Les lieux étaient immenses et le pouvoir de résolution des caméras vidéo miniatures ne permettait pas d’en voir l’extrémité. Le plafond les surplombait d’une trentaine de mètres et plus de cinquante séparaient les parois latérales. D’autres sphères enchâssées dans une gangue spongieuse étaient peut-être disséminées dans le lointain. En arrière-plan, un filet pendait du plafond. Il était tendu en travers de la salle mais ne débutait qu’à environ cinq mètres du sol. Il était possible d’en discerner un autre, une centaine de mètres plus loin.
Richard et Nicole devaient décider ce que feraient ensuite leurs éclaireurs. Une seule porte était visible, celle de la station de métro. Un panoramique ne révéla rien d’intéressant à proximité, exception faite de l’étrange masse spongieuse. Nicole suggéra de récupérer les robots et de quitter l’antre au plus tôt mais Richard était trop curieux pour renoncer à procéder à un examen, fût-il sommaire, de la boule.
Non sans difficultés, leurs éclaireurs se frayèrent un chemin dans la matière élastique. Plus ils se rapprochaient de la sphère placée au centre, plus la température ambiante augmentait. Le matériau de son nid servait apparemment à absorber l’énergie thermique qu’elle irradiait. Quand les robots atteignirent la boule, leurs systèmes internes signalèrent que les conditions d’utilisation n’étaient plus conformes aux normes de sécurité.
Richard réagit sans perdre de temps. En fournissant continuellement des instructions au prince Hal et à Falstaff, il put déterminer que la sphère était impénétrable et recouverte d’une épaisse enveloppe d’un alliage très résistant. Falstaff abattit son bras sur elle et l’absence de toute résonance indiqua qu’elle devait être pleine. Les deux robots s’ouvraient à nouveau un chemin dans l’éponge pour revenir sur leurs pas quand leurs systèmes audio captèrent un bruissement métallique.
Richard leur donna l’ordre de presser l’allure. Hal y parvint mais Falstaff, qui s’était échauffé à proximité de la sphère, fut empêché par ses protections internes d’accélérer ses mouvements. Les sons s’amplifiaient.
Sur l’écran du moniteur posé sur la corniche, entre les deux cosmonautes, l’image se scinda. Le prince Hal atteignit le bord de la gangue spongieuse, sauta sur le sol et courut vers la station de métro sans attendre son compagnon. Falstaff était toujours occupé à se dégager un chemin.
— Voilà une entreprise bien trop pénible pour un grand buveur, marmonna-t-il.
Les crissements métalliques s’interrompirent et une sorte de tuyau strié de bandes noires et or apparut sur la moitié de l’écran qui lui était réservée. Quelques instants plus tard l’image s’obscurcit et le signal « d’interruption imminente de liaison » résonna. Richard et Nicole virent une dernière chose : le gros plan d’un œil énorme, un globe gélatineux noir bleuté, puis tous les signaux en provenance du robot, données télémétriques d’urgence incluses, s’interrompirent brusquement.
Hal avait entre-temps sauté dans la voiture qui l’attendait à quai. Pendant les interminables secondes qui s’écoulèrent avant le départ, les grincements traînants se firent à nouveau entendre. Mais le métro s’ébranla et prit rapidement de la vitesse à l’intérieur du tunnel. Le prince Hal revenait vers les deux cosmonautes qui poussèrent un soupir de soulagement.
Moins d’une seconde plus tard un tintement fut retransmis par le système audio du robot. Richard le fit pivoter vers le point d’origine du bruit et ils virent un tentacule noir et or se tendre à travers une vitre brisée et s’étirer vers lui. Les humains comprirent de quoi il retournait au même instant. La chose avait sauté sur le toit de la voiture ! Elle venait donc vers eux !
