Elle regarda David, puis l’autre femme.
— Pouvez-vous nous excuser un moment, ma chère ? Nous souhaiterions discuter de certaines choses en privé.
Francesca et le Dr Brown s’éloignèrent vers la base d’un gratte-ciel situé à une vingtaine de mètres et se plongèrent dans une conversation animée. Nicole se détourna. Elle se reprochait d’avoir perdu son calme. Elle venait de leur révéler qu’elle connaissait l’existence de ces accords passés avec Schmidt et Hagenest et cela l’ennuyait. Ils vont penser que Janos m’en a parlé. Ne sommes-nous pas amis ?
Francesca vint la rejoindre pendant que le Dr Brown contactait l’amiral par radio.
— Il va demander qu’un hélicoptère passe le prendre près du glisseur. Il affirme qu’il saura retrouver seul son chemin. Quant à moi, je resterai avec vous. Au moins, j’aurai la possibilité de photographier cette ville.
Elle avait dit cela d’une voix privée d’émotion. Nicole fut incapable de deviner son humeur.
— Une dernière chose, ajouta l’Italienne. J’ai promis à David que nous terminerions nos recherches et serions prêtes à regagner le camp dans quatre heures au plus tard.
* * *
Les deux femmes ne se parlèrent guère, pendant la première heure. Francesca laissait à Nicole le soin de choisir leur trajet. Toutes les quinze minutes elles s’arrêtaient pour contacter par radio le camp Bêta et obtenir un relevé de leur position.
— Vous êtes à environ deux kilomètres au sud et quatre à l’est du glisseur, leur annonça Richard Wakefield lorsqu’elles s’arrêtèrent pour déjeuner. Non loin de l’esplanade centrale.
Elles avaient déjà visité ce lieu, car Nicole pensait que Takagishi devait s’y intéresser. Elles avaient découvert un vaste espace circulaire pointillé de petits cubes mais aucune trace de leur collègue. Depuis, elles avaient exploré les deux autres espaces et passé au peigne fin deux secteurs sans rien remarquer de particulier. Nicole dut s’avouer à court d’idées.
— C’est un endroit sidérant, déclara Francesca au début de leur repas.
Elles étaient assises sur un bloc métallique d’environ un mètre de hauteur.
— Mes photos ne traduisent qu’une infime partie de ce qu’inspire ce lieu. Tout est si paisible, si grandiose, si… différent.
— De simples clichés ne permettent pas de décrire la plupart de ces structures. Les polyèdres, par exemple. On en trouve un dans chaque tranche, avec un second plus important sur le pourtour de l’esplanade. Je me demande quelle est leur signification, s’ils en ont une. Et pourquoi ils occupent toujours les mêmes emplacements.
Les deux femmes faisaient des efforts pour dissimuler leur tension. Elles parlèrent de ce qu’elles avaient vu pendant leur randonnée. Francesca était fascinée par une sorte de grand filet tendu entre deux gratte-ciel importants du secteur central.
— Quelle pourrait bien être son utilité ? demanda-t-elle.
Il devait comporter vingt mille mailles et être haut d’une bonne cinquantaine de mètres.
— Il est présomptueux de vouloir comprendre la nature de ce qui nous entoure, répondit Nicole en agitant la main.
Elle termina son repas et fixa sa compagne.
— Prête à repartir ?
— Pas tout à fait.
Francesca récupéra les miettes de son déjeuner et les fit tomber dans la bourse à déchets de sa combinaison.
— Nous avons une affaire en suspens, vous et moi. Nicole lui adressa un regard interrogateur.
— J’estime qu’il est temps de jeter bas les masques et d’avoir une franche explication, ajouta Francesca sur un ton faussement amical. Si vous me suspectez d’avoir donné des médicaments à Borzov, demandez-le-moi sans détour.
— L’avez-vous fait ?
— Le pensez-vous ? Si oui, pourquoi ?
