçu pour compenser les atténuations du signal… En outre, j’espère que le petit tunnel est aussi rectiligne que le grand.
Il posa ses robots sur le sol et leur ordonna d’aller vers le métro miniature. Ses portes s’ouvrirent lorsqu’ils en approchèrent.
— Transmettez mes salutations à Mme Regimbe, lança Falstaff en montant à bord. Elle ne possède pas un esprit des plus vifs mais elle a un cœur d’or.
Nicole tourna la tête vers Richard, intriguée.
— Je n’ai pas effacé tous leurs programmes précédents, expliqua-t-il en riant. Nous devons nous attendre à ce qu’ils fassent parfois des commentaires absurdes.
Les deux robots étaient à bord depuis une ou deux minutes. Richard testa tous les canaux et affina quelques réglages par l’entremise de l’ordinateur. Finalement, les portes de la petite voiture se refermèrent et dix secondes plus tard elle s’engouffrait dans le tunnel.
Wakefield fit tourner Falstaff dans le sens de la marche, mais la vitre avant n’offrait pas un spectacle intéressant. Le trajet fut étonnamment long, compte tenu de la vitesse élevée. Tout laissait supposer que le métro avait parcouru plusieurs kilomètres lorsqu’il ralentit et stoppa.
Richard attendit un moment avant de faire descendre ses robots. Il ne voulait pas courir le risque de les laisser sur le quai d’un arrêt intermédiaire. Ses craintes étaient sans fondement, les images transmises par le prince Hal et Falstaff démontraient qu’ils avaient atteint le terminus.
Les deux personnages miniatures firent le tour du quai à côté du véhicule pour filmer leur environnement. La station était une longue salle avec des cintres et des colonnes dans le prolongement de la ligne. Richard calcula que la voûte devait culminer à environ deux mètres de hauteur. Il commanda à ses éclaireurs de suivre un long corridor perpendiculaire à la voie.
Ce passage débouchait sur un autre tunnel haut de seulement cinq centimètres. Les robots se penchèrent vers le sol et y découvrirent deux bandes microscopiques. Une voiture minuscule entra dans la station et s’arrêta à leurs pieds. Elle s’alluma et s’ouvrit, ce qui permit aux humains de constater qu’à l’exception de ses dimensions réduites elle était en tout point identique aux deux précédentes.
Agenouillés sur la corniche, ils fixaient attentivement l’écran du moniteur. Richard commanda à Falstaff de leur adresser une image du prince Hal debout à côté du métro modèle réduit.
— La voiture ne mesure pas deux centimètres de haut, commenta-t-il après avoir étudié la scène. Quels sont ses passagers ? Des fourmis ?
Nicole secoua la tête, sans rien dire. Elle était une fois de plus sidérée. Elle songea à sa réaction en découvrant Rama depuis la station de télécommunications installée au sommet de l’escalier Alpha. Jamais dans mes rêves les plus fous je n’aurais imaginé qu’autant de mystères nous attendaient en ce lieu. Les premiers explorateurs n’ont fait qu’effleurer sa surface…
Elle pensa brusquement à autre chose.
— Richard ?
Il ordonna à ses robots de revenir sur leurs pas puis détacha les yeux du moniteur.
— Oui ?
— Quelle est l’épaisseur de la coque de Rama ?
— Environ quatre cents mètres, répondit-il, surpris par cette question. Au pôle Nord, tout au moins. Nous ne pouvons savoir quelle est son importance dans les autres parties du vaisseau. Norton et son équipe ont établi que la profondeur de la mer Cylindrique variait fortement : de quarante mètres en certains points à cent cinquante ailleurs. On peut en déduire que par endroits la coque doit avoir plusieurs centaines de mètres.
Il jeta un coup d’œil à l’écran. Le prince Hal et Falstaff allaient atteindre la station de métro. Il les fit arrêter et se tourna vers Nicole.
— Pourquoi cette question ? Il n’est pas dans vos habitudes de parler pour ne rien dire.
— Il existe un véritable univers inexploré, là en bas. Toute une vie serait nécessaire pour…
— Nous n’avons pas un tel délai devant nous, l’interrompit Richard en riant. Pas la durée d’une vie normale, en tout cas… Mais pour en revenir à l’épaisseur de la coque de Rama, rappelez-vous que l’Hémicylindre sud est plus élevé de quatre cent cinquante mètres que celui du nord. Et s’il n’y a pas des différences de structure extérieure importantes que nous n’avons pas remarquées, le sol doit être bien plus épais dans ce secteur.
Il attendit un commentaire. Comme elle se taisait, il reporta son attention sur le moniteur et reprit son exploration des lieux par robots interposés.
Nicole avait eu une excellente raison de poser cette question. Elle avait à l’esprit une vision qu’elle ne pouvait chasser. Elle s’imaginait qu’elle arrivait à l’extrémité d’un des longs boyaux souterrains, ouvrait une porte et était aveuglée par la clarté du soleil. Ce serait sidérant, non ? Que penserait un être doué de raison qui a toujours vécu à l’intérieur de ce labyrinthe de tunnels plongés dans la pénombre et qui découvrirait par un pur effet du hasard quelque chose qui bouleverserait radicalement son concept de l’univers ? Comment pourrait-il concilier…
— Qu’est-ce que c’est, bon sang ? demanda Richard. Elle revint au présent et regarda l’écran. Le prince Hal et Falstaff venaient d’entrer dans une vaste salle située à l’autre extrémité de la station de métro. Ils s’étaient arrêtés devant une masse d’étranges filaments spongieux. Les infrarouges révélaient qu’une sphère nichée au cœur de cet amas irradiait de la chaleur. Sur une suggestion de Nicole, Richard leur ordonna de contourner l’obstacle et de poursuivre l’exploration de ce nouveau domaine.
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