La précision des mouvements de lady Macbeth la fascinait. Ce Wakefield est vraiment un génie, se dit-elle. Comment a-t-il pu reproduire tant de détails dans des êtres d’aussi petite taille ? Elle était sidérée par la palette d’expressions qui modifiaient les traits du robot.
Elle se concentra et la scène miniature dansa dans son esprit. Elle oublia qu’elle assistait à un spectacle. Un serviteur entra et annonça à lady Macbeth que son mari et le roi allaient arriver. Impatience et ambition parurent la transfigurer dès le départ du messager.
… Venez, venez, esprits
Qui insufflez des pensées meurtrières. Asexuez-moi
Et, de la tête aux pieds, déversez dans mon être
La plus implacable des cruautés ! Épaississez mon sang…
Mon Dieu, pensa Nicole qui cillait pour s’assurer que ses yeux ne lui jouaient pas des tours. Elle se métamorphose ! Le robot subissait une modification depuis qu’il avait prononcé les mots « Asexuez-moi ». La rondeur des seins moulant la robe de métal, le renflement des hanches et même la douceur du visage, tout cela s’effaçait. Lady Macbeth devenait une créature androgyne.
Nicole était sous le charme, dans un univers imaginaire créé par son esprit et les vapeurs de l’alcool. Les nouveaux traits du robot lui rappelaient vaguement ceux d’une de ses connaissances. Elle entendit des voix sur sa droite et se tourna vers Reggie Wilson qui était plongé dans une discussion animée avec Francesca. Nicole regarda la journaliste puis lady Macbeth. C’est cela, se dit-elle. Elles se ressemblent.
Une onde de peur, la prémonition d’une tragédie, la submergea et la terrifia. Un drame va se produire, proclamait une voix intérieure. Elle inspira à pleins poumons afin de se détendre, mais ce fut insuffisant pour chasser cette angoisse. Sur la scène miniature le roi Duncan était accueilli par sa gracieuse hôtesse. Sur sa gauche, Francesca servait du vin au général Borzov. Nicole ne pouvait surmonter sa panique.
— Que vous arrive-t-il ?
C’était Janos qui avait remarqué sa pâleur.
— Rien, fit-elle.
Elle essaya de se lever.
— Quelque chose que j’ai mangé, sans doute. Je vais regagner ma cabine.
— Mais vous allez rater le grand film, plaisanta-t-il. Elle réussit à lui adresser un sourire. Il l’aida à se redresser. Elle entendit lady Macbeth reprocher à son époux son manque de courage et une nouvelle onde de terreur l’assaillit. Elle attendit que le flux d’adrénaline se fût tari puis les pria de l’excuser et les laissa.
Dans son rêve, Nicole avait dix ans. Elle jouait dans les bois derrière leur maison de Chilly-Mazarin, non loin de Paris, lorsqu’elle eut soudain la certitude que sa mère allait mourir et fut prise de panique. La petite fille se précipita vers la demeure, pour en parler à son père. Un chat aux crocs dénudés et aux poils hérissés lui barrait le passage. Elle s’arrêta. Elle entendit un cri. Elle quitta le sentier et courut entre les arbres. Les branches la cinglaient et la griffaient. Le chat la poursuivait. Un deuxième hurlement s’éleva. Nicole ouvrit les yeux et vit Janos Tabori se pencher vers elle, visiblement effrayé.
— C’est le général, dit-il. Il souffre énormément. Nicole sauta du lit, enfila sa robe de chambre, saisit sa mallette de premiers soins et suivit Tabori dans la coursive.
— Je pense à une crise d’appendicite, déclara Janos lorsqu’ils atteignirent le salon. Mais je n’ai aucune certitude.
Irina Turgenyev s’était agenouillée pour tenir la main de Borzov qu’on avait allongé sur un canapé. Le commandant avait un teint cadavérique et une pellicule de sueur brillait sur son front.
— Ah ! Le Dr Desjardins est de retour parmi nous.