— Je constate que les règles du jeu restent inchangées. Vous vous contentez d’entamer une nouvelle partie à un niveau plus élevé. Vous refusez d’admettre quoi que ce soit, vous voulez seulement apprendre ce que je sais. Mais une confession est superflue, la science et la technique suffisent. Vos machinations seront finalement révélées au grand jour.
— J’en doute, répondit Francesca en sautant à bas de son cube. La vérité fuit ceux qui la traquent.
Elle sourit.
— Que diriez-vous de repartir à la recherche de ce cher professeur ?
* * *
À l’ouest de l’esplanade centrale les deux femmes découvrirent une structure unique en son genre. Vue de loin, elle ressemblait à un hangar long d’une centaine de mètres et haut d’une quarantaine au faîte de son toit. Cette construction avait deux étranges caractéristiques : ses extrémités étaient privées de parois et, bien que ce fût invisible de la place, ses murs latéraux et son toit étaient transparents pour tout observateur se trouvant à l’intérieur. Les deux femmes se relayèrent pour obtenir la confirmation qu’il ne s’agissait pas d’une illusion d’optique. Celle qui était dans la bâtisse voyait de toutes parts, excepté vers le bas. Les gratte-ciel avoisinants étaient disposés de façon que leurs parois réfléchissantes reflètent toutes les rues de ce secteur et les rendent visibles depuis ce bâtiment.
— Fantastique ! commenta Francesca en photographiant Nicole à travers le mur.
— Le Dr Takagishi ne peut croire que de telles choses aient été construites sans but particulier, déclara Nicole à son retour. Le reste de Rama ? Peut-être. Mais nul n’aurait consacré autant de temps et d’efforts à bâtir une ville inutile.
— Il me semble relever une ferveur quasi religieuse dans votre voix.
Nicole la dévisagea. Elle veut m’agacer. Elle se fiche de mon opinion. Et peut-être de ce que pensent tous les autres.
— Eh, regardez ça ! ajouta l’Italienne après une brève pause.
Elle s’était avancée vers le centre du bâtiment et désignait le sol. Nicole vint la rejoindre. Un puits rectangulaire s’ouvrait aux pieds de la journaliste. Il mesurait environ cinq mètres de long sur un et demi de large, et il semblait très profond. Le bas disparaissait dans l’obscurité. Ses parois étaient verticales et lisses, sans la moindre aspérité.
— Il y en a un autre, ici. Et là…
Elles en dénombrèrent neuf, identiques et creusés dans la moitié sud du hangar. Du côté nord, neuf petites sphères posées sur le sol dessinaient un étrange motif. Nicole se surprit à regretter qu’il n’y eût pas une sorte de légende, des explications sur le sens ou l’utilité de ce qu’elle voyait. Elle ne savait plus quoi penser.
Elles atteignaient l’autre bout de la bâtisse quand des bips insistants s’élevèrent faiblement de leurs coms.
— Ils ont dû retrouver le Dr Takagishi, dit Nicole. Elle courut vers l’extrémité du bâtiment.
Dès qu’elle fut à l’extérieur le signal s’amplifia à tel point qu’il manqua l’assourdir.
— C’est bon, arrêtez ! Nous vous recevons. Qu’est-ce qui vous prend ?
— Il y a plus de deux minutes que nous essayons de vous joindre, expliqua Richard Wakefield. Où diable étiez-vous passées ? J’ai utilisé le mode d’urgence pour disposer de plus de puissance.
Francesca vint rejoindre Nicole et déclara :
— Nous visitions une construction sidérante, une sorte de monde surréaliste plein de miroirs sans tain et d’étranges reflets…
— C’est certainement très chouette, mais nous n’avons pas le temps d’en discuter, l’interrompit Richard. Mesdames, je dois vous demander de vous diriger immédiatement vers la mer Cylindrique. Un hélicoptère passera vous prendre dans dix minutes. Il se posera dans New York, si vous trouvez un emplacement qui convient.
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