Nicole se hissa d’une barre à l’autre. Richard perdit de précieuses secondes pour récupérer son matériel et le fourrer pêle-mêle dans son sac à dos. Il était à mi-hauteur du puits quand l’alarme « d’interruption imminente de liaison » se fit à nouveau entendre. Il se tourna et regarda en contrebas à l’instant où le métro stoppait sur la corniche.
Et ce qu’il vit lui glaça le sang. Une créature sombre s’aplatissait sur le toit de la petite voiture et étendait de tous côtés ses tentacules striés. Quatre avaient traversé les fenêtres et saisi le passager. Le monstre descendit rapidement sur le quai et enroula avec agilité un de ses appendices autour d’une des barres inférieures. Richard cessa de lui prêter attention. Il grimpa à toute allure jusqu’au sommet du puits puis s’élança au pas de course dans le tunnel le plus proche, loin derrière Nicole.
Il remarqua que le passage s’incurvait légèrement vers la droite. Ce n’était pas celui qu’ils avaient emprunté à l’aller mais il devait également conduire aux rampes. Plusieurs centaines de mètres plus loin, il s’arrêta pour tendre l’oreille mais n’entendit pas son poursuivant. Il venait de prendre deux inspirations profondes et de repartir quand un cri de terreur lui parvint d’un point situé loin devant lui. C’était Nicole. Oh, merde ! se dit-il en courant de plus belle.
47. MATRICES PROGRESSIVES
— Rien, je dis bien rien, ne m’avait encore terrifiée à ce point, avoua-t-elle à Richard.
Épuisés et essoufflés par leur fuite frénétique, ils s’étaient assis sur le sol et adossés à un des gratte-ciel du pourtour de l’esplanade ouest. Nicole but une gorgée d’eau.
— Je commençais à me croire en sécurité, ajouta-t-elle. Je vous entendais courir derrière moi… vos pas et les miens étaient les seuls bruits. J’ai décidé de vous attendre dans ce musée, sans comprendre que nous avions emprunté un autre tunnel.
« J’aurais pourtant dû m’en rendre compte, car il s’ouvrait du côté opposé, mais mes pensées étaient un peu confuses… Enfin, dès mon entrée dans cette salle tout s’est éclairé et je l’ai vu devant moi, à moins de trois mètres. J’ai cru que j’allais tomber raide…
Richard se rappela la scène. Nicole s’était précipitée à sa rencontre et jetée dans ses bras pour lui dire d’une voix entrecoupée par des sanglots :
— C’est Takagishi… empaillé comme un cerf ou un tigre… dans la niche de droite.
Il attendit qu’elle se fût un peu calmée pour repartir dans le tunnel. Et il fut lui aussi fortement ébranlé en voyant Shigeru Takagishi debout juste en face de l’entrée. Le Japonais portait sa combinaison de vol et gardait la même expression dans la mort que lors de leur précédente rencontre, au camp Bêta. Un sourire incurvait ses lèvres et ses bras pendaient le long de ses flancs.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? murmura-t-il en cillant. La curiosité s’avérait plus forte que l’horreur. Nicole détourna les yeux. Takagishi ne semblait ni mort ni vivant.
Ils ne s’attardèrent dans cette grande salle qu’une minute. Le taxidermiste extraterrestre avait également réalisé des merveilles sur un avien à l’aile brisée désormais suspendu au plafond à côté du Japonais. Contre le mur, derrière le cadavre de leur compagnon, avait été installée leur hutte subtilisée la veille. Ils voyaient le clavier hexagonal de la station scientifique portative posé sur le sol aux pieds de Takagishi, non loin de la reproduction grandeur nature d’un bulldozer biomécanique, parmi d’autres répliques de biotes exhibées en ce lieu.
À peine Richard venait-il de leur accorder son attention qu’il entendit le crissement désormais familier s’élever derrière eux, dans le tunnel qu’ils avaient suivi pour venir jusque-là. Sans perdre une seconde ils s’enfuirent dans le boyau souterrain puis vers le sommet des rampes, en ne s’arrêtant à la citerne que le temps de renouveler leur réserve d’eau.
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