Il voulut sourire et s’asseoir. La souffrance le fit tressaillir et redescendre.
— Nicole, déclara-t-il posément. Je souffre le martyre. Il ne m’était encore jamais arrivé d’avoir mal à ce point, pas même la fois où j’ai été blessé au combat.
— La crise a débuté il y a combien de temps ? demanda Nicole.
Elle avait déjà sorti de la mallette le scanner et le moniteur biométrique. Francesca venait de se placer derrière elle pour la filmer pendant qu’elle établissait son diagnostic. Avec irritation, Nicole lui fit signe de reculer.
— Deux ou trois minutes, je pense, répondit Borzov en grimaçant. J’étais assis et je regardais le film. Je riais de bon cœur, pour autant que je m’en souvienne, quand j’ai ressenti une douleur aiguë dans mon aine, sur la droite. J’ai cru que du feu me consumait de l’intérieur.
Nicole programma un examen des données enregistrées pendant les cent quatre-vingts dernières secondes par les sondes d’Hakamatsu disséminées dans le corps de son patient. Elle localisa le point d’origine de la souffrance, signalé par la rapidité de la circulation sanguine et l’augmentation des sécrétions endocriniennes, puis elle demanda un transfert de toutes les informations qui se rapportaient à la période concernée.
— Janos, dit-elle, allez me chercher le diagnosticien portable.
Elle lui tendit la carte-clé de la porte de la pharmacie avant de s’adresser à Borzov :
— Vous avez un peu de fièvre, ce qui indique que votre organisme combat une infection.
Tabori revint avec un petit appareil électronique. Nicole y chargea le cube de données retiré du scanner. Moins de trente secondes plus tard APPENDICITE PROBABLE À 94 % clignotait sur l’écran. Elle pressa une touche et les autres possibilités s’affichèrent. Toutes étaient inférieures à deux pour cent de probabilités.
Un choix s’impose, à ce stade, pensa-t-elle pendant que Borzov se crispait à nouveau. Si je respecte la procédure et transmets les données à la Terre… Elle additionna deux délais de transmission à la durée minimale d’une réunion d’experts et au temps nécessaire pour établir un diagnostic électronique. Il est probable qu’il sera ensuite trop tard.
— Alors, docteur ? demanda le général en la suppliant du regard de mettre un terme à ses souffrances.
— C’est sans doute une appendicite.
— Merde ! grommela Borzov.
Il se tourna vers les autres. Tous étaient là, à l’exception de Wilson et de Takagishi qui avaient regagné leurs cabines.
— La mission n’en sera pas retardée pour autant. Vous effectuerez la première et la deuxième sortie pendant ma convalescence.
Un nouvel élancement l’ébranla et il grimaça.
— Un moment, rétorqua Nicole. Ce diagnostic n’est pas définitif. Il me faut des données supplémentaires.
Elle demanda le transfert des informations enregistrées depuis son arrivée dans le salon. Cette fois, elle lut APPENDICITE PROBABLE À 92 %. Elle prenait connaissance par acquit de conscience des autres possibilités quand la main du commandant se posa sur son bras.
— Si nous agissons avant que mon état ne s’aggrave l’intervention relève de la compétence d’un robot-chirurgien, n’est-ce pas ?
Nicole hocha la tête.
— Mais si nous attendons que la Terre confirme votre diagnostic – ouïe – l’opération sera bien plus délicate ?
Il lit mes pensées, se dit-elle avant de comprendre qu’il connaissait simplement les procédures réglementaires.
— Le patient ferait-il une suggestion à son médecin ?
— Je ne me le permettrais jamais.
Elle baissa les yeux sur le moniteur. APPENDICITE PROBABLE À 92 % y clignotait toujours.
— Un commentaire ? demanda-t-elle à Janos Tabori.
— J’ai déjà vu des cas d’appendicite, quand je poursuivais mes études à Budapest. Les symptômes étaient identiques.